Maudite intelligence artificielle!

Publié le 02/10/2017 à 06:06, mis à jour le 02/10/2017 à 06:08

Maudite intelligence artificielle!

Publié le 02/10/2017 à 06:06, mis à jour le 02/10/2017 à 06:08

Les jours sont maintenant comptés pour nombre d'employés... Photo: DR

Oui, l'intelligence artificielle (IA) et la «robolution» qu'elle amorce vont nous permettre de faire des prodiges - conduire sans accident, détruire des cellules cancéreuses avant qu'elles prolifèrent, etc. -, mais à quel prix ? En effet, des signes avant-coureurs montrent que nous risquons fort d'aller droit dans le mur si nous nous limitons à ne considérer que le bon côté de l'IA.

L'entrepôt FedEx a récemment vu le jour au beau milieu de champs nichés au coeur d'une petite vallée verdoyante de l'État de Washington. Jour et nuit, il en sort un vrombissement continuel dû à la centaine de camionnettes qui y circulent en permanence pour prendre leur chargement en un temps éclair, aussi efficaces que des abeilles autour d'une ruche. À l'intérieur, aucun être humain, ou presque : au coeur de l'entrepôt trône un cube de huit pieds de côté dont toutes les faces bombardent de lasers rouges les colis qui circulent à proximité sur d'innombrables chaînes de distribution, afin d'expédier chacun d'eux vers la bonne camionnette. Ce cube est une véritable prouesse technologique, dopée à l'IA. Il permet à FedEx de réaliser ici l'équivalent du travail de 20 entrepôts classiques, ceux qui recourent encore aux services d'êtres humains, selon une étude de Michael Dickson, doctorant à l'Université de Washington à Tacoma.

Bref, l'humain est ici devenu obsolète. À votre avis, quel avenir réserve-t-on aux travailleurs dont les robots font mille fois mieux le travail ? Croyez-vous une seconde qu'on va transformer d'un coup de baguette magique un gérant d'entrepôt en un programmeur de chaînes de distribution automatisées, voire en un informaticien assez doué pour réparer une défaillance éventuelle du fameux cube à lasers rouges ? Non, on va se contenter de l'abandonner à son triste sort, au bord de la route du progrès...

C'est d'ailleurs ce qui se passe en ce moment même un peu partout sur la planète, sans qu'on n'en sache rien. Un exemple frappant est celui des microtravailleuses du Kenya.

Samasource est un organisme sans but lucratif kényan qui offre des services de microtravail aussi simples que fastidieux, comme celui d'archiver et d'attribuer des mots clés à des photos numériques pour le compte de multinationales (Getty Images, eBay, Google...). La presque-totalité de ses employés sont des femmes qui, grâce à ce travail rudimentaire, ont pu sortir de la pauvreté la tête haute. Le hic ? L'IA vient de mettre des bâtons dans les roues de Samasource et de son succès retentissant, l'organisme se vantant d'avoir extrait de la misère quelque 36 000 personnes (les femmes en question ainsi que les membres de leurs familles) depuis 2008.

En effet, des algorithmes, qui ont vu le jour l'an dernier, sont à même de faire ce travail en un clin d'oeil, sans aucune erreur. Facebook, par exemple, a concocté un système d'IA plus efficace que l'humain pour non seulement cataloguer les photos, mais aussi détecter celles qui sont offensantes ; et il entend rapidement ne plus compter que sur lui, ou presque, pour effectuer ce travail-là. C'est clair, les microtravailleuses kényanes ne peuvent pas rivaliser avec les robots intelligents de Facebook, ce qui rend carrément obsolète la mission de Samasource.

Résultat ? Après s'être penchés sur ce cas particulier, les chercheurs réunis au Digital Development Summit 2017 - The Future of Work , qui s'est tenu à Londres en mars dernier, en sont venus à la conclusion que «ces microtravailleuses allaient vite se retrouver sans emploi, et, pour certaines d'entre elles, devoir recourir à la prostitution pour survivre dans un pays où le chômage est endémique».

Vous me parlez d'avancées en IA ? Laissez-moi rire jaune ! Et si vous regardiez plutôt les reculs qu'elles entraînent pour les plus vulnérables d'entre nous... Nous sommes en train d'assister à une hécatombe, et je pèse mes mots.

Saviez-vous qu'une récente étude avait mis au jour le fait que l'IA mettait aujourd'hui en péril 89 % des emplois des centres d'appels des Philippines ? Or, ce secteur d'activités représente 59 % de la main-d'oeuvre philippine et est, par conséquent, le moteur de la croissance économique de l'archipel, que certains présentent d'ailleurs comme le nouveau «tigre d'Asie». Autrement dit, l'économie d'un pays entier est en voie de s'effondrer à cause de l'IA !

«Nous n'assistons pas à une transformation du travail, mais à sa disparition par pans entiers.» Telle est la conclusion, lapidaire, des réflexions de Nick Bostrom, philosophe et professeur à Oxford, qui a signé le best-seller Superintelligence : Paths, Dangers, Strategies. D'après lui, le choc de la quatrième révolution industrielle (celle de l'IA) s'annonce si «brutal» que les êtres humains ne pourront pas recourir à leur habituelle résilience pour y faire face, contrairement à ce qui s'est produit lors des trois révolutions précédentes. Cette fois-ci, les victimes seront terrassées d'un coup, sans aucune chance de se relever ; et elles seront innombrables.

Que faire ? C'est simple : changer collectivement pour nous adapter à la raréfaction programmée du travail. Ce qui se traduira par des innovations radicales, comme le partage de postes de travail, la taxation des robots intelligents et l'instauration du revenu minimum garanti. Autant d'idées audacieuses auxquelles se rallient maintenant de plus en plus de personnalités influentes, comme Bill Gates et Elon Musk, unanimes pour dire que «l'IA représente le plus grand péril actuel pour l'humanité».

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Espressonomie

Un rendez-vous hebdomadaire dans Les affaires et Lesaffaires.com, dans lequel Olivier Schmouker éclaire l'actualité économique à la lumière des grands penseurs d'hier et d'aujourd'hui, quitte à renverser quelques idées reçues.

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