Critiquer, une bonne ou une mauvaise attitude au travail?

Publié le 19/11/2020 à 08:01

Critiquer, une bonne ou une mauvaise attitude au travail?

Publié le 19/11/2020 à 08:01

Souvent, la critique est mal prise... (Photo: Sarah Kilian pour Unsplash)

BLOGUE. Chialeur, défaitiste, semeur de troubles… L’employé qui critique est souvent mal vu, de la haute-direction comme de la plupart de ses collègues. Car on estime alors qu’il a un sale caractère, qu’il est négatif, ou pis, qu’il est à la fois ambitieux et calculateur, cherchant, en vérité, à parler plus fort que les autres pour pouvoir prendre l’ascendant sur tout le monde.

C’est bien simple, la critique est tellement honnie au travail que même lorsqu’il s’agit d’innover, de trouver ensemble des idées neuves, par exemple lors d’une réunion de brainstorming, la convention veut qu’aucune critique ne soit exprimée. Absolument aucune. Parce que l’inventeur de ce type de réunion - le publicitaire américain Alex Osborn - a décrété dans les années 1940 que pour que des idées neuves puissent naître d’une réflexion commune il était impératif que la pensée soit «libre et sans jugement», ce que beaucoup ont traduit par l’interdiction explicite de toute critique. D’ailleurs, la célèbre agence de design Ideo est réputée pour chérir cette approche, ayant même instauré la règle de se servir d’une cloche chaque fois qu’un participant à une réunion de brainstorming émet un propos critique...

OK. Mais voilà, et si on se trompait lourdement en faisant taire toute forme de critique au travail…

Jared Curhan est professeur de management à l’École de management Sloan du MIT, à Cambridge (États-Unis). Avec ses étudiantes Tatiana Labuzova et Aditi Mehta, il a signé une étude intitulée «Cooperative criticism: When criticism enhances creativity in brainstorming and negociation», dans laquelle les trois chercheurs ont regardé si la critique pouvait avoir du bon lors d’une réunion de brainstorming ou lors d’une négociation liée au travail. Et, le cas échéant, dans quel contexte la critique pouvait se révéler bénéfique.

Les trois chercheurs du MIT ont ainsi procédé à deux expériences:

1. La critique en réunion de brainstorming

Dans la première, ils ont sauté sur l’occasion inespérée qui s’offrait à eux: un projet de réaménagement du campus de l’université venait d’être lancé, et ses initiateurs tenaient à ce que celui-ci fasse l’unanimité, ou presque. D’où leur idée d’organiser des réunions de brainstorming avec toutes sortes de personnes impliquées - professeurs, étudiants, membres du personnel, voisins, commerçants à proximité, etc. - afin de réfléchir sur ce qu’il convenait d’améliorer de manière prioritaire: plus de logements étudiants à prix abordable? plus d’espaces verts? plus de boutiques? etc.

Chaque réunion avait entre 30 et 60 participants. Tous étaient enfermés pendant une heure dans une grande salle, avec tout le matériel nécessaire pour pouvoir brainstormer ensemble. Les organisateurs veillaient à tout bien leur expliquer (ex.: les attentes, la procédure à suivre, etc.), puis ils s’en allaient, les laissant libres de réfléchir et de débattre à leur guise pendant vingt minutes. Une fois le temps écoulé, ils revenaient dans la salle pour recueillir le fruit de leurs réflexions.

Ce que les participants ne savaient pas, c’est qu’ils étaient filmés en permanence par une caméra dissimulée derrière un miroir sans tain, histoire d’analyser par la suite les réactions des uns et des autres. Et que les différents groupes n’avaient pas été placés dans les mêmes conditions de départ: par exemple, dans certains cas, la critique a été formellement interdite (comme dans toute réunion de brainstorming standard), dans d’autres, elle a été encouragée, ayant été présentée comme génératrice d’idées fortes parce que discutées.

