Peut-on (encore) ne pas être «woke» en entreprise?

Publié le 20/04/2022 à 12:30

Peut-on (encore) ne pas être «woke» en entreprise?

Publié le 20/04/2022 à 12:30

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Permettez-moi de revenir sur la controverse suscitée par l’affaire de discrimination positive à l’Université Laval. Je ne tenterai pas de défendre ou de critiquer la logique intrinsèque et philosophique de cette politique d’embauche. Plusieurs l’ont déjà fait dans les médias, pour ou contre, et ce qui devait être dit a été dit de chaque côté de l’argument.

Cependant, malgré l’ampleur du débat public, une question qui concerne nos relations de travail et notre trajectoire de carrière n’a jamais émergé: peut-on encore ne pas être woke en entreprise?

Pourquoi dire woke? Car c’est une expression largement rependue et comprise qui désigne un ensemble idéologique incluant le concept de discrimination positive, mais aussi ceux du «racisme systémique» et des «biais inconscients» qui inspirent une série de mesures et de politiques dans différents domaines, notamment en entreprise.

Soyons francs. Malgré quelques voix réfractaires, cette idéologie domine aujourd’hui le discours public, du monde des affaires, des communications, de la publicité et, surtout, celui des départements de ressources humaines au sein des grandes entreprises, des universités, des médias et de la fonction publique, notamment.

 

À vos risques et périls

Alors que le débat reste souvent théorique, en pratique, s’opposer ouvertement à ces mesures wokes en entreprise, que ce soit à ladite pratique de discrimination positive à l’embauche ou bien à l’instauration de différentes formations et de séminaires portant sur les «biais inconscients» des employés, serait sûrement dommageable pour le statut du malheureux qui s’y risquerait.

Même les grands dirigeants du monde des affaires plient le genou publiquement et quotidiennement devant le «wokisme», bien que certains possèdent souvent une influence qui dépasse celle de certains chefs d’État. Imaginez alors la pression idéologique à laquelle fait face un simple employé qui veut s’assurer de mettre du pain sur la table pour sa famille.

D’ailleurs, un nouveau phénomène de plus en plus évident émerge alors que les plus ambitieux ont compris qu’ils doivent démontrer une adhésion enthousiasmée au «wokisme» s’ils veulent gravir les échelons, et ce, même si plusieurs d’entre eux, en privé, vous avoueront désapprouver cet ensemble idéologique.

On observe donc une grande hypocrisie au sein des entreprises alors que plusieurs, peut-être même une majorité, s’opposent philosophiquement aux concepts du «wokisme», et ce pour des raisons valables, mais se taisent par peur d’être ostracisés professionnellement et socialement.

Pour ceux qui veulent tester le constat exposé ci-dessus, il serait intéressant de tenter l’expérience sociologique suivante lors de votre prochaine réunion de travail. Que vous y croyiez ou non, proposez publiquement, devant tous vos collègues, ainsi que vos supérieurs, de mettre fin à toutes les mesures liées à la discrimination positive et aux différentes formations en «équité, diversité et inclusion». Si le cœur vous en dit, proposez également à l’entreprise de rendre publique cette nouvelle politique «antiwoke».

Il est fort à parier que peu d’entre nous se risqueront à un tel exercice masochiste pour des raisons évidentes. Cet exemple révèle le non-dit du discours des dernières semaines, qui est que le débat est tout compte fait conclu au sein des entreprises, et ce, depuis déjà quelques années.

L’adoption sans réserve des concepts et de différentes mesures inspirées par l’idéologie «woke» le démontre et son influence est telle que toute résistance est devenue presque futile.

Certains répliqueront, avec raison, que plusieurs entreprises se façonnent une image publique à peu de frais en publicisant leur «engagement social», tout en appliquant que des changements cosmétiques, et que le «wokisme» ne serait donc pas tout puissant aux plus hauts échelons de la direction.

Cela dit, le simple fait qu’il soit difficile d’imaginer une entreprise ayant publiquement refusé d’adopter de telles mesures, au moins symboliquement, démontre l’inévitabilité d’une certaine soumission de surface, au minimum.

Revenons à la question initiale: peut-on encore ne pas être woke en entreprise? Je répondrai «oui», mais discrètement et à vos risques et périls.

 

 

 


À propos de ce blogue

Considérée à une certaine époque comme un temple de la rigidité, de la hiérarchie, d’un certain conservatisme même, l’entreprise évolue aujourd’hui à grande vitesse et est souvent l’une des premières institutions, avec l’université et les médias, à adopter les mouvances dominantes du moment. En décortiquant les événements du monde des affaires qui font les manchettes, ce blogue analyse l’influence des tendances politiques et idéologiques qui s’installent dans le monde de l’entreprise et des affaires dans l’objectif d’aider les différentes parties prenantes, des employés aux employeurs jusqu’aux consommateurs, à naviguer ces fluctuations nombreuses et parfois déroutantes. Philippe Labrecque est auteur et journaliste indépendant. Il a travaillé pendant une dizaine d’années en développement économique et en intelligence d’affaires après avoir complété un baccalauréat en sciences politiques et une maîtrise en politiques publiques à l’Université Concordia, un certificat en études politiques européennes de l’Institut d’études politiques de Strasbourg ainsi qu’une maîtrise en études des conflits internationaux au King’s College de Londres. Philippe Labrecque est l’auteur du livre «Comprendre le conservatisme en 14 entretiens» aux éditions Liber (2016) ainsi que de plusieurs articles d’opinions et d’analyses publiés au sein de publications québécoises, britanniques, françaises et américaines.

Philippe Labrecque

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