Comment la démographie modifie les équilibres économiques

Publié le 31/03/2023 à 15:00

Comment la démographie modifie les équilibres économiques

Publié le 31/03/2023 à 15:00

«Les taux de fécondité dans les pays occidentaux sont en général trop bas pour assurer le remplacement progressif des retraités par de jeunes travailleurs.» (Photo: 123RF)

Un texte d'Yves Rabeau, PhD. 

 

COURRIER DES LECTEURS. La démographie et l’innovation — comme sources de gains de productivité — font partie des facteurs clés afin de suivre la croissance d’une économie à moyen ou à long terme. Il faut aussi tenir compte de la disponibilité des ressources naturelles et de la santé de la terre. Également, des chocs aléatoires comme la pandémie, ou des découvertes majeures comme l’utilisation éventuelle de la fusion nucléaire (en tant que source d’énergie) modifient les équilibres économiques.

Regardons de plus près le vieillissement de la population et de façon concomitante, l’accroissement de l’espérance de vie comme des facteurs importants de changement dans les équilibres économiques.

Nous examinons la tendance lourde au Canada en laissant de côté pour l’instant l’immigration, plus difficile à prévoir.

Les taux de fécondité dans les pays occidentaux sont en général trop bas pour assurer le remplacement progressif des retraités par de jeunes travailleurs. Au Canada par exemple, le taux de fécondité était de 1,43 en 2021, donc inférieur à un taux au-dessus de 2, essentiel pour éviter un renversement de la pyramide des âges.

Ainsi, depuis trois décennies dans les économies occidentales et après la période des hauts taux d’intérêt des années 80, l’approche de la retraite d’une population vieillissante s’est traduite par une augmentation de l’épargne. Celle-ci a imprimé une tendance à la baisse du taux d’intérêt qui assure l’équilibre entre l’offre d’épargne et les demandes d’investissements privés et publics. D’une part, l’augmentation de l’épargne est volontaire. Les programmes de divers gouvernements, qui permettent de réduire le fardeau fiscal à court terme des contribuables en souscrivant à un programme d’épargne retraite, ont contribué à la croissance de l’épargne.

D’autre part, il y a aussi l’épargne rendue obligatoire par des déductions à la source versées dans un fonds d’épargne public pour soutenir des programmes de rente pour retraités. Au total, on a donc observé depuis plusieurs années des flux d’épargne considérables dans les économies occidentales.

Cette hausse de l’épargne a produit un taux d’intérêt inférieur au «taux normal d’intérêt», soit le taux que l’on aurait obtenu sans ce phénomène démographique et les mesures prises par les gouvernements pour assurer des revenus aux retraités.

En fait, le taux observé est de façon estimative de 200 points de base inférieurs aux taux des années 80 (Special Report, The World Economy, The Economist, October 8, 2022). Et ces taux plus bas ont changé les comportements des agents économiques. Cette tendance à la baisse des taux a été momentanément amplifiée par la crise financière de 2008-2009 et la pandémie alors que des banques centrales ont inondé les marchés financiers de liquidité pour maintenir les taux à un niveau plancher.

Au cours des dernières décennies, on a vu les coûts de l’habitation s’accroître et des acheteurs prêts à s’endetter davantage et profiter des bas taux hypothécaires. D’ailleurs, la pandémie a permis d’illustrer sur une durée d’un peu plus de deux ans l’impact des taux hypothécaires très bas sur le coût des propriétés.

De plus, la règle d’une bonne gestion financière d’un gouvernement — soit l’équilibre entre les revenus et les dépenses — a été ignorée par les gouvernements qui, au contraire, ont accepté des déficits qu’ils ont pu financer de façon avantageuse. À nouveau, pendant la pandémie, les gouvernements du monde occidental se sont endettés en émettant des obligations à taux très faible (négatif si on tient compte de l’inflation). Comme les banques centrales de divers pays ont massivement acheté ces obligations, il y a eu une forte création de monnaie qui a contribué à la vague d’inflation courante.

Les 20 à 30 dernières années ont donc été marquées par un certain excès d’épargne qui a infléchi les taux d’intérêt d’équilibre et ainsi perturbé les équilibres macroéconomiques.

Cette perturbation a été importante pour les gouvernements des pays occidentaux qui ont vu leur dette en proportion de leur PIB passer de 20% environ dans les années 70, à 70% avant la pandémie, de sorte que la baisse tendancielle des taux d’intérêt aurait été encore plus importante si les gouvernements avaient équilibré leur budget.

Mais à plus long terme, la démographie viendra encore perturber les équilibres économiques. Déjà, en juillet dernier, près de 20% de la population canadienne était âgée de 65 ans et plus. D’abord, l’augmentation importante du nombre de retraités va ralentir la croissance économique, puisque ces personnes devront composer, règle générale, avec un revenu de retraite inférieur à celui qu’ils gagnaient pendant leur vie active.

Ensuite, au fur et à mesure que le rapport retraité-travailleur augmentera, on décaissera de plus en plus l’épargne accumulée. Cette baisse de l’épargne pourrait se traduire par des hausses des taux d’intérêt. Ceci viendra ralentir davantage la progression de l’activité économique.

Mais l’immigration et les progrès technologiques éventuels pourraient compenser, au moins en partie, pour ces facteurs de ralentissement. Les avancées technologiques avec notamment l’intelligence artificielle, mais aussi dans divers domaines pourraient permettre des gains de productivité venant compenser la rareté de main-d’œuvre.

L’incidence de l’immigration sur la production de revenus n’est pas juste une question de nombre, mais aussi de formation et d’adéquation pour remplacer les retraités. Avec des programmes appropriés, l’immigration pourrait atténuer les effets du vieillissement, mais cet impact n’est pas facile à prévoir.

 

L'auteur détient une maîtrise en sciences commerciales et un diplôme d’études supérieures en économie appliquée de HEC Montréal et un doctorat (Ph. D.) en sciences économiques (Economics) du Massachusetts Institute of Technology (MIT). Il a enseigné à HEC Montréal et au département de sciences économiques de l’Université de Montréal alors que sa recherche portait sur la macro-économie et la conjoncture. Il a été chercheur invité à la Banque du Canada pendant une année sabbatique en 1986-1987. De 1989 à 2010, il a été professeur titulaire au département de Stratégie des affaires de l’ESG-UQAM, où il est maintenant professeur associé. Ses recherches ont porté sur la conjoncture et également sur la gestion des télécommunications et des médias ainsi que sur l’innovation et l’émergence de nouveaux modèles d’affaires. Il est l’auteur de plusieurs livres, documents de recherche, études techniques, ainsi que d’articles publiés dans les revues scientifiques et d’affaires. Il a travaillé comme consultant auprès du gouvernement canadien, du gouvernement du Québec et d’autres organisations publiques canadiennes et étrangères.

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