Non, Trump n'est pas le champion de l'emploi, mais... des robots!

Publié le 07/02/2020 à 06:06

Non, Trump n'est pas le champion de l'emploi, mais... des robots!

Publié le 07/02/2020 à 06:06

Là où il passe l'emploi trépasse... (Photo: Mandel Ngan/Getty Images)

CHRONIQUE. Souvenez-vous… Donald Trump s’est pété les bretelles cette semaine, lors de son discours sur l’état de l’Union, en clamant haut et fort que les États-Unis avaient gagné en puissance comme jamais – son expression «Great American Comeback» –, et que cela résultait en grande partie du boom économique que connaissait le pays depuis son arrivée au pouvoir. En soulignant «le faible taux de chômage», «les millions d’emplois créés» et combien sa politique avait «aidé les cols bleus et la classe moyenne».

Bien. Fort bien. Mais permettez-moi une question, une seule : tout cela est-il exact? Les faits corroborent-ils les affirmations virulentes de l’occupant de la Maison Blanche?

Il se trouve qu’une équipe de journalistes et d’économistes de l’agence de presse Reuters a regardé ces points précis. Et il en ressort que les faits donnent totalement tort à Donald Trump. Sans l’ombre d’un doute. Regardons ça ensemble…

En février 2017, le 45e président des États-Unis a prononcé son tout premier discours devant le Congrès et a affirmé à cette occasion-là que sa politique allait forcer les grands employeurs américains à «rapatrier les emplois sur le territoire américain», à «créer des dizaines de milliers de nouveaux emplois» qui seraient attribués aux Américains et à effectuer «des milliards et des milliards de dollars» d’investissements. Et il a nommé une dizaine de ces grands employeurs-là : General Motors (GM), Harley-Davidson, Intel, Walmart, etc.

Trois années plus tard, le «Top 10 de Trump»* a-il rempli les promesses faites par le président des États-Unis? Voici ce que disent les chiffres:

> Aucun emploi de plus dans le «Top 10 de Trump»

Globalement, le Top 10 n’a connu aucune hausse significative de l’emploi entre février 2017 et aujourd’hui. Aucune. Il emploie toujours quelque 2 millions de travailleurs, la variation étant de +0,5%.

Ainsi, GM, Ford, Sprint, Intel et Harley-Davidson ont, en l’espace de trois années, viré des employés par milliers. La palme revient à General Motors, avec quelque 7.000 emplois en moins.

Seulement deux ont augmenté le nombre de leurs employés : Fiat-Chrysler (+9.500; un chiffre qui concerne l’Amérique du Nord, et il semble que la plupart des créations d’emplois aient concerné le Canada…) et Lockheed Martin (+13.000). Les autres, à l’image de Walmart, sont restés à zéro.

> Moins bien qu’Obama

Si l’on compare les trois années au pouvoir de Trump (2017-2019) aux trois dernières (2014-2016) de son prédécesseur, Barack Obama, on note que:

– Donald Trump. Près de 7 millions d’emplois ont été globalement créés aux États-Unis sous l’ère Trump. Ce qui correspond à un rythme mensuel moyen de 193.000 emplois, selon les données du Bureau of Labor Statistics.

– Barack Obama. Un peu plus de 8 millions ont été globalement créés en trois ans aux États-Unis sous l’ère finale d’Obama. Ce qui correspond à un rythme mensuel moyen de 224.000 emplois.

À ce point de vue, l’écart est de 14%. En défaveur de Trump.

> Moins bien que le S&P500

Quelle a été la performance du «Top 10 de Trump» en Bourse? Tenez-vous bien:

– Un ratage généralisé. De février 2017 à aujourd’hui, la plupart des entreprises de ce palmarès ont engrangé des rendements inférieurs à celui du S&P500, l’indice boursier basé sur les 500 plus grandes sociétés cotées sur les Bourses américaines. C’est le cas pour : Amicus Therapeutics, Softbank Group, GM, Ford, Harley-Davidson et Sprint.

