Employés, Microsoft aide votre boss à vous surveiller!

Publié le 01/12/2020 à 07:00

Employés, Microsoft aide votre boss à vous surveiller!

Publié le 01/12/2020 à 07:00

Un contrôle à distance vivement critiqué... (Photo: Charles Deluvio pour Unsplash)

BLOGUE. Depuis le 17 novembre, Microsoft a déployé une nouvelle fonctionnalité dénommée «Productivity Score» qui permet aux employeurs de savoir comment leurs employés se servent de leurs outils informatiques comme Word, Excel, Skype, Outlook et autres Teams. De le savoir avec une précision extrême puisque cette fonctionnalité comporte 73 mesures, présentées sous forme de graphiques sur une dizaine de pages.

Autrement dit, il n’y a maintenant rien de plus simple pour un employeur que de savoir ce que font de leurs journées leurs employés en télétravail, ou même au bureau, au clic près. Par exemple, un graphique lui indique la fréquence à laquelle un employé envoie des courriels, chaque fois qu’il contribue à un document partagé par son équipe, ou encore le nombre de fois où il a eu une participation active aux réunions virtuelles.

Lors du lancement de cette fonctionnalité de Microsoft 365 Business, la firme de Redmond a indiqué qu’il s’agissait là d’une compilation d’informations «susceptibles de transformer la façon dont le travail est aujourd’hui effectué». Et elle a ajouté que les «scores de productivité» de chaque employé et de chaque équipe de travail pouvaient permettre à l’employeur de déceler certains faibles rendements jusqu’alors «invisibles» (ex.: une réunion hebdomadaire dont il ne ressort jamais grand chose; un employé qui peine à utiliser Excel et qui n’a jamais voulu le dire, de peur de se faire chicaner; etc.), et donc, de pallier à celles-ci avec une grande efficacité.

Le hic? C’est, bien entendu, que tout cela nuit gravement à la vie privée des individus.

David Heinemeier Hansson, l’un des fondateurs de la suite bureautique Basecamp, n’a cessé de le décrier depuis une semaine, tweet après tweet. «Le mot ‘dystopique’ n’est pas assez fort pour décrire ce que Microsoft vient de faire, a-t-il notamment tweeté. On peut carrément parler de ‘nouveau cercle des Enfers’. C’est que surveiller à distance en permanence revient à commettre un abus psychologique. C’est que cela aura pour effet d’inciter les gens à faire semblant de travailler, en ouvrant à tout bout de champ différentes applications, histoire de ‘booster’ leurs statistiques. Et il est clair que, ces temps-ci, ce n’est vraiment pas ce dont ont besoin les organisations...»

Et d’ajouter, toujours dans un tweet: «En guise d’illustration, imaginez que quelqu’un s’installe toute la journée à vos côtés, un chronomètre et une enregistreuse dans les mains. Qu’à chaque minute, qu’à chaque seconde de votre journée de travail, cette personne surveille et contrôle chacune de vos tâches effectuées, chacun de vos gestes. Et que cette même personne fasse ensuite le résumé de votre performance quotidienne à la haute-direction, en fin de journée».

Pour finir par enfoncer le clou: «C’est moralement intolérable».

Bombardée de critiques, Microsoft a tenu à réagir. «Notre nouvelle fonctionnalité n’est aucunement un outil de surveillance du travail et des travailleurs, a déclaré Jared Spataro, le vice-président de Microsoft 365. Il est d’ailleurs parfaitement possible d’anonymiser les données recueillies, de préserver la confidentialité des utilisateurs.»

Mais voilà, si cette anonymisation est bel et bien possible, elle relève avant tout de l’employeur: c’est lui qui peut décider si les données recueillies seront anonymes, ou pas; pas les employés. Si bien que rien n’empêche, en théorie, un employeur de se mettre à ‘espionner’ l’un de ses employés, ou l’ensemble de ceux-ci. Et rien ne dit qu’un employé, ou plusieurs d’entre eux, puissent effectivement s’en plaindre, par exemple en allant devant les tribunaux pour trancher si cela est une pratique acceptable de la part d’un employeur, ou pas. (À noter à ce sujet que différents experts ont évoqué le fait qu’un tel ‘espionnage’ était a priori illégal dans plusieurs pays européens, des lois locales l’interdisant explicitement, mais que dans les autres il n’y avait pas vraiment de jurisprudence sur ce point précis.)

Alors? Les employeurs vont-ils se ruer sur cette nouvelle fonctionnalité de Microsoft? Eh bien, cela semble une possibilité, surtout pour ceux qui recourent au télétravail et qui ont l’impression de perdre ainsi le contrôle qu’ils avaient sur leurs employés. Une récente enquête du cabinet d’études Gartner indique en effet qu’en Amérique du Nord 16% des entreprises ayant adopté le télétravail reconnaissaient recourir à des outils de surveillance «pour suivre l’utilisation que leurs employés font du matériel informatique». Et l’enquête disait qu’il fallait s’attendre à ce que ce pourcentage aille croissant dans les mois à venir, vu que le télétravail semble là pour perdurer…

16%, donc. Et davantage encore d’ici peu de temps. On le voit bien, il y a là un marché à prendre, celui de la surveillance à distance des employés. Un marché tel que Microsoft a pris le risque de s’y aventurer. Un risque sûrement calculé. À vous de voir, maintenant, si cela vous convient d’être ainsi ‘commandé & contrôlé’ à chaque minute, à chaque seconde, de votre journée de travail, ou pas. Si vous comptez vous opposer à ce Big Brother des temps modernes, ou pas. Si votre bien-être au travail est une vraie priorité, ou pas.

En passant, l’homme d’État russe Vladimir Ilitch Lénine disait: «La confiance n’exclut pas le contrôle».

PLUS: «Les Canadiens disent non à la surveillance du télétravail!»

*****

Découvrez mes précédents billets

Mon groupe LinkedIn

Ma page Facebook

Mon compte Twitter

Et mon dernier livre : 11 choses que Mark Zuckerberg fait autrement

À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

Blogues similaires

L’exclusion des cadres des casinos du droit à la syndicalisation serait constitutionnelle

L’Association des cadres de la Société des casinos du Québec a déposé une requête en accréditation syndicale en 2009.

Les salutations de Jacques Ménard... ainsi que les miennes

Édition du 30 Juin 2018 | René Vézina

CHRONIQUE. C'est vraiment la fin d'une époque chez BMO Groupe financier, Québec... et le début d'une nouvelle. ...