Deux mots pour survivre: des vacances et de la transparence

Offert par Les Affaires


Édition du 10 Novembre 2021

Deux mots pour survivre: des vacances et de la transparence

Offert par Les Affaires


Édition du 10 Novembre 2021

(Photo: 123RF)

À LA CHASSE. On est lundi, 8 h 30, un matin d’automne pluvieux. Martine (nom fictif) a réuni son équipe exécutive, comme chaque semaine depuis les 18 derniers mois. Elle commence toujours sa rencontre en demandant à chacun de donner ses «deux mots»qui décrivent comment la personne se sent (une recette suggérée par Brené Brown). Une espèce de baromètre du climat mental de l’équipe de direction. Ce matin-là, elle a frappé un mur. Sur les sept exécutifs, sept ont mentionné «submergé, découragé, fatigué, anxieux, inquiet, préoccupé».

Tous sont aux prises avec un manque de clarté sur les règles sanitaires, avec le fait de proposer un modèle hybride ou non, d’imposer le retour au bureau ou pas, ou encore avec des antivaccins et des pros de la troisième dose. Bref, dans ce chaos et la confusion malgré les communications abondantes du siège social, tout le monde est surtout aux prises avec un manque criant de ressources et des départs en série. Impossible de replacer des employés rapidement, les recruteurs en interne sont débordés et les recruteurs externes ne font pas mieux, quand seulement ils acceptent de prendre les mandats !

C’est à ce moment que, Simon, le chef des opérations lance:«Mes analystes sont au bord de l’épuisement. On ne pourra pas livrer le projet Horizon le 30 novembre. On n’a pas pris de vacances depuis janvier. On est épuisés. Je peux livrer pour décembre, mais ça me prend quatre ressources de plus dès maintenant !» Il regarde fixement Julie, la directrice des RH. Martine maudit Brené Brown… Elle n’a pas le budget additionnel pour ajouter des postes et elle sait que recruter des gens avec ce genre de profil en trois semaines est une mission impossible… Ses deux mots à elle ? «Épuisée et stressée.» Mais elle les garde pour elle, car elle sait qu’il faut montrer l’exemple malgré toutes les conférences sur la pertinence de dévoiler sa vulnérabilité. Elle donnera ses deux mots:«Focalisée et préoccupée.» Juste assez, mais pas trop pour ne pas dévoiler qu’elle veut plutôt se mettre en petite boule.

Pourquoi je vous raconte cette histoire ? Parce que Martine, je l’ai rencontrée. Elle est venue me voir pour me demander de l’aide.

Au suivant ! Nous devons tous nous préparer à la prochaine crise ou à la prochaine «Pampas», dixit l’auteure-compositriceinterprète Ariane Moffatt. Cette dernière refuse, à l’instar de plusieurs, de mentionner dorénavant le mot en «C» pour «coronavirus»ou en «P» pour «pandémie»...

Bref, ce que la crise actuelle a fait, c’est «donner à la suivante»: la crise de santé psychologique. À ce chapitre, on traîne derrière nous des années de jachère pour récolter des burn-out en série.

Dans un récent article du Harvard Business Review, Jennifer Moss mentionne que «le stress chronique était endémique avant même la pandémie. Les dirigeants ne peuvent plus l’ignorer.» Fondés sur une étude auprès de 1 500 gestionnaires dans 46 pays, les résultats sont alarmants. Environ 89 % des répondants y affirmaient que leur vie au travail avait empiré, 85 % indiquaient que leur bien-être avait décliné et 56 %, que les attentes sur leur performance avaient explosé. De quoi faire froid dans le dos des ressources humaines avec un taux de chômage au plus bas (5,7 % au Québec) et une pénurie de talents qui fait rage. Résultat ? 64 % des entreprises s’attendent à une augmentation du taux de roulement d’ici mars 2022.

Conséquemment, le moindre événement anxiogène additionnel sur les épaules des équipes devient un potentiel déclencheur de départs en série. Et le pire… les employés ne partent pas toujours chez un autre employeur, car 36 % de ceux qui démissionnent n’ont pas toujours un emploi en main au moment de leur départ, selon McKinsey. J’ai revu Martine. Je lui ai suggéré d’arrêter de «faire la bonne fille». De jouer la carte de la transparence. Dire la vérité au siège social et à ses équipes. De leur demander leur aide… et de prendre des vacances aux Fêtes. Des vraies. Tant pis pour Horizon. Alléger la pression. Aller marcher en équipe et prendre une bière. Elle l’a fait.

Je la revois en janvier et je vous donne des nouvelles.

À propos de ce blogue

Nathalie Francisci est présidente exécutive pour le Québec chez Gallagher. Elle oeuvre en recrutement de cadres depuis 25 ans. Entrepreneure, experte en gestion des talents, elle est reconnue comme l’une des références au Québec. Femme d’affaires engagée, elle siège sur plusieurs CA. Conférencière et chroniqueuse, ses interventions font la différence par l’énergie et style direct qui s’en dégagent. Passionnée par nature, elle n’oublie jamais qu’elle travaille avec des gens, pour des gens. Elle partagera avec vous ses réflexions et expériences sur l’univers du recrutement et de la gestion des talents pour faire réfléchir autant les individus que les organisations. Nathalie Francisci a été Finaliste au Concours des Mercuriades en 2001, elle a reçu le Prix «Nouvelle Entrepreneure du Québec» en 2001 et «Entrepreneure – petite entreprise» en 2007 décerné par le RFAQ et elle a remporté le Prix Arista en 2008. Elle porte les titres de CRHA et de IAS.A.

Nathalie Francisci
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