Ne soyez pas l'esclave des analystes

Offert par Les Affaires


Édition du 04 Juin 2016

Ne soyez pas l'esclave des analystes

Offert par Les Affaires


Édition du 04 Juin 2016

[Photo : iStock]

«Comment expliquer qu'un analyste réitère sa recommandation de surperformance en faveur du titre d'Héroux-Devtek (Tor., HRX) quand celui-ci se négocie à un prix supérieur à son cours cible ?» Cette question lancée récemment par un collègue m'a montré la nécessité de mettre en perspective le rôle des analystes auprès des investisseurs individuels.

Les médias financiers , notamment Les Affaires, citent abondamment les analystes pour aider les investisseurs à prendre des décisions concernant leurs titres et les orienter vers de nouvelles idées de placement.

Le travail des analystes peut être fort utile, à condition de savoir en faire un usage intelligent. Malheureusement, trop d'investisseurs prennent les recommandations des analystes «pour du cash» et affaiblissent du coup la performance de leur portefeuille.

Contrairement à ce que bien des investisseurs pensent, l'élément qui revêt la plus grande valeur dans le travail des analystes des firmes de courtage n'est ni leurs recommandations d'achat ou de vente, ni leurs cours cibles pour un titre donné. Il s'agit plutôt de l'information contextuelle très riche qu'ils publient, à savoir le portrait de l'industrie dans laquelle évolue l'entreprise, sa concurrence, ses perspectives de croissance, sa capacité de générer des bénéfices, l'évaluation accordée aux sociétés comparables et l'examen de son bilan.

Pour reprendre l'exemple d'Héroux-Devtek, Ben Cherniavsky, de Raymond James, n'a pas été d'une grande utilité pour celui qui s'est arrêté à son cours cible et à sa recommandation. Toutefois, sa note intitulée «Prêt pour le décollage (et l'atterrissage !)» s'est avérée fort instructive, car M. Cherniavsky a profité de son déplacement à Seattle dans le cadre de la journée des investisseurs de Boeing (NY, BA) pour visiter les nouvelles installations voisines du fournisseur longueuillois de trains d'atterrissage. Même si l'usine ne tourne pas à plein régime, l'analyste a fait le point sur le contrat d'envergure qu'Héroux a signé avec Boeing et a ainsi présenté un éclairage original sur le potentiel du titre.

L'une des façons de tirer le meilleur parti du travail des analystes est de cibler ceux qui vous font voir une entreprise sous un nouvel angle. Tous les analystes ne sont pas égaux. Certains possèdent des connaissances plus approfondies que d'autres sur une entreprise en particulier.

Pour éliminer le risque lié au fait que les analystes peuvent avoir un préjugé favorable à l'égard d'une entreprise, il faut s'abstenir de prendre des décisions fondées sur une seule source. Par exemple, ce n'est pas parce qu'un analyste se montre positif envers un titre après avoir été tiède à l'égard de celui-ci pendant un certain temps qu'il s'agit d'une occasion d'achat.

Les grands défauts des analystes

La tâche de l'investisseur qui suit les recommandations des analystes est complexifiée par le fait que ceux-ci ont souvent une mentalité de troupeau. Comme me l'a confié un ancien analyste, il est risqué d'avoir une opinion contraire.

L'analyste qui suggère de vendre un titre quand tous ses homologues en recommandent l'achat peut devenir «le» financier à consulter si sa thèse se concrétise. Mais s'il se trompe, l'analyste pourrait être cloué au pilori.

Un exemple récent me vient en tête. Neil Linsdell, d'Industrielle Alliance Valeurs mobilières, est un des rares à suggérer de vendre Dollarama (Tor., DOL).

En décembre dernier, il avait réitéré sa suggestion de vente et sa cible de 66 $ pour ce titre fétiche du commerce de détail, en raison d'une valorisation qu'il estimait trop élevée. Après que Dollarama eut affiché de solides résultats pour son quatrième trimestre à la fin de mars, M. Linsdell a réaffirmé sa conviction de vendre le titre, mais il a fait passer sa cible de 67 $ à 76 $. L'action de la chaîne montréalaise se négocie à plus de 92 $ au moment d'écrire ces lignes. Cette recommandation fait mal paraître l'analyste. Résistera-t-il encore longtemps à la pression d'être le rare «vendeur» ?

Parlant de recommandations de vente, on en retrouve trop peu. Une étude réalisée par Bespoke Investment Group en février 2015 concluait que, sur 12 000 opinions d'analystes en vigueur sur le marché américain, à peine 6,7 % étaient des recommandations de vente. Près de 49 % des opinions suggéraient l'achat des titres, le reste, de les conserver. On peut comprendre pourquoi. Les analystes veulent éviter de se mettre à dos les dirigeants des sociétés qu'ils couvrent et de priver leurs collègues banquiers de participer à une lucrative émission d'actions.

L'autre grand défaut des analystes est qu'ils font abstraction de l'aspect qualitatif des entreprises. Ils émettent rarement des propos qui remettent en question la stratégie des dirigeants. Pourtant, miser sur les meilleures équipes de direction est l'un des éléments déterminants de la performance à long terme d'un titre.

Il est donc nécessaire d'aller au-delà des recommandations d'analystes et d'approfondir vos connaissances des dirigeants. Ceci, en lisant des rapports annuels, en écoutant les téléconférences qui suivent la publication de résultats trimestriels, en assistant à des allocutions, etc.

Quand aucun analyste ne suit un titre

Si certains titres comme Apple (Nasdaq, AAPL) sont suivis par une cinquantaine d'analystes, d'autres restent totalement dans l'ombre.

Jusqu'en novembre dernier, aucun analyste n'assurait le suivi du titre d'Industries Lassonde (Tor., LAS.A). Pourtant, la société de Rougemont a affiché une brillante performance financière au cours des dernières années. Le producteur des jus Oasis est maintenant suivi par la Financière Banque Nationale.

Il peut être plus compliqué d'obtenir de l'information lorsque l'entreprise n'est suivie par aucun analyste. Cela peut toutefois offrir aux investisseurs une occasion de cueillir un titre à un prix favorable, étant donné qu'il est sous le radar de la communauté financière. L'amorce du suivi d'un titre par les analystes peut faire gonfler l'évaluation qui lui est accordée. Oui, les analystes ont leur place dans votre coffre à outils. Mais n'en soyez surtout pas esclave !

À propos de ce blogue

Après près de 16 années passées au journal Les Affaires, dernièrement en tant que chef de publication pour lesaffaires.com, Yannick Clérouin a rejoint en mars 2018 la société de gestion de portefeuilles Medici.

Yannick Clérouin