Wall Street est-elle de gauche ou de droite?

Publié le 17/08/2022 à 13:00

Wall Street est-elle de gauche ou de droite?

Publié le 17/08/2022 à 13:00

Les grands centres financiers comme Wall Street et Bay Street sont friands de l'ALENA-ACEUM. (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. «L’argent mène le monde» est un dicton bien connu et Wall Street est le symbole incontesté de la puissance de l’argent, de la finance, du «capital» comme disait Karl Marx lui-même.

Alors que des élections américaines de mi-mandat approchent et que nos propres élections générales provinciales se tiendront en automne, il semble pertinent de se (re)poser la question: de quel côté penche Wall Street politiquement et idéologiquement?

 

La gauche et le capital: incompatibles?

On pourrait penser que Wall Street et les hyperriches appuieraient les partis à droite de l’échiquier politique, ces derniers étant plus favorables, en théorie, au libéralisme, au laissez-faire économique et aux régimes fiscaux minimalistes. La gauche, elle, qui est collectiviste, favorable à des taux d’imposition élevés, à la redistribution et généralement critique du capitalisme, semble plutôt être l’antithèse de la haute finance de Wall Street.

Pourtant, c’est trompeur.

D’après OpenSecrets, un organisme non affilié qui surveille et catégorise le financement des différentes campagnes électorales aux États-Unis, les deux derniers candidats aux élections présidentielles du parti démocrate — généralement classé à gauche — Hillary Clinton et Joe Biden, ont bénéficié d’un financement des professionnels de Wall Street presque quatre fois plus élevé que leur adversaire républicain, Donald Trump, ancré à droite politiquement.

Même cette classe des ultra-privilégiés que sont les milliardaires a également favorisé la campagne de Biden en lui octroyant le double des contributions financières de celles dont l’équipe de Trump a bénéficié d’après le magazine Forbes.

Logiquement, on aurait pu s’attendre à l’inverse, soit un appui significatif de Wall Street pour Donald Trump, un magnat de l’immobilier, un milliardaire et un fier New-Yorkais de surcroît.

Certains diront que la polarisation politique et sociale aux États-Unis a mené le secteur de la finance à choisir l’apaisement relatif que semblait offrir le candidat démocrate.

On peut tout de même se questionner sur l’incompatibilité idéologique apparente entre la haute finance de Wall Street et cette grande coalition de la gauche américaine qu’est le Parti démocrate et qui compte dans ses rangs des supporteurs du mouvement Occupy Wall Street, de plusieurs courants marxistes ainsi que Black Lives Matter.

Cela dit, on pourrait également concevoir cette alliance comme le dernier d’une série d’exemples où les partis de gauche fusionnent avec l’influence du capital, de la haute finance, et pas seulement aux États-Unis.

 

Wall Street, Bay Street et l’ALENA

L’exemple de l’appui de Wall Street à Joe Biden n’est pas anecdotique. Il est plutôt un exemple récent d’une tendance lourde, celle du triomphe du capital par la voie de la mondialisation et du néolibéralisme comme seul modèle économique viable aujourd’hui, et ce, par le biais des partis politiques de gauche ou de droite.

Après tout, Barack Obama, président américain de 2008 à 2016 et un demi-dieu de la gauche américaine, s’était empressé d’approuver et de signer les accords de libre-échange les plus importants depuis l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA) — aujourd’hui connu comme l’Accord Canada-États-Unis-Mexique. On peut penser que ses adversaires républicains [John McCain et Mitt Romney] — défaits aux élections présidentielles — auraient signé les mêmes accords si ces derniers s’étaient retrouvés au pouvoir.

De notre côté de la frontière, au début des années 90, la signature de l’ALENA en 1992 par le premier ministre Brian Mulroney du Parti progressiste-conservateur avait mené le Parti libéral du Canada (PLC) à s’opposer vivement à l’accord.

Peu de temps après avoir saisi le pouvoir à la suite du départ de Mulroney et des conservateurs, le PLC n’avait pas concrètement tenté de revenir sur l’accord et peu de temps après, il en est devenu son porte-parole principal.

Rappelons que du côté américain, l’accord négocié par George H. W. Bush, un républicain, avait été signé et approuvé par Bill Clinton, un homme de centre gauche et un démocrate qui avaient fait campagne en 1992 sur une plateforme économique qu’on pourrait qualifier comme penchant vers la gauche.

Le débat au sujet de l’adoption de l’ALENA n’était donc que symbolique alors que les conservateurs et les républicains (centre droit) ainsi que les libéraux et les démocrates (centre gauche) étaient tous en faveur de cet accord de libre-échange pour lequel les grands centres financiers comme Wall Street et Bay Street sont friands.

 

Le dernier des modèles économiques?

L’objectif de ce texte n’est pas de critiquer la forme avancée que prend le «capital» aujourd’hui, soit le néolibéralisme, le libre-échangisme et la mondialisation, tous des concepts complémentaires de la même famille économique.

Après tout, il est difficile de nier l’augmentation de la richesse et de la qualité de vie à l’échelle mondiale, aussi inégale soit-elle, au courant des dernières décennies de mondialisation, surtout quand on compare ces résultats à ceux du grand système économique rival du 20e siècle qu’a été le communisme.

Mais force est de constater qu’au-delà des grands discours politiques, l’influence idéologique du «capital» et du libéralisme économique — comme si nous ne pouvions réellement imaginer un modèle économique autre — à gauche comme à droite, est pour le meilleur ou pour le pire.

À propos de ce blogue

Considérée à une certaine époque comme un temple de la rigidité, de la hiérarchie, d’un certain conservatisme même, l’entreprise évolue aujourd’hui à grande vitesse et est souvent l’une des premières institutions, avec l’université et les médias, à adopter les mouvances dominantes du moment. En décortiquant les événements du monde des affaires qui font les manchettes, ce blogue analyse l’influence des tendances politiques et idéologiques qui s’installent dans le monde de l’entreprise et des affaires dans l’objectif d’aider les différentes parties prenantes, des employés aux employeurs jusqu’aux consommateurs, à naviguer ces fluctuations nombreuses et parfois déroutantes. Philippe Labrecque est auteur et journaliste indépendant. Il a travaillé pendant une dizaine d’années en développement économique et en intelligence d’affaires après avoir complété un baccalauréat en sciences politiques et une maîtrise en politiques publiques à l’Université Concordia, un certificat en études politiques européennes de l’Institut d’études politiques de Strasbourg ainsi qu’une maîtrise en études des conflits internationaux au King’s College de Londres. Philippe Labrecque est l’auteur du livre «Comprendre le conservatisme en 14 entretiens» aux éditions Liber (2016) ainsi que de plusieurs articles d’opinions et d’analyses publiés au sein de publications québécoises, britanniques, françaises et américaines.

Philippe Labrecque

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