S'enrichir vite grâce aux actionnaires activistes? Oubliez ça!

Offert par Les Affaires


Édition du 30 Septembre 2017

S'enrichir vite grâce aux actionnaires activistes? Oubliez ça!

Offert par Les Affaires


Édition du 30 Septembre 2017

[Photo: 123rf]

Il fut un temps où il suffisait d'acheter le titre d'une entreprise ciblée par un investisseur activiste pour espérer réaliser un gain rapide. Cette époque semble révolue. Non seulement les entreprises résistent plus farouchement que par le passé à ce type d'attaque, mais il y a un phénomène en apparence inoffensif qui complique sérieusement la tâche de ces financiers agitateurs.

Les investisseurs activistes sont... plus actifs que jamais. Les montants investis dans des batailles de procuration en 2017 par les financiers et les entreprises ciblées vont dépasser les sommes dépensées lors des deux années précédentes combinées, souligne Josh Black, rédacteur en chef de la publication spécialisée Activist Insight Monthly, dans son rapport de septembre.

Et ce, avant même que le gestionnaire du fonds de couverture Pershing Square, Bill Ackman, n'engage un bras de fer avec le spécialiste du traitement de la paye Automatic Data Processing (ADP, 108 $ US) le 4 août dernier. M. Ackman a accumulé une participation de 8,3 % de l'entreprise valorisée à 48 milliards de dollars américains (G$ US).

L'hyperactivité des activistes est compréhensible. Comme la majorité des investisseurs, ils peinent à dénicher des occasions «faciles» de s'enrichir après plus de huit ans de marché haussier et à un moment où les marges bénéficiaires des entreprises se trouvent à un sommet historique. Ils doivent dans ce contexte ramer davantage pour repérer des entreprises dont la performance financière est médiocre et convaincre les autres actionnaires de participer à leur croisade pour tasser un président jugé amorphe ou forcer la direction à charcuter ses coûts afin de réacheminer davantage de capital aux investisseurs.

Le gros méchant loup ne fait plus aussi peur aux dirigeants et fait même l'objet de ripostes musclées. Le PDG d'ADP, Carlos Rodriguez, a traité Bill Ackman d'«enfant gâté» lors d'une entrevue télévisée et a lancé une course aux procurations marquée par un appel téléphonique à tous les actionnaires - même petits - pour contrer la démarche de M. Ackman. Celui-ci vise à écarter M. Rodriguez de la présidence et à obtenir cinq sièges au conseil d'administration de l'entreprise.

La direction d'ADP a fait son devoir. Elle a écouté les propositions du financier de 51 ans, mais les a rapidement rejetées. Ce dernier fait notamment valoir que l'entreprise peut augmenter la marge bénéficiaire de ses activités de 16 % pour se rapprocher du niveau de celle de sa rivale Paychex (PAYX, 58,19 $ US). Dans une vidéo où il tente de convaincre les investisseurs de voter en sa faveur au cours de l'assemblée annuelle de novembre, M. Ackman explique que l'entreprise fondée en 1949 s'est taillé une place de chef de file dans le domaine du traitement de la paye au fil du temps. Sa domination s'est toutefois effritée au cours des dernières années, car de nombreux concurrents sont venus la bousculer. Incapable de maîtriser les coûts, la direction a rendu l'entreprise inefficace, soutient-il.

Les chiffres jouent toutefois contre lui. Sous la gouverne de M. Rodriguez depuis le 9 novembre 2011, ADP a procuré à ses actionnaires un rendement incluant dividendes de 203 %, comparativement à 153 % pour les sociétés comparables et à 128 % pour l'indice S&P 500. Au cours des cinq dernières années, ADP a généré une croissance annuelle de ses revenus et de son bénéfice par action d'environ 8 à 13 %, contre 7 % en moyenne pour les entreprises du S&P 500, note Moshe Katri, de Wedbush Securities.

Le titre d'ADP a grimpé de 18 % après que M. Ackman eut fait part de sa démarche au début d'août. Il a toutefois perdu une bonne partie de cette appréciation depuis. C'est que la partie est loin d'être gagnée pour le puissant financier. Sa prétention de gonfler substantiellement la marge bénéficiaire fait des sceptiques.

L'analyste de Wedbush estime que la direction d'ADP a effectué du bon boulot, considérant notamment qu'elle évolue dans un secteur parvenu à maturité. «Tout pivot de la trajectoire actuelle suivie par l'entreprise pourrait mettre en péril la viabilité d'ADP», dit l'analyste dans un récent rapport.

M. Ackman n'est pas le seul activiste à se frotter au blocus des dirigeants des entreprises ciblées. Un autre brasseur de cage bien en vue, David Einhorn, de Greenlight Capital, a échoué dans sa tentative de forcer la direction de General Motors (GM, 39,45 $ US) à scinder son titre en deux catégories d'actions, une qui verserait des dividendes et une qui procurerait aux investisseurs une exposition à tous les bénéfices supplémentaires. Nelson Peltz, de Trian Partners, fait aussi face à une vive opposition de la part de la direction du géant des produits de consommation Procter & Gamble (PG, 92,19 $ US). La plus importante entreprise engagée dans une lutte contre un activiste a poliment rejeté la demande de Trian d'accorder à M. Peltz un siège à son conseil d'administration. Le titre de P&G a progressé de 5 % depuis l'entrée en scène de M. Peltz, à la mi-juillet, contre 1,7 % pour le S&P 500.

De ce côté-ci de la frontière, Jonathan Litt, dont la firme Land & Buildings Investment Management a pris en juin dernier une participation de 4,3 % pour forcer la direction de La Baie (HBC, 12,99 $) à créer de la valeur pour les actionnaires en monétisant entre autres son vaste parc immobilier, n'a pas encore gagné son pari.

Ce qui change la donne

Au-delà de la résistance plus vive des dirigeants qu'ils affrontent, les activistes doivent composer avec un facteur qui n'est pas nouveau, mais qui a gagné en importance : les fonds négociés en Bourse (FNB) et les fonds indiciels qui détiennent d'imposants blocs d'actions.

Les BlackRock, Vanguard et State Street de ce monde cumulent 18 % des actions de P&G et 19 % de celles d'ADP. Comme le faisait récemment remarquer à l'hebdomadaire financier Barron's Ian Winer, directeur de la recherche des actions chez Wedbush Securities, ces fonds suivent une stratégie passive et ne participent donc pas, en théorie, aux campagnes d'activistes. C'est peut-être ce qui explique pourquoi Bill Ackman sort de l'habituel cercle fermé de Wall Street pour courtiser les actionnaires minoritaires.

Pour mettre toutes les chances de leur côté, les opposants font aller le tiroir-caisse. Nelson Peltz et P&G auraient dépensé pas moins de 60 M$ US afin de solliciter des appuis en vue de l'assemblée annuelle du fabricant de Tide et de Pampers, qui se tient à la mi-octobre.

Les croisades menées par les actionnaires activistes ont déjà été très payantes pour les actionnaires - rappelez-vous le bond de plus de 300 % du Canadien Pacifique après l'intervention de Bill Ackman en 2011 -, mais elles semblent moins salutaires. Acheter un titre dans l'espoir qu'un actionnaire activiste vous enrichisse rapidement m'apparaît une stratégie risquée dans le contexte actuel.

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin