Comment évaluer la valeur des entreprises déficitaires: l'exemple de Tesla

Publié le 06/09/2019 à 16:03

Comment évaluer la valeur des entreprises déficitaires: l'exemple de Tesla

Publié le 06/09/2019 à 16:03

Le PDG de Tesla, Elon Musk

Le PDG de Tesla, Elon Musk (Photo: Getty images)

BLOGUE INVITÉ. À la suite des trois blogues que j’ai écrits au début de l’été intitulés «Comment calculer la valeur intrinsèque d’une société», un lecteur m’a fait parvenir le courriel suivant:

J’ai bien aimé lire vos articles sur le calcul de la valeur intrinsèque d’une société qui vulgarisent bien les concepts clés des méthodes simples d’analyse. Je crois qu’il pourrait également être intéressant d’avoir une partie 4 pour le calcul de la valeur d’une entreprise ne réalisant pas de bénéfices, que ce soit une entreprise en croissance qui n’a historiquement jamais atteint le seuil de rentabilité ou bien une entreprise historiquement rentable qui a souffert d’une année de déficit.

Voici ma réponse.

Sur papier, l’évaluation de toute entreprise est simple: elle est la somme escomptée des flux de trésorerie libres qu’elle dégagera au cours de son existence.

Simple en théorie, mais pas facile à appliquer dans la réalité. C’est encore plus vrai pour les sociétés qui ne font pas de bénéfices présentement et qui n’en feront probablement pas avant longtemps. Or c’est le cas, il me semble, de nombreuses sociétés technologiques qui attirent l’attention de bien des investisseurs depuis quelques années. J’ai déjà écrit au sujet d’Uber et de Lyft, mais bien d’autres sociétés comme Tesla sont dans une situation semblable. Il semble que bien des entreprises technologiques aient adopté la stratégie «If You Build It, They Will Come»: bâtissez votre modèle d’affaires et les bénéfices finiront bien par arriver... un jour.

Là est le hic. Pour évaluer une entreprise déficitaire, on n’a pas vraiment d’autre choix que de tenter de prévoir quand elle deviendra rentable et à quelle hauteur. Une fois que vous aurez réussi à établir vos prévisions de bénéfices et de flux de trésorerie libres futurs, il suffira d’escompter ces derniers à leur valeur d’aujourd’hui.

Un autre problème guette de nombreuses sociétés déficitaires: elles ont régulièrement besoin d’obtenir davantage de capital afin de financer leur croissance et éponger leurs pertes. Ainsi, pour évaluer de telles entreprises, non seulement devrez-vous prévoir les bénéfices futurs, mais vous devrez tenir compte de la forte possibilité que le nombre d’actions de la société augmentera sensiblement dans le futur.

Prenons l’exemple d’une société bien en vue et qui est encore aujourd’hui déficitaire: Tesla.

Voici les revenus totaux, les pertes nettes et les flux de trésorerie libres (négatifs) que la société a enregistrés au cours des cinq derniers exercices ainsi qu’au cours des six premiers mois de 2019. J’ai ajouté le nombre d’actions en circulation de la société à la fin de chaque période:

 

Tesla 6 mois (au 30 juin 2019) 6 mois (au 30 juin 2018) 2018 2017 2016 2015 2014
Revenus (M$) 10 891 $ 5 680 $ 21 461 $ 11 759 $ 7 000 $ 4 046 $ 3 198 $
Pertes nettes (M$) -1 057 $ -1 527 $ -976 $ -1 961 $ -675 $ -889 $ -294 $
Flux de trésorerie libres (M$) -306 $ -1 794 $ -3 $ -3 476 $ -1 405 $ -2 159 $ -1 027 $
Actions en circulation (M) 174,8 169,6 170,5 165,8 144,2 128,2 124,5
   
   

 

Ainsi, au cours des dernières cinq années et demie, Tesla a cumulé des revenus de près de 58,5 milliards (G)$, alors que ses pertes ont totalisé plus de 5,8 G$ et ses flux de trésorerie libres, près de – 8,4 G$. Pendant ce temps, le nombre moyen d’actions en circulation a augmenté de 40%.

Pour évaluer Tesla, vous devrez prévoir quand la société atteindra véritablement le point d'équilibre. Elle semble s’en rapprocher alors qu’elle a enregistré quelques trimestres rentables depuis 2018. Ensuite, vous devrez établir des prévisions de flux de trésorerie libres (positifs et/ou négatifs) pour les années à venir et les escompter à leur valeur d’aujourd’hui (à un taux d’escompte relativement élevé), lequel reflétera le caractère risqué et plutôt aléatoire de ces prévisions.

En somme, l’évaluation de sociétés déficitaires est un exercice que je qualifierais de haute voltige. En modifiant quelques-unes des variables utilisées, que ce soit votre projection de bénéfices ou le taux d’escompte, cette évaluation changera substantiellement.

Au départ de cette série de blogues sur l’évaluation des entreprises, j’ai écrit: «L’évaluation d’une entreprise relève de l’art plutôt que de la science». C’est encore plus vrai pour l’évaluation d’entreprises qui perdent de l’argent. J’ai aussi écrit: «Je ne crois pas qu’il vaille la peine de développer des modèles détaillés et complexes de prévisions de bénéfices pour les cinq ou dix prochaines années. C’est pourtant ce que de nombreux analystes financiers font. Comme on dit souvent: ʺMieux vaut avoir approximativement raison que précisément tort.ʺ»

Vous aurez compris pourquoi dans nos investissements, nous avons décidé il y a longtemps de ne pas toucher aux titres d’entreprises déficitaires. Pourquoi se compliquer la vie?

Philippe Le Blanc, CFA, MBA

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