Les défis du CA de la Société québécoise du cannabis

Publié le 26/02/2018 à 13:49

Les défis du CA de la Société québécoise du cannabis

Publié le 26/02/2018 à 13:49

Crédit: 123rf

De toute évidence, le gouvernement du Québec ne manifeste pas grand enthousiasme pour l’initiative fédérale de légaliser la production, la vente et la consommation de cannabis.

Ceci explique que son projet de loi 157 fait tout ce qui peut être fait pour limiter les dégâts et bien encadrer la consommation de cannabis.

Cela est sage. En effet, il est raisonnable de s’interroger sur les raisons qui font que le gouvernement du Canada veut se camper dans un rôle de pionnier de l'exploitation, la vente et la consommation libres de cannabis.

Un seul pays a légalisé la production et la consommation récréative du cannabis: l'Uruguay

En fait, le seul pays à avoir légalisé la production et la consommation «récréative» de cannabis est l’Uruguay. Plusieurs états américains ont décriminalisé la consommation de cannabis; d’autres états ont légalisé la production et la consommation du cannabis. Toutefois, pour le gouvernement fédéral américain, la production et la consommation de cannabis restent toujours des actes criminels. Une curieuse inversion de la situation canadienne, alors que le gouvernement fédéral canadien impose aux provinces la légalisation du cannabis.

Aux Pays-Bas, dont la réputation n’est plus à faire en ce qui concerne la liberté des mœurs, la consommation du cannabis est illégale, mais tolérée en petites quantités.

En Suède, pays «avant-gardiste» et servant souvent de référence pour le Canada et le Québec, la production et la consommation de cannabis restent des actes criminels.

La France, terre de toutes les libertés, ne songe pas à légaliser la production et la consommation de cannabis.

Gestion de risque: ce que la science nous dit des conséquences possibles de la consommation de cannabis

Un article paru dans le journal Le Monde (6 février 2018) rapportait les résultats d’une étude de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT) à l’effet que l’usage du cannabis par des jeunes de 17 ans «diminue les capacités de mémorisation et d’apprentissage, et peut aussi, en cas d’usage régulier, accompagner ou aggraver l’apparition de troubles psychiatriques. Il peut par exemple contribuer chez certaines personnes au développement d’une schizophrénie. Une consommation soutenue peut conduire à un désintérêt pour les activités habituelles, à une fatigue physique et intellectuelle, à des difficultés de concentration et de mémorisation et à une humeur dépressive.»

Or, Statistiques Canada (janvier 2018) estime que les consommateurs âgés de 15 à 17 ans représentent quelque 19% du marché illicite du cannabis au Canada. Cette donnée signifie que près du cinquième des consommateurs de cannabis n’auraient pas l’âge minimal pour s’en procurer licitement. Soit, ils continueront d’avoir recours au marché illicite, soit, ils feront appel à des adultes pour en acheter en leur place, ce qui est aussi illicite.

Puis en janvier 2017, un très sérieux organisme américain, le National Academies of Sciences, Engineering, and Medicine, ayant recensé toutes les études publiées sur le sujet, porte un jugement quant au support scientifique que ces études apportent, ou non, aux différents bénéfices et problèmes associés à la consommation non-médicinale de cannabis.

Le rapport conclut qu’une relation significative («substantial evidence») est démontrée entre la consommation de cannabis et le risque d’accident avec un véhicule motorisé, le développement de schizophrénie et autres psychoses et un moindre poids chez le bébé à la naissance.

Comment la loi québécoise 157 encadrera la future industrie du cannabis

Le projet de loi 157 dans son actuelle formulation impose moult restrictions à la publicité, la promotion, l’étalage, les commandites, l’affichage du produit ainsi que des contraintes à sa distribution. Elle commande l’installation d’affiches dans les points de vente comportant une mise en garde sur les effets nocifs du cannabis sur la santé. Elle constitue un Fonds de prévention et de recherche en matière de cannabis.

Le projet de loi stipule qu’il est interdit à une personne majeure d’acheter du cannabis pour un mineur. La personne majeure qui contrevient à cette disposition commet une infraction et est passible d’une amende de 500 $ à 1 500 $. En cas de récidive, ces montants sont portés au double. Cela sera-t-il suffisant pour bloquer un commerce lucratif de revente de cannabis à des mineurs, surtout que la vente par Internet est autorisée?

Le projet de loi 157 apporte de nombreux ajustements au code de sécurité routière, incluant un article prévoyant qu’un «agent de la paix suspend sur-le-champ, au nom de la Société, pour une période de 90 jours, le permis d’une personne qui conduit un véhicule routier ou qui en a la garde ou le contrôle si l’évaluation effectuée par un agent évaluateur donne à l’agent de la paix des motifs raisonnables de croire que cette personne a les capacités affaiblies par l’effet du cannabis ou d’une autre drogue ou par l’effet combiné du cannabis ou d’une autre drogue et de l’alcool.»

Voici les liens entre la Société québécoise du cannabis, la Société des alcools et les ministères des Finances, de la Santé et des Services Sociaux et celui de la Sécurité publique

Le projet de loi 157 crée la Société québécoise du cannabis (SQC), une filiale de la Société québécoise des alcools (SAQ), qui sera le seul distributeur autorisé à vendre du cannabis aux consommateurs.

Le conseil de la SAQ joue un rôle déterminant dans la gouvernance de la SQC. Il nomme le président du conseil et le PDG (sur recommandation du conseil de la SQC) ainsi les autres membres du conseil de la SQC. Le projet de loi fait du conseil de la SAQ le véritable patron de la filiale SQC.

Toutefois, voulant surveiller ce qui se passe au conseil de la SQC, le gouvernement fait une entorse aux principes de «bonne» gouvernance en stipulant que [l]e ministre des Finances, le ministre de la Santé et des Services sociaux et le ministre de la Sécurité publique désignent chacun un observateur au sein du conseil. Ces observateurs participent aux réunions du conseil, mais n’ont pas droit de vote. (Article 23.6)

Ces observateurs pourront et devront informer leurs ministres respectifs des décisions prises par le conseil de la SQC. Si l’un ou l’autre des ministres est en désaccord, il pourra le faire savoir en communiquant avec le président du conseil de la SQC ou son PDG. Les ministres seront ainsi informés mieux et plus rapidement que le conseil de la SAQ dont relève la SQC! À moins bien sûr, que le conseil de la SAQ ne nomme certains de ses membres au conseil de la SQC, ce que le projet de loi ne prévoit pas, mais n’interdit pas non plus.

Les défis des administrateurs de la future Société québécoise du cannabis (SQC)

Sans aucun doute que les relations entre le conseil de la SQC et le conseil de la SAQ seront problématiques et ambiguës, exigeant beaucoup de doigté et de diplomatie de part et autre.

Mais sur les épaules des administrateurs de ces deux conseils reposent de graves responsabilités; ils devront établir un délicat équilibre entre des objectifs souvent contradictoires:

1-Une marge de distribution et donc un prix au consommateur qui écarte les intervenants criminels sans susciter une augmentation d’adeptes ni de surconsommation;

2-Une surveillance adéquate des moyens multiples pour alimenter le marché des 15 à 17 ans;

3-Une négociation compétente de contrats d’approvisionnement de sorte que la richesse créée par ce marché bénéficie à l’ensemble des citoyens et non pas en trop grande part aux producteurs privés, et ainsi de suite.

 

(Ce texte est coécrit avec Mihaela Firsirotu, ESG (UQAM).)

Les opinions exprimées dans ce texte n’engagent que les auteurs.

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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