– Trois exceptions. Seules trois entreprises ont vu leur action faire mieux que le S&P500 et que leurs compétiteurs : Intel, Lockheed Martin et Fiat-Chrysler.

Autrement dit, les «championnes» nommées par Donald Trump lors de son premier discours au Congrès ont déçu. Clairement. En ce sens qu’elles ont sous-performé en Bourse en comparaison avec les autres grandes entreprises américaines.

La question saute aux yeux : que s’est-il donc passé? Comment cela se fait-il que les grands employeurs de notre voisin du Sud – contraints par Trump de rapatrier et de renforcer leurs forces vives sur le territoire américain et jouissant, à cet égard, de réductions de taxes drastiques – n’aient pas boosté l’emploi?

Pourtant, ce n’est pas faute d’avoir dépensé : Reuters souligne que rien qu’en 2018, «le «Top 10 de Trump» a globalement dépensé 60 milliards de dollars américains pour mettre au point de nouveaux produits et services ainsi que pour rester compétitif».

Alors? Eh bien, la réponse est, en vérité, aisée. Elle figure en filigrane dans l’analyse de Reuters : «Si l’on ne considère que Ford et GM, on constate qu’en trois ans ils ont globalement supprimé 10.000 emplois aux États-Unis, soit 5% de leur main-d’œuvre, alors que durant la même période de temps ils ont investi des milliards de dollars dans leurs usines américaines», est-il indiqué.

Eh oui, la réponse tient en un mot : robotisation. Les grands employeurs américains ont profité des contraintes qui leur ont été imposées par l’administration Trump pour s’équiper en robots intelligents. Et ce, au détriment de l’emploi. De toute évidence.

Ce qui ne bénéficie en rien aux cols bleus et à la classe moyenne. Bien au contraire : leurs emplois sont accaparés par les robots intelligents depuis trois ans aux États-Unis, depuis que Donald Trump est au pouvoir. CQFD.

D’ailleurs, un signe ne trompe pas. Ce signe a été mis en évidence hier, par The Economist : aux États-Unis, les investisseurs ne tiennent plus vraiment compte des chiffres de l’emploi depuis que Trump occupe la Maison Blanche, contrairement à ce qui se passait sous les précédents présidents américains. Un indicateur économique en atteste sans conteste, la variation du rendement des bons du Trésor à 5 ans le jour où les données sur l’emploi américain sont dévoilées (sources : Bureau of Labour Statistics & Bloomberg) : elle est passée largement sous la barre des 0,05% depuis que Trump est là, alors qu’elle était largement au-dessus auparavant, tutoyant la barre des 0,10%.

Autrement dit, la sensibilité des investisseurs américains aux chiffres de l’emploi a fondu de moitié, elle a même tellement fondu qu’elle est quasiment devenue une insensibilité complète. Ce qui montre à quel point les chiffres de l’emploi, sous Trump, indiffèrent complètement les marchés boursiers, et donc, à quel point ils n’indiquent plus rien de pertinent d’un point de vue économique.

C’est que les investisseurs ont bien senti que Trump n’était pas le champion de l’emploi, mais bel et bien celui des robots. D’ailleurs, j’y pense, peut-être serait-il bon de créer un nouvel indicateur mensuel, celui du nombre de robots intelligents dont s’équipent les grandes entreprises. Qui sait? Peut-être que cet indicateur-là ferait, lui, réagir les investisseurs… Et après eux, les citoyens qui perdent, les uns après les autres, leurs emplois… Hum? Qui sait?

Bref, les États-Unis de Trump ne correspondent nullement à un «Comeback». Bien au contraire, ils sont plutôt synonymes à un «Lose». 

***

(*) Les 10 entreprises nommées par Donald Trump lors de son premier discours devant le Congrès sont :

Intel

Walmart

Lockheed Martin

Fiat-Chrysler

Amicus Therapeutics

Softbank Group

General Motors

Ford

Harley-Davidson

Sprint

*****

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Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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