Valeur ou croissance? Allez au-delà des étiquettes

Publié le 26/03/2021 à 14:08

Valeur ou croissance? Allez au-delà des étiquettes

Publié le 26/03/2021 à 14:08

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Nous cherchons tous à simplifier notre prise de décision. En psychologie, on appelle «heuristiques» les trucs que nous développons pour accélérer nos décisions. Généralement, ces heuristiques nous servent bien. Voudriez-vous vraiment prendre tout le temps requis pour choisir quels vêtements porter aujourd’hui? Ou pour choisir le type de céréales que vous achèterez à vos enfants? 95% du temps, les heuristiques que nous avons développées nous font économiser temps et énergie, sans nous causer de problèmes importants.

Mais dans d’autres situations, ces heuristiques nous servent moins bien et peuvent mener à des erreurs coûteuses.

Une de ces heuristiques est notre tendance à classer, à placer divers phénomènes dans deux camps opposés. Dans bien des domaines, nous avons tendance à dire qu’une situation est blanche ou noire. Une personne est conservatrice ou progressiste, Démocrate ou Républicaine, riche ou pauvre, en santé ou malade, raisonnable ou déraisonnable, etc. Rarement qualifierons-nous les choses ou les gens d’une nuance de gris alors que dans la réalité, c’est la couleur qui caractérise la grande majorité des phénomènes.

En investissement, les étiquettes de prédilection sont «valeur» ou «croissance». La majorité des investisseurs se placent dans l’un de ces deux camps; d’autres, quelque part entre les deux, par exemple ceux qui adoptent la philosophie GARP ou «Growth At a Reasonable Price» («Croissance à un prix raisonnable»). L’investisseur «valeur» recherche des titres peu chers de sociétés qui ne sont pas réellement en croissance, mais dont la valeur des actifs serait sous-évaluée par les marchés boursiers. L’investisseur «croissance» investit dans des entreprises en forte croissance et sera généralement prêt à payer un prix élevé pour une telle croissance, l’idée étant que la forte croissance de l’entreprise rend la valeur actuelle du titre moins significative.

J’estime pourtant qu’une telle catégorisation est trop simpliste. Selon la pratique courante, je crois qu’on étiquetterait la philosophie d’investissement de COTE 100 comme étant celle d’un investisseur «valeur» car nous cherchons à investir dans des titres de sociétés qui, à notre avis, sont sous-évalués par rapport à l’évaluation fondamentale que nous en faisons. Mais cette étiquette est-elle précise?

Pour moi, la croissance historique et future d’une entreprise fait intégralement partie de l’évaluation que l’on en fait. Le titre de la société qui n’a pas de potentiel de croissance vaudra bien moins cher que celui de la société qui affiche une forte croissance. Par exemple, je comprends très bien que le titre de Visa, qui affiche une croissance interne robuste depuis de nombreuses années et dont les perspectives de croissance semblent toujours très robustes, mérite des ratios d’évaluation sensiblement plus élevés que le titre d’une société telle que Metro dont la croissance est beaucoup plus modeste. Pourtant, ce sont deux titres que nous détenons dans nos portefeuilles.

Dans un monde idéal, je ne choisirais que des titres de sociétés de forte croissance. Trouvez-moi des sociétés qui pourront accroître leurs bénéfices nets de 10% ou plus par année pour les dix ou vingt prochaines années et je serai intéressé d’y investir.

Mais en réalité, cet énoncé présente deux gros problèmes. D’une part, les sociétés qui réussissent à croître rapidement sont généralement évaluées très chèrement en Bourse. Par exemple, le titre d’Amazon, probablement le titre étendard du camp de l’investissement «croissance», s’échange présentement à plus de 66,0 fois les bénéfices prévus de 2021. L’autre problème de taille est qu’il est bien difficile d’identifier les sociétés qui continueront de croître rapidement pendant de nombreuses années. Nous vivons dans un monde capitaliste où la concurrence est féroce et les changements technologiques très rapides. C’est pourquoi les prévisions de forte croissance future sont généralement incertaines. C’est d’ailleurs pour laquelle il est selon moi plutôt dangereux de favoriser la croissance sans trop d’égard à l’évaluation d’un titre.

Je crois que l’étiquette que s’adjugent les gestionnaires et les investisseurs – un investisseur «valeur» par opposition à un investisseur «croissance» – peut mener à des erreurs. Présentement, il me semble que la plupart des occasions d’acheter des titres à bon prix se trouvent parmi les titres de sociétés plus traditionnelles que plusieurs pourraient étiqueter comme étant des titres «valeur». En ce sens, celui ou celle qui a fait son lit dans le camp «croissance» pourrait fort bien rater des occasions intéressantes. En même temps, j’estime que l’investisseur «valeur» devrait constamment rechercher des occasions parmi les titres de sociétés de croissance.

En somme, un investisseur ne devrait pas se placer dans un camp ou dans l’autre, mais chercher à dénicher des occasions dans l’ensemble du marché, sans se laisser influencer par des catégorisations simplistes.

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

Chef des placements, COTE 100

À propos de ce blogue

Philippe Le Blanc est gestionnaire de portefeuille chez COTE 100 et éditeur de la Lettre financière COTE 100+. Il est également l’auteur du livre Avantage Bourse et coauteur de La Bourse ou la Vie.

Philippe Leblanc
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