La Grèce et ses mythes

Publié le 28/07/2015 à 14:47

La Grèce et ses mythes

Publié le 28/07/2015 à 14:47

Photo Bloomberg.

La crise grecque est facile à comprendre pour qui veut consulter les faits. Comme nous en avons fait la démonstration dans un texte publié le 17 juillet, l’entrée de la Grèce dans la zone euro ne corrigea pas les problèmes structurels de la Grèce mais, au contraire, lui a donné accès à un financement de ses déficits à toute fin pratique au même coût que l’Allemagne.

Propulsé par la forte demande pour les biens de consommation, le PIB grec nominal croît à un rythme plus rapide que l’ensemble des pays de la zone euro de sorte que l’accroissement de sa dette ramenée à son PIB reste constant à quelque 100% jusqu’à la crise financière mondiale de 2008.

Les agences de notation maintiennent la cote de crédit de la Grèce à un bon niveau jusqu’en 2009. (Voir la figure suivante)

Lorsque la crise financière de 2008 survient, le gouvernement grec, comme ceux de tous les pays de la zone euro, ne peut avoir recours au mécanisme d’ajustement monétaire; ses créanciers lui imposent des mesures d’austérité à répétition qui ne corrigent rien et plongent éventuellement la Grèce dans une dépression économique du niveau de celle des années 1930 (chute du PIB de plus de 25%, chômage à 26% et à 50% chez les jeunes).

La monnaie unique a privé la Grèce de signaux d’alarme et de mécanismes d’ajustement graduel :

  • La Grèce hors de la zone euro aurait vu le taux de financement de sa dette publique augmenter selon le niveau des déficits et de la dette totale du pays; un gouvernement subit alors les effets délétères des intérêts plus lourds sur son déficit, ce qui risque d’augmenter encore ses coûts de financement, dans un cercle vicieux qu’il faut stopper avant qu’il ne soit trop tard. Rien de cela ne se produit; en janvier 2008, la Grèce peut encore emprunter à un taux d’intérêt presque identique à celui de l’Allemagne.
  • L’important déficit de son compte courant (exportations moins importations) pour un pays ayant sa propre monnaie aurait mené à une dévaluation relative et graduelle du taux de change; ainsi, les importations deviennent plus chères, l’inflation augmente, les réserves de la banque centrale chutent et ainsi de suite. Ce signal avant-coureur, un mécanisme quasi-automatique d’ajustement, est absent pour tous les pays membres de l’euro, puisque la valeur de l’euro est ancrée plus ou moins à la balance commerciale de toute la zone; l’énorme surplus de l’Allemagne compense pour les déficits des balances commerciales des autres pays, ce qui maintient un euro fort.

Bien sûr que la Grèce aurait pu adopter des politiques économiques et sociales de 2002 à 2007 pour réduire son déficit annuel ou, du moins, en ralentir la croissance. Mais dans une démocratie, les gouvernements ne peuvent agir que s’ils ont obtenu mandat de la population pour mettre en place des mesures douloureuses. Or, membre de la zone euro, la Grèce ne reçoit aucun signal tangible de problèmes à venir, aucun signe précurseur donnant au gouvernement la légitimité pour prendre des mesures radicales. En d’autres mots, en l’absence de crise des finances publiques, les gouvernements grecs, comme dans toute démocratie, n’ont pas fait ce que la population ne voulait pas qu’ils fassent.

Or, les critiques de la Grèce, souvent d’inspiration néo-libérale, insensibles à cette réalité pourtant bien évidente, préfèrent vilipender, calomnier, médire de la Grèce, diffuser sur la blogosphère les mêmes drôleries, les mêmes juteuses anecdotes, les mêmes exemples scandaleux, tout cela sans citer de source ou de référence. Que voilà un phénomène presque banal de notre ère électronique. Ce qui est aussi symptomatique de notre temps, c’est la fulgurante répétition des mêmes histoires maintenant dissociées de la source originale. Or, dans tous ces cas, il existe une sorte de patient zéro de la contagion, l’auteur d’un texte d’abord cité à profusion puis oublié dans la répétition et la déformation du propos original.

Pour la Grèce, le rôle de patient zéro est joué par l’auteur et journaliste financier, Michael Lewis qui dans un article de plus de 11 000 mots dans la revue Vanity Fair d’octobre 2010 a donné sa version de la crise grecque, une version amusante, mal informée et suintante de mépris et de condescendance (« La Grèce, une nation de 11 millions, deux millions de moins que le Grand Los Angeles » écrit-il avec sarcasme, oubliant sans doute que la Grèce est 76ième par sa population sur quelque 165 pays, devant la Suède, le Portugal, la Belgique…).

Il est curieux que la revue n’ait pas fait vérifier ses « faits » avec plus de diligence car Lewis sait amuser mais s’avère ici un très mauvais journaliste. Quoi qu’il en soit, cet article, repris ensuite dans son ouvrage Boomerang publié en 2011, est devenu la source de presque tous les propos diffamatoires sur la Grèce : la Grèce comme une terre de farniente, un pays d’hédonistes corrompus dont l’extravagante consommation est financée par une Europe (Allemagne?) besogneuse et frugale.

La Grèce est-elle sans faute? Bien sûr que non. Justement en raison de ses faiblesses structurelles (déficience chronique pour la collecte des impôts, une fiscalité mal conçue, régimes de retraite suscitant des abus, une économie « au noir » florissante, etc.), la Grèce n’aurait pas dû joindre la zone euro en 2001 malgré l’invitation de la Commission et le support empressé de la France et de l’Allemagne.

Les inepties des gouvernements sont inévitables et universelles

À propos de ce blogue

Yvan Allaire, Ph. D. (MIT), MSRC, est président exécutif du conseil d'administration de l'Institut sur la gouvernance(IGOPP) et professeur émérite de stratégie à l’UQÀM. M. Allaire est le co-fondateur du Groupe SECOR, une grande société canadienne de conseils en stratégie (devenue en 2012 KPMG-Sécor) et de 1996 à 2001, il occupa le poste de vice-président exécutif de Bombardier. Il fut, de 2010 à 2014, membre et président du Global Agenda Council on the Role of Business – Forum économique mondial (World Economic Forum). Profeseur Allaire est auteur de plusieurs ouvrages et articles sur la stratégie d’entreprises et la gouvernance des sociétés publiques et privées.

Yvan Allaire

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