Est-ce la fin de l'argent facile?

Publié le 20/12/2022 à 11:26

Est-ce la fin de l'argent facile?

Publié le 20/12/2022 à 11:26

(Photo: 123RF)

Un texte d'André Gerges, B.B.A, MPA, Mini-MBA, Ph.D., coordonnateur scientifique et chercheur associé (York University), professionnel de recherche (Université Laval), consultant en management et gestion de projets

Bienvenue à la fin de l’argent bon marché ! Les cours des actions ont connu le pire, mais rarement les choses ont été aussi dévastatrices sur autant de marchés d’actifs à la fois. Les investisseurs se retrouvent dans un «nouveau monde» et ont besoin d’un nouvel ensemble de règles.

La douleur a été intense. L’indice S&P 500 des principales actions américaines a chuté de près d’un quart à son point le plus bas de l’année, effaçant plus de 10 trillions de dollars de valeur de marché. Les obligations d’État, qui constituent généralement un abri contre les actions, ont été détruites ̶ les bons du Trésor sont en passe de connaître leur pire année depuis 1949. À la mi-octobre, un portefeuille composé à 60/40 d’actions américaines et d’obligations du Trésor avait perdu plus que toute autre année depuis 1937. Pendant ce temps, les prix des maisons chutent presque partout. Le bitcoin s’est effondré. L’or n’a pas brillé. Les commodités seules ont eu une bonne année — et c’était en partie à cause de la guerre en Ukraine.

Le revirement spectaculaire de cette année a été déclenché par la hausse des taux d’intérêt. La Réserve fédérale américaine a resserré ses taux plus rapidement que jamais depuis les années 1980, et les autres banques centrales ont été entraînées à sa suite. Mais si l’on regarde plus loin, la cause sous-jacente est la résurgence de l’inflation. Dans l’ensemble du monde riche, les prix à la consommation augmentent à leur rythme annuel le plus rapide depuis quatre (4) décennies.

Cette nouvelle ère d’argent plus cher exige un changement dans la façon dont les investisseurs abordent les marchés. Alors que la réalité s’impose, ils se démènent pour s’adapter aux nouvelles règles. Ils devraient se concentrer sur trois (3) éléments.

Le premier est que les rendements attendus seront plus élevés.

Lorsque les taux d’intérêt ont chuté pendant les années haussières (années 2010), les revenus futurs se sont transformés en gains en capital. L’inconvénient de la hausse des prix était la baisse des rendements attendus. Par symétrie, les pertes en capital de cette année ont un côté positif : les rendements réels futurs ont augmenté. Pour s’en convaincre, il suffit de considérer les titres du Trésor protégés contre l’inflation (ou Treasury Inflation-Protected Securities/Tips), dont les rendements sont une approximation des rendements réels sans risque. Les investisseurs qui ont détenu ces obligations au cours de cette période ont subi une lourde perte en capital.

Le deuxième est que les horizons des investisseurs se sont raccourcis.

La hausse des taux d’intérêt les rend impatients, car la valeur actuelle des flux de revenus futurs diminue. Cela a porté un coup aux cours des actions des entreprises technologiques, qui promettent des bénéfices abondants dans un avenir lointain, alors que leurs modèles économiques commencent à montrer des signes de vieillesse. Les cours des actions des cinq (5) plus grandes entreprises technologiques incluses dans le S&P 500, qui représentent un cinquième de sa capitalisation boursière, ont chuté de 40% cette année.

Alors que la balance penche des nouvelles entreprises vers les anciennes, des modèles commerciaux apparemment épuisés, tels que les banques européennes, trouveront un nouveau souffle. Toutes les entreprises naissantes ne seront pas privées de financement, mais les chèques seront plus petits et les chéquiers moins souvent brandis.

Le troisième est que les stratégies d’investissement vont changer.

Depuis les années 2010, une approche populaire consiste à combiner l’investissement indiciel passif sur les marchés publics et l’investissement actif sur les marchés privés. Cela a vu de vastes quantités d’argent affluer vers le crédit privé, qui valait plus d’un trillion de dollars à son apogée. Environ un cinquième (1/5) des portefeuilles des fonds de pension publics américains étaient investi dans le capital-investissement et l’immobilier. Les opérations de capital-investissement représentaient environ 20% de toutes les fusions et acquisitions en valeur.

Un virage vers un «mirage» économique

Ce sont ces investissements privés à prix élevé qui méritent d’être examinés. La performance des actifs privés a été beaucoup vantée. Selon une estimation, les fonds de capital-investissement ont augmenté de 3,2% la valeur des entreprises qu’ils détiennent, alors même que le S&P 500 perdait 22,3%.

Il s’agit en grande partie d’un mirage. Les actifs des fonds privés n’étant pas négociés, les gestionnaires ont une grande latitude quant à la valeur qu’ils leur attribuent. Ils sont notoirement lents à les dévaloriser, peut-être parce que leurs honoraires sont basés sur la valeur du portefeuille. Toutefois, la chute de la valeur des entreprises cotées en bourse finira par se faire sentir même dans les entreprises privées. À terme, les investisseurs en actifs privés qui pensaient avoir évité le krach des marchés publics subiront eux aussi des pertes.

Une cohorte d’investisseurs doit s’adapter au nouveau régime de taux d’intérêt plus élevés et de capitaux plus rares. Cela ne sera pas facile, mais ils devront adopter une vision à long terme basée sur la nouvelle normalité.

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