Geler les loyers: une fausse bonne idée

Publié le 08/03/2022 à 15:00

Geler les loyers: une fausse bonne idée

Publié le 08/03/2022 à 15:00

(Photo: Patrick Perkins pour Unsplash)

BLOGUE INVITÉ. Alors que l’explosion du coût de la vie met à mal les finances de nombreux ménages québécois, Québec Solidaire propose de geler les loyers pour un an afin d’aider à améliorer l’accessibilité au logement face à l’importante pénurie qui touche l’ensemble du Québec. 

Une idée qui a pourtant déjà été testée en Ontario et en Colombie-Britannique l’an dernier, sans trop de succès.

 

Quels profits? 

D’emblée, déboulonnons un mythe persistant: les petits propriétaires de duplex et de triplex sont loin de tous rouler sur l’or.

En effet, selon l’Association professionnelle des courtiers immobiliers du Québec, le prix médian pour un petit immeuble à revenus de Montréal était de 690 000$ à l’automne 2021 — ce qui représente une hypothèque de plus de 2800$ par mois aux taux actuellement en vigueur.  

Supposons que vous achetez un duplex à ce prix dans le but de le louer entièrement. Même si vos deux appartements rapportent des revenus moyens pour des 4 et demi dans la région métropolitaine de Montréal, soit 1200$ chacun par mois, vous êtes d’entrée de jeu déficitaire. Et c’est sans compter les autres dépenses comme les taxes municipales et scolaires, l’électricité, le gaz, les frais d’entretien, et j’en passe.

Les propriétaires qui ont acheté dans les dernières années se retrouvent ainsi à subventionner généreusement le logement de leurs locataires. Sachant que leurs marges sont déjà très minces, sinon inexistantes, pourquoi devrait-on alourdir encore plus le fardeau financier que les petits propriétaires doivent assumer en gelant les loyers, comme le propose Québec Solidaire?

 

Vision à courte vue

Alors que le parc immobilier du Québec est de plus en plus vieillissant, d’importants travaux d’entretien et de rénovation sont à prévoir. Un gel de loyers, alors que ceux-ci sont déjà en deçà de la moyenne nord-américaine, forcerait le report de tels travaux aux calendes grecques.  

N’oublions pas que l’inflation et la hausse du coût de la vie touche les propriétaires de petits immeubles tout autant que leurs locataires. Si leurs coûts augmentent, leurs revenus devraient pouvoir en faire tout autant, de manière raisonnable. Rappelons d’ailleurs que les locataires disposent déjà d’une multitude d’outils légaux pour se prémunir face à des hausses drastiques injustifiées.

Si on veut éviter que les locataires ne se retrouvent pris à vivre dans des appartements décrépits et insalubres, on doit être en mesure d’assurer aux petits propriétaires des revenus suffisants pour assurer l’entretien de leur immeuble. Il en va non pas des profits des propriétaires, mais avant tout de la qualité de vie des locataires.

Qui plus est, alors qu’on manque de logis partout, une réglementation trop lourde ne fait qu’agir comme un frein à la mise en chantier de nouveaux logements en décourageant les promoteurs. Plutôt que de serrer encore plus la vis aux investisseurs immobiliers, Québec devrait s’atteler à créer un environnement favorable à la multiplication d’immeubles locatifs par le secteur privé, pas l’inverse.

En somme, un gel des loyers représenterait peut-être un petit gain à court terme pour les locataires, mais ce serait potentiellement une grosse perte à long terme, tant pour les propriétaires que pour les locataires. Le jeu n’en vaut assurément pas la chandelle.

 

Promesses électorales

Cette sortie de Québec Solidaire, à quelques mois des élections générales, n’est pas anodine. Avec de telles propositions, le parti de gauche souhaite parler directement à sa base électorale, particulièrement sensible à la question du logement.

On est ici devant le genre d’engagement électoraliste totalement irréaliste, mais qui fait jaser dans certains milieux. Pour Québec Solidaire, c’est surtout une occasion de se positionner en grand défenseur des plus démunis et de galvaniser ses militants autour d’enjeux prioritaires pour eux.

Les libéraux de Dominique Anglade ont employé une stratégie similaire en annonçant cette semaine leur intention d’accorder un soutien de 2000 $ par année aux aînés de 70 ans et plus pour les aider à rester plus longtemps à domicile. Là encore, c’est une proposition purement destinée à renforcer la base électorale du PLQ, généralement plus âgée.

Avec les élections provinciales à nos portes, on n’a pas fini d’entendre des promesses toutes plus irréalistes les unes que les autres, tous partis confondus. Le festival des engagements qui ne seront jamais réalisés est officiellement commencé.

 

Vrai problème, fausse solution

Si Gabriel Nadeau-Dubois et ses troupes veulent véritablement mettre un terme à la crise du logement et aider les plus vulnérables de notre société à avoir accès à un logis décent, qu’ils promettent d’investir massivement dans le logement social aux élections de cet automne. 

Pour y parvenir, ça prendra une injection considérable de fonds publics. Pour financer tout ça, QS devra probablement augmenter vos taxes et impôts — et ça, c’est pas mal moins séduisant que de pelleter la responsabilité dans la cour des autres…

Chose certaine, contrairement à ce que Québec Solidaire semble croire, la solution à l’enjeu du logement ne passera jamais par l’alourdissement du fardeau déjà écrasant qui pèse sur les épaules des petits propriétaires.

À propos de ce blogue

Cumulant plus de 15 années d'expérience dans les domaines des médias, des relations publiques et de la politique fédérale, provinciale et municipale, Raphaël Melançon est consultant en affaires publiques et président-fondateur de Trafalgar Stratégies. Diplômé de l’Université de Montréal en communication et science politique et titulaire d’un MBA de HEC Montréal, il analyse à travers ce blogue les décisions politiques qui ont des impacts sur le monde des affaires québécois et canadien.

Raphaël Melançon

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