Démystifier le financement des entreprises chez les Premières Nations

Publié le 21/11/2022 à 09:00

Démystifier le financement des entreprises chez les Premières Nations

Publié le 21/11/2022 à 09:00

«Les biens immobiliers ne peuvent pas être saisis dans une communauté d’une Première Nation.» (Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Le financement des entreprises autochtones peut paraître complexe même pour les entrepreneurs autochtones. Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est important de souligner une distinction fondamentale. La réalité des Premières Nations est tout à fait différente de celle des Inuits ou des Métis. Au Canada il y a environ 650 Premières Nations que l’on retrouve encore en majorité, mais pas tous, sous l’appellation de « réserve indienne ». Bien que nous n’aimons pas employer les termes « indien et réserve », il est nécessaire de les utiliser dans le cadre de cet article, car ce sont les termes utilisés dans la Loi sur les Indiens qui est toujours en vigueur au Canada. En général, nous préférons utiliser le terme autochtone qui remplace le mot « indien » et communauté ou Nation lorsque nous faisons référence aux réserves et territoires des Premières Nations. Je sais que cela peut sembler complexe à comprendre, mais vous allez finir par vous y familiariser.  

La Loi sur les Indiens

Permettez-moi un petit aparté afin de vous donner quelques informations sur La Loi sur les Indiens. Cette loi est la principale loi qui permet au gouvernement fédéral d’administrer le statut d’Indien, les « Conseils de bande », que nous préférons nommer gouvernements Premières Nations, et la gestion des terres de « réserve ». Cette loi définit également les obligations du gouvernement du Canada envers les Premières Nations. La Loi sur les Indiens ne concerne que les personnes détenant le statut « d’Indien », donc cette loi ne touche pas les Métis et les Inuits. En fait, il n’existe pas de registre pour les Métis et les Inuits au sein du ministère Services aux Autochtones Canada.

L’entrepreneuriat autochtone

Entrons maintenant dans le vif du sujet! L’entrepreneuriat autochtone est d’abord et avant tout de l’entrepreneuriat. Et comme dans le cas de tout entrepreneur en démarrage ou ayant besoin de liquidités (souvent pour soutenir la croissance de son entreprise), la question du financement fait surface.

Dans le cas des personnes issues des Premières Nations désirant se lancer en affaires, il est vrai que cela peut s’avérer plus complexe dans certaines circonstances, notamment en raison de l'existence de la Loi sur les Indiens et de l'article 89 qui traite de l'insaisissabilité des biens situés dans une réserve.

Je vous propose d’examiner les faits.

Démystifier la notion de «saisissabilité»

L’une des idées perçues vis-à-vis des entrepreneurs issus des Premières Nations est que leur entreprise et leur financement sont plus risqués, car leurs actifs ne sont pas saisissables. Dans les faits, il faut considérer la forme juridique de l’entreprise, la nature du bien (mobilier ou immobilier) ainsi que l’endroit où se situe le bien (sur « réserve » ou non).

Pour débuter, examinons les deux formes juridiques d’entreprises privées les plus courantes chez les Premières Nations, soit l’entreprise à propriétaire unique et la compagnie incorporée. Du fait de sa nature, l’entreprise à propriétaire unique et la personne physique qui la détient ne font qu’une. Ainsi, l’entreprise à propriétaire unique conservera le statut « d’Indien » de son propriétaire, au sens de la Loi sur les Indiens. À l’inverse, une compagnie incorporée se détache de la personne physique pour devenir une personne morale à part entière. Dans ce contexte, même détenue à 100% par une personne d’une Première Nation, l’entreprise n’est pas considérée comme un « Indien » au sens de la Loi sur les Indiens et, par conséquent, ses biens, même situés sur « réserve » pourront faire l'objet d'une saisie.

D’autre part, il est important de comprendre la distinction entre les biens mobiliers et immobiliers d’un point de vue de la « saisissabilité ». Dans les faits, les biens mobiliers, qu’ils soient situés ou non sur une « réserve », peuvent être saisis par une institution prêteuse au même titre qu’un entrepreneur allochtone en cas de défaut de paiement, dans la mesure où la structure des garanties de l’institution financière est adaptée. Pour les biens immobiliers, la situation diffère selon que le bien soit situé ou non sur « réserve ». En effet, au sens de la Loi sur les Indiens, un bien immobilier situé sur « réserve » ne peut être détenu que par un « Indien » et donc, en règle générale, insaisissable en vertu de l’article 89. L’hypothèque immobilière ne peut donc pas s’appliquer, restreignant, par la même occasion, l’accès au financement. Évidemment, il existe certaines exceptions qui ne seront pas traitées dans cet article.

En résumé, un entrepreneur d’une Première Nation situé ou non sur réserve, peut voir ses biens mobiliers (équipements, améliorations locatives, liquidités, inventaires, comptes clients) être saisis. Cependant, pour ce qui est de ses biens immobiliers (immeubles et résidence) situés sur réserve, ils resteront insaisissables peu importe la structure juridique de l’entreprise. Dans ce contexte, il est fortement conseillé de s'adresser à des experts afin de bien saisir tous les paramètres qui peuvent s'appliquer dans une transaction financière en milieu autochtone.

Je vous invite à lire mon blogue de décembre qui présentera les solutions reliées au financement.

Ce texte a été rédigé avec la collaboration de Ian Picard et Jean Vincent. Je les remercie pour leur apport.

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Comme ce blogue se nomme Perspectives Autochtones, je veux m’assurer que nous ayons tous la même définition du mot Autochtone. Au Canada, les Peuples autochtones comprennent les Premières Nations, les Métis et les Inuits. Dans mon texte, je fais parfois référence aux Autochtones et parfois aux Premières Nations.

À propos de ce blogue

Manon Jeannotte est directrice de l’École des dirigeants des Premières Nations, propulsée par l’École des dirigeants HEC Montréal, dont elle est également co-initiatrice. Elle possède plus de 20 ans d’expérience professionnelle auprès des Premières Nations, tant sur les plans de la politique, de la gouvernance et de la défense des droits de ses pairs. Administratrice de sociétés certifiée et titulaire d’un EMBA, elle a été élue pendant 12 ans à titre de conseillère puis de cheffe au sein de sa communauté (la Nation Micmac de Gespeg). Elle a reçu la première bourse pour gestionnaire d’origine autochtone de l’EMBA McGill – HEC Montréal, une bourse du Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme et une distinction pour sa contribution à la commémoration de l’histoire des Premières Nations et des Inuit au Québec.

Manon Jeannotte

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