C'est «ben d'valeur»

Offert par Les Affaires


Édition du 11 Novembre 2020

C'est «ben d'valeur»

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Édition du 11 Novembre 2020

Alors, si ça paye, pourquoi les «valeurs» déjà encouragées depuis de nombreuses années avec des certifications tous azimuts peinent à gagner du terrain? (Photo: Tim Mossholder pour Unsplash)

BILLET. S’il est un mot qui peut nous conduire dans de nombreuses directions, c’est bien celui de «valeur». De tous les temps et de tous les lieux, on l’invoque pour pourfendre ou défendre la liberté d’expression, l’environnement, la justice, la religion ou l’unité nationale. Ce mot est le matériau idéal pour concevoir de grands drapeaux qu’on s’empresse d’agiter pour remuer ciel et terre médiatiques.

En linguistique, les rapports mêmes des mots entre eux ont une grande «valeur». En philosophie, parler de «valeur», c’est «chercher ce qui vaut» et poser de cette manière le problème de l’action et de son fondement légitime.

C’est en économie que la notion de «valeur» peut se corser davantage. Décortiquée par les plus illustres – ne pensons qu’à Karl Marx –, la «valeur» est profondément liée au travail. Pour les tenants du courant néoclassique, prix et «valeur» s’entremêlent au point de se décliner dans de nombreux termes: valeur boursière, valeur comptable, valeur mobilière, valeur spéculative, etc.

Des mots qui n’étaient pas étrangers à Milton Friedman, cet économiste américain, ardent défenseur du libéralisme et fervent opposant au keynésianisme. Je n’ose imaginer ce que penserait l’auteur de Capitalisme et liberté de ces États qui tentent par tous les moyens d’élaborer des plans de relance pour s’extirper des effets de la pandémie.

Il serait sans doute outré de lire que des experts libéraux se sont récemment penchés sur ses doctrines, qu’ils les contestent et qu’ils proposent une mise à jour postpandémique de la responsabilité sociale des entreprises. Dans un article du Chicago Booth Review paru au début du mois d’octobre, ces experts stipulent que «les entreprises doivent atténuer les problèmes créés par le capitalisme» et que «les intérêts des actionnaires et des autres parties prenantes peuvent être équilibrés». Étonnant ? Pas tant que ça. Nos journalistes François Normand et Olivier Schmouker prouvent d’ailleurs que miser sur le social, l’environnement et la communauté donne des résultats.

Alors, si ça paye, pourquoi ces «valeurs» déjà encouragées depuis de nombreuses années avec des certifications tous azimuts peinent à gagner du terrain ? Stéphane Rolland explique dans nos pages que les critères utilisés pour émettre un jugement sur les pratiques des entreprises sous un angle ESG (facteurs environnementaux, sociaux et de gouvernance) demeurent très complexes.

En plein coeur d’une tourmente pandémique qui débouchera fort probablement sur une grave crise économique, les «valeurs» altruistes méritent bien évidemment d’être gratifiées. Elles sont dignes avant tout d’être fondées, expliquées, réfléchies et incarnées, sinon c’est ben d’valeur, mais elles resteront des voeux pieux qui mineront une fois de plus notre confiance dans certaines entités qui les prônent.

 

Marie-Pier Frappier
Rédactrice en chef par intérim
marie-pier.frappier@tc.tc
@mpfrappier

À propos de ce blogue

Marie-Pier Frappier est directrice de l'information pour «Les Affaires». Elle a aussi été rédactrice en chef par intérim en 2020 et chef de pupitre. Elle est entrée en 2017 au journal à titre de pupitreuse-journaliste. Journaliste indépendante à ses heures et architecte de l’information à temps plein, elle a enseigné son métier de journaliste au pupitre à l’UQAM et l’a pratiqué de nombreuses années au journal «Le Devoir», où elle couvrait aussi la politique internationale, les féminismes et la musique actuelle. Formée à l’UQAM en journalisme, elle a enrichi son parcours avec un certificat et des études au cycle supérieur en histoire du Québec et en histoire du journalisme.

Marie-Pier Frappier