2. La critique en négociation

Dans la seconde expérience, des étudiants se sont prêtés à un jeu de simulation, en l’occurrence une réunion de négociation sur un point litigieux au sein de l’entreprise fictive, les uns se mettant dans la peau de syndicalistes, les autres dans celle de patrons. La mission était alors d’arriver à une entente, sachant que celle-ci était possible à condition que tout le monde fasse des compromis.

Idem, les participants n’ont pas été placés dans les mêmes conditions de départ: la situation était plus ou moins tendue en partant, si bien que la critique pouvait avoir un effet plus ou moins important, si jamais elle venait à être exprimée par quelqu’un.

Petit rappel: ici aussi, la critique est a priori fortement déconseillée. C’est que le consensus veut qu’elle revienne à jeter de l’huile sur le feu, et peut donc contribuer à tuer la discussion. Ce qui, on s’entend, nuit gravement aux chances de conclure une entente.

Résultats? Asseyez-vous bien avant de lire ce qui suit:

> Une critique bénéfique. En réunion de brainstorming, la critique a permis aux participants de produire davantage d’idées, et mieux encore, des idées plus originales, que lors des réunions où elle était prohibée. Pourquoi? Parce que la critique a alors été perçue comme «constructive», comme «propice à la coopération»; et ce, en raison du fait que la situation de départ n’était pas conflictuelle. De fait, l’objectif était de trouver différents moyens d’améliorer le campus, et non pas, par exemple, de trancher entre différents projets contradictoires (ex.: un projet qui ferait la part belle aux espaces verts versus un projet qui permettrait la multiplication des boutiques).

> Une critique dévastatrice. En négociation, la critique a littéralement tué le débat d’idées et autres suggestions créatives visant à l’atteinte d’une entente satisfaisante pour les deux camps. C’est qu’elle a été perçue comme «destructrice», comme «néfaste à la coopération»; et ce, en raison du fait que le situation de départ était clairement conflictuelle. De fait, la critique a alors servi à démolir les idées émises par le camp opposé, et non pas à enrichir la discussion.

«Les résultats de notre étude montrent qu’il n’y a pas «une seule bonne» façon de débattre au travail, notent les trois chercheurs du MIT. La procédure à suivre dépend entièrement du contexte. Lorsque les participants sont en position de conflit ou de compétition, la règle d’Osborn de taire toute forme de critique est adaptée. En revanche, lorsqu’ils ont des intérêts qui sont compatibles entre eux - aucun conflit, aucune compétition - alors la critique doit être la bienvenue, pourvu qu’elle soit constructive (ex.: aucune attaque personnelle ne doit être tolérée); dans ce cas-là, la règle d’Osborn ne doit surtout pas être adoptée.»

On le voit bien, ces résultats bousculent nombre d’idées reçues à propos des réunions de brainstorming. Car lorsqu’on entend brasser des idées neuves entre collègues, on convient presque toujours de faire taire toute critique, convaincus que nous sommes que cela risque de nuire à la quantité et à la qualité des nouvelles idées. Et ce faisant, nous nous trompons. Il convient, au contraire, d’encourager la critique constructive.

La critique constructive, me dites-vous, la mine inquiète, pour ne pas dire sceptique? Rassurez-vous, elle est très simple à exprimer: dès qu’une critique vous vient en tête, formulez-là en commençant votre phrase par «Oui, et...», au lieu de la commencer - comme nous le faisons tous par réflexe, par «Oui, mais...» Essayez, vous verrez que c’est vraiment efficace.

En passant, l’écrivaine québécoise Alice Parizeau a dit dans Les Militants: «Il faut critiquer, il faut constamment tout remettre en cause. Cela permet de rester jeune et de progresser».

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À propos de ce blogue

EN TÊTE est le blogue management d'Olivier Schmouker. Sa mission : aider chacun à s'épanouir dans son travail. Olivier Schmouker est chroniqueur pour le journal Les affaires, conférencier et auteur du bestseller «Le Cheval et l'Äne au bureau» (Éd. Transcontinental), qui montre comment combiner plaisir et performance au travail. Il a été le rédacteur en chef du magazine Premium, la référence au management au Québec.

Olivier Schmouker

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