Chefs-d'oeuvre en solde.

Publié le 01/05/2012 à 12:18, mis à jour le 01/05/2012 à 13:05

Chefs-d'oeuvre en solde.

Publié le 01/05/2012 à 12:18, mis à jour le 01/05/2012 à 13:05

BLOGUE. Lorsque j’ai pensé à ce blogue, les médias annonçaient hier la mise en vente d’œuvres de la collection du ministère des Affaires étrangères du Canada. La raison première de cette vente est bien entendu de créer des revenus pour le gouvernement en cette période d’austérité budgétaire. La collection dans son ensemble est estimée à 35 millions de dollars. Entre-temps, le ministre John Baird a décidé d’arrêter cette vente de chefs-d’œuvre de Riopelle, Lemieux, Borduas… C’est certainement très sage car on ne peut pas solder les trésors nationaux aux premiers soubresauts de l’économie. Imaginez si la France, qui est dans une situation économique bien plus critique que la nôtre, vendait les Picasso, van Gogh, Modigliani de ses collections pour retrouver l’équilibre budgétaire!

Ces tableaux ont d’abord une portée politique et diplomatique. Ils ornent les murs de nos ambassades à travers le monde. C’est une façon de dire qui nous sommes et d’alimenter nos relations diplomatiques. J’ai eu le privilège de visiter plusieurs de nos résidences officielles à l’étranger. Je dois dire d’abord qu’elles sont nettement moins luxueuses que celles des autres pays du G8. Avant d’être un logement pour le diplomate canadien en poste, ces résidences sont un lieu de réseautage, de réceptions et d’affaires. Les œuvres du Groupe des sept ou de Jean-Paul Lemieux, par exemple, sont une formidable façon de débuter une discussion avec nos vis-à-vis étrangers. Nos artistes et leurs œuvres sont une porte d’entrée et une carte de visite internationale. S’en débarrasser constitue donc un sérieux risque de ce point de vue.

La Presse Canadienne nous apprenait donc hier que 22 œuvres avaient été identifiées pour la vente et qu’elles pourraient rapporter 4 millions de dollars. Une deuxième phase aurait ensuite permis la vente de 140 œuvres supplémentaires. Les fonctionnaires avaient, par exemple, identifié un Riopelle acheté 900$ en 1959, accroché à l’ambassade de Washington depuis et évalué aujourd’hui à 300 000$. La liste est longue de ces œuvres achetées dans les années 50-60 et qui, depuis, ont considérablement pris de la valeur. En mettant ces œuvres sur le marché, on courait éventuellement le risque de déstabiliser l’offre et la demande, même si les clients visés en premier auraient été les musées, auxquels le ministère souhaitait accorder un rabais de 30%.

Souvenez-vous des arguments de la succession Riopelle et de ses batailles judiciaires au début années 2000. En novembre 2003, les enfants du grand peintre faisaient annuler par la Cour supérieure du Québec l’encan de nombreuses œuvres de l’artiste, en avançant principalement l’argument selon lequel le marché n’était pas capable de toutes les absorber en une seule vente. Le marché de l’art est, entre autres éléments, influencé par la rareté de certaines œuvres. Les œuvres comme celles que possède le ministère des Affaires étrangères sont généralement vendues aux musées et aux collectionneurs lors de grandes ventes aux enchères. Approcher la clientèle que représentent les musées en leur offrant un rabais de 30% sur l’œuvre déstabilise le marché.

Que ceux, musées ou collectionneurs, qui se réjouissaient de la disponibilité inattendue d’œuvres majeures de l’art canadien se rassurent, les ventes aux enchères proposent ce printemps quelques perles. Moment fort pour le marché canadien, le 17 mai, l’encanteur Heffel de Vancouver présente sa traditionnelle vente de grands peintres du pays en espérant fracasser de nouveaux records. À l’automne dernier, ils ont vendu Nineteen Ten Remembered, de Jean Paul Lemieux, pour 2,34 millions $, record pour une œuvre canadienne d’après-guerre. Sept œuvres de Lemieux, dont La plage américaine, seront présentées à la vente dans deux semaines, ainsi que quatre œuvres de Borduas, des tableaux de Marcelle Ferron, Jean-Paul Riopelle et Jean-Paul Mousseau . Les 185 lots pourraient totaliser entre 9 et 12 millions de dollars, selon des estimations de la maison Heffel. À l’issue de la vente en 2011, David Heffel remarquait : « actuellement, les œuvres des artistes québécois des années 1950 et 1960 sont très prisées et c'est là que nous voyons une réelle croissance du marché ». L’intérêt est international. En 2010, Man on Verandah d’Alexander Colville a été acheté 1 287 000$ par un collectionneur européen. Ces œuvres ne sont protégées par aucune interdiction de sortie du Canada et pourront donc être acquises par des acheteurs étrangers.

Il y a des pays où les œuvres des grands artistes sont considérées comme des trésors nationaux et ne peuvent pas quitter le territoire. Il y en a d’autres, comme le Canada, où on imagine vendre les trésors que possède le gouvernement, et même de le faire à rabais!

---------------------------------------------------------------------------------------------------------------- 

Sébastien Barangé, Directeur des communications et affaires publiques de CGI. (Twitter @SBarange)

 

Sébastien Barangé est activement engagé auprès de plusieurs organismes à but non lucratif:

membre du comité exécutif d'artsScène Montréal (Business for the arts)

président du conseil d'administration d'Art Souterrain

membre du conseil d'administration de la Fondation Michaëlle Jean

membre du conseil d'administration de la Fondation Tolérance

 

Ancien journaliste à Radio-Canada et collaborateur du Devoir, diplômé en communication de l’Institut d’Études Politiques (Aix-en-Provence, France) et en gestion des arts de HEC Montréal, Sébastien Barangé est curieux de tout ce qui est créatif et invite à penser différemment. Ce blogue est un espace de dialogue autour des liens entre les arts et le monde des affaires.

 

Blogues similaires

Les salutations de Jacques Ménard... ainsi que les miennes

Édition du 30 Juin 2018 | René Vézina

CHRONIQUE. C'est vraiment la fin d'une époque chez BMO Groupe financier, Québec... et le début d'une nouvelle. ...

La fin de ce blogue, une occasion de rebondir

Mis à jour le 06/03/2017 | Julien Brault

BLOGUE INVITÉ. Je pourrai découvrir de nouvelles occasions d'affaires. C'est ainsi que prospèrent les start-ups.