Facteurs ESG: fausse bonne solution, mais réel défi de durabilité!

Publié le 08/06/2022 à 12:51

Facteurs ESG: fausse bonne solution, mais réel défi de durabilité!

Publié le 08/06/2022 à 12:51

Il n’y a pas pire donc que de laisser croire à des décideurs, des politiciens et des gens d’affaires, que leur contribution est maximisée par le fait qu’ils intègrent des facteurs dits ESG. (Photo: 123RF)

Un texte de Pierre-Alexandre Cardinal, conseiller en stratégie d’impact, et de Ghani Kolli, associé, stratégie et impact, innovation d’affaires, R3.0 (Redesign for Resilience and Regeneration)

 

COURRIER DES LECTEURS. Le Sommet Climat Montréal de 2022 est à peine terminé que la métropole réunit à nouveau ses leaders d’affaires à travers la Chambre de commerce du Montréal Metropolitain (CCMM), pour échanger et se questionner au sujet d’un acronyme de trois lettres bien en vogue: ESG. 

Quand nous parlons de l’acronyme ESG, il est question des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance par lesquels on peut évaluer si une entreprise sert ou non certains objectifs sociétaux de façon durable, et non seulement la maximisation de ses profits. 

Nous saluons l’initiative de cette discussion dans la métropole, et nous souhaitons ici contribuer au débat de façon constructive et en continuité avec nos précédentes interventions. Le forum de la CCMM offrira une occasion favorable pour discuter de la part de contribution des leaders d’affaires dans le cadre de la transition socioécologique. Trois faits sont toutefois à rappeler. 

 

La transition, pourquoi? 

Le premier fait à rappeler est que si on parle de «transition» socioécologique, c’est parce que les modèles d’affaires de la quasi-totalité des entreprises ne sont pas durables à la base. 

En effet, la majorité des entreprises établies ne considèrent pas toujours les risques et les dommages causés par leurs activités à l’ensemble de leurs parties prenantes (employés, chaîne d’approvisionnement, écosystème social plus large) ou à l’environnement. 

Lorsque ces entreprises se lancent dans un virage ESG, elles doivent donc d’abord considérer comment réduire les dommages qu’elles causent.  Il s’agit de l’une des faces cachées des facteurs ESG: prétendre à la durabilité des entreprises qui les adoptent, alors qu’en fait, il n’en est rien — on ne crée pas de valeur positive, on tente plutôt d’améliorer notre incidence négative. 

La réalité du rapport financier, c’est qu’il ne sert que le rendement financier, et peu ou pas la planète ou la société. Nous appelons l’écosystème à accompagner les jeunes pousses québécoises à adopter plutôt les concepts de modèle d’affaires «à impact» pour véritablement arrêter l’hémorragie.

 

Facteurs ESG ou GES?

Le deuxième fait est lié à l’acronyme ESG et à la priorité donnée à chacun de ses termes. Tout comme nous croyons que la vraie durabilité nécessite un équilibre entre environnement, société et viabilité économique, nous croyons aussi à la primauté de la gouvernance sur les deux autres facteurs. En effet, tant et aussi longtemps que la gouvernance n’intègre pas la responsabilité et la création de valeur sociale et environnementale au cœur de la raison d’être de l’entreprise et de ses processus, son potentiel de durabilité restera au point mort. 

Une simple politique de développement durable ou de responsabilité sociale sans stratégie, objectifs, indicateurs d’affaires et analyse des répercussions — ce que ne font pas les facteurs ESG — ne peut pas servir à maximiser le potentiel de contribution des organisations à la transition socioécologique. 

Par contre, de considérer les conséquences sociales et environnementales comme une fin en soi en l’intégrant à la gouvernance de l’entreprise distingue, selon nous, les organisations ambitieuses de celles qui flirtent avec le greenwashing

 

L’épicentre des facteurs ESG 

Le troisième fait, peut-être le plus dommageable, est l’épicentre des facteurs ESG qui sont, par définition, centrés sur la préservation de la valeur économique. Remarquez d’ailleurs que ni le E de l’économique ni le F de la finance ne figurent à l’acronyme ESG, car celui-ci se pose précisément au service du capitalisme financier, dans l’objectif de mitiger les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur la «durabilité financière» d’une organisation. Donc, sa profitabilité. 

Pourquoi donc utiliser des facteurs qui, en apparence, se veulent au service de la société et de la planète, lorsqu’en réalité ils opèrent au service de la continuité du profit? La même critique peut être faite, par extension, aux fonds d’investissement dits «responsables» ou «à impact», étant donné qu’ils vendent l’idée aux épargnants et aux investisseurs que les entreprises en portefeuille contribuent à un monde durable. 

 

Ambition et authenticité 

La Commissaire au développement durable du Québec affirme dans son dernier rapport — sans trop d’ambiguïté — que les fonds publics dépensés dans la lutte aux changements climatiques n’ont soit pas de cadre de suivis des résultats visant l’atteinte de nos cibles climatiques. Pire, ils n’ont même pas d’indicateurs pouvant nous renseigner sur l’efficacité des fonds investis. Il faut donc retenir que le simple fait de fixer des cibles et fournir des moyens ne nous dit rien sur les répercussions réelles des mesures gouvernementales ou privées dans la lutte aux changements climatiques, ou dans le déploiement d’une transition socio-économique. 

Il n’y a pas pire donc que de laisser croire à des décideurs, des politiciens et des gens d’affaires, que leur contribution est maximisée par le fait qu’ils intègrent des facteurs dits ESG. Évitons alors collectivement le greenwashing en veillant à ce que les organisations ne communiquent que sur de réels «bons coups» prouvés à l’aide de résultats probants et de stratégies, et qui se distinguent par le fait qu’ils vont au-delà du business as usual et des tendances du moment (l’ESG financier ou la «carbo-neutralité» par compensation carbone, par exemple). 

Si vous voulons réellement être ambitieux, nous devrions peut-être rajouter à ces critères celui que toute organisation, pour éviter le greenwashing, devrait déployer pleinement ses actifs d’affaires et prioriser des axes stratégiques qui lui sont propres en vue de maximiser son effet positif net autour d’un défi sociétal qu’elle prendra le temps de comprendre en profondeur.

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