Start-ups: la loi des grands nombres

Publié le 04/05/2023 à 11:30

Start-ups: la loi des grands nombres

Publié le 04/05/2023 à 11:30

L’État semble avoir compris que sa capacité à «investir» tôt dans un grand nombre d’entreprises est leur atout principal pour «gagner». (Photo: Shridhar Gupta pour Unsplash)

EXPERT INVITÉ. Les start-ups n’ont pas particulièrement bonne presse, ces temps-ci. Pourtant, dans l’ombre des grands titres, loin du regard du public et malgré le pronostic populaire selon lequel «neuf start-ups sur dix vont mourir», des centaines d’hommes et de femmes intrépides décident de lancer chaque année des entreprises à haut facteur de risque. En fait-on assez? Le fait-on bien?

Des données relevées par le professeur Yves Pigneur, co-créateur du canevas de modèle d’affaires («business model canvas»), dans son dernier opus L’entreprise invincible, sont plutôt révélatrices. Sur 250 start-ups qui récoltent du capital d’investissement à l’amorçage, près de deux tiers (162) vont perdre de l’argent. La plupart des autres (78) vont ramener moins de dix fois la mise initiale, un relativement maigre rendement. Et même dans le «top 10», une seule entreprise procurera à ses fondateurs et investisseurs un rendement stellaire d’un facteur de plus de 50.

La seule façon de gagner, c’est d’investir dans beaucoup de projets. De passage au Québec l’automne dernier, M. Pigneur l’expliquait candidement: «Vous ne pouvez pas sélectionner le projet gagnant sans investir aussi dans des projets qui échoueront ; plus vous attendez un fort retour sur investissement, plus vous devrez investir de petites sommes dans un grand nombre de projets.»

L’industrie des assurances s’appuie sur une vieille loi mathématique, la loi des grands nombres, afin de mieux «prévoir» le risque. Le succès repose sur la taille de l’échantillon: il faut beaucoup de clients. Ceci n’empêche pas les assureurs de conseiller et d’équiper leurs clients afin de «réduire», individuellement, leur exposition au risque.

Il en va de même dans l’univers de l’entrepreneuriat, qu’il soit scientifique, technologique ou innovant, sauf qu’ici, le risque est payant. Il faut donc, pour réussir, beaucoup de projets entrepreneuriaux à haut profil de risque, et il nous faut devenir meilleurs pour les repérer, les aiguiller, les accompagner et les financer.

L’État à la recherche de la stratégie gagnante

L’État semble avoir compris que sa capacité à «investir» tôt dans un grand nombre d’entreprises est leur atout principal pour «gagner». Le gouvernement fédéral est en train de revoir toute son architecture de soutien à l’innovation et mise notamment sur l’encadrement du risque par une meilleure gestion de la propriété intellectuelle.

Au Québec, le «Plan québécois en entrepreneuriat» fait la part belle à l’émergence entrepreneuriale, en particulier dans les régions, où le potentiel inexploité est immense. Les 7,5 milliards de dollars de Stratégie québécoise de recherche et d’investissement en innovation ratissent large, notamment pour transformer le savoir et le savoir-faire québécois en innovations exportables à l’échelle planétaire. Des sommes importantes (programme Impulsion PME) incitent aussi les investisseurs à s’impliquer plus tôt, et à sortir des grands centres pour dénicher des diamants bruts en région.

Enfin, pas moins de 110 millions de dollars sur cinq ans serviront à soutenir et outiller les start-ups et les organismes qui les accompagnent. Les initiatives annoncées à ce jour incluent le financement d’une vingtaine d’accélérateurs — dont certains brillent déjà à l’international — capables de soutenir du volume ou d’intervenir dans des domaines très pointus. Le futur espace AX-C encouragera le rayonnement des start-ups québécoises qui commencent à se démarquer et favorisera les collisions fructueuses avec les organismes et les institutions les plus à même d’accélérer leur réussite.

L’ingrédient secret du succès, comme c’est le cas chez les assureurs, repose cependant sur une gestion rigoureuse et disciplinée des données. D’autant plus que les technologies et le contexte socioéconomique (et climatiques!) évoluent tellement vite que les données historiques ne sont pas si utiles. On ne peut s’améliorer qu’en se mesurant et s’évaluant froidement. Aucun pétage de bretelles ne nous sauvera.

Les principes avancés par le professeur Pigneur et ses co-auteurs de L’entreprise invincible ne s’adressent pas spécifiquement aux décideurs publics. Ils visent plutôt les dirigeants et responsables de l’innovation des moyennes et grandes entreprises. Car là aussi, ce n’est qu’à travers un processus discipliné d’essais et d’erreurs qu’on peut arriver à se renouveler. Que ce soit à l’échelle d’une entreprise ou de la société, les projets d’innovation et les start-ups sont notre meilleure police d’assurance pour rester pertinents dans un avenir économique incertain.

À propos de ce blogue

Un tantinet rebelle, un brin philosophe, passablement créatif, Louis-Félix Binette a consacré sa carrière — comme conseiller politique, diplomate, entrepreneur — à donner vie à des idées et projets pas comme les autres, afin de livrer innovation, engagement et impact dans un monde complexe. Il a cofondé et dirige depuis 2018 MAIN, le Mouvement des accélérateurs d’innovation du Québec. Il a également cofondé le chapitre montréalais de F*ckup Nights et contribué au développement du réseau CreativeMornings au Québec et dans le monde.

Louis-Félix Binette

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