On n'apprend pas à être un bon dirigeant sur les bancs d'école

Publié le 08/10/2019 à 11:53

On n'apprend pas à être un bon dirigeant sur les bancs d'école

Publié le 08/10/2019 à 11:53

Un véhicule et des employés de la Croix-Rouge en République démocratique du Congo (Photo: Getty Images)

BLOGUE INVITÉ.  Dans sa mission et sa structure, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) est une organisation intrinsèquement internationale : il emploie 18 000 personnes dans plus de 90 pays pour assurer la protection et l’assistance de victimes de conflits ou d’autres situations de violence armée. En tant que directeur général, Yves Daccord supervise les activités de protection et d’assistance actives de l’institution, ainsi que sa défense des lois et des standards humanitaires internationaux.

La jeunesse du dirigeant suisse lui a donné un premier aperçu du projet transnational du CICR. Né dans la partie germanophone du pays, mais éduqué en français, M. Daccord comprend les compétences requises pour encourager un rapprochement entre différentes cultures.

« Notre fondateur comprenait l’action dont le monde avait besoin, c’est-à-dire d’aider les blessés et autres victimes de conflits armés, dit-il. Mais il a aussi rapidement compris qu’il fallait avoir une grammaire commune aux états pour qu’ils se respectent dans les situations de conflit. Et cette entente commune ce sont les conventions de Genève. »

Après 27 ans au CICR, dont neuf en tant que directeur général, M. Daccord connait intimement les enjeux et régions dans lesquelles l’organisation s’implique. Même si cette expertise est nécessaire, elle représente aussi l’une des parties les plus éprouvantes d’une carrière dans l’assistance humanitaire. Le travail de terrain vient avec ses propres défis, mais la vue d’ensemble de M. Daccord peut parfois lui accorder une perspective encore plus austère sur le progrès d’une situation.

« Ce qui peut être difficile pour quelqu’un dans mon rôle c’est de retourner dans une région que l’on connait bien après 5 ans et de voir que les choses se sont empirées, ou qu’elles ne se sont pas améliorées comme on aurait espéré, dit M. Daccord. Quand il s’agit d’une situation d’urgence, c’est difficile, mais la mission est claire. C’est tellement plus pénible quand l’urgence dure comme on a vu au Sud-Soudan, en Ukraine, au Myanmar, et en Afghanistan. »

L’approche compréhensive à la résolution de crises à laquelle adhère M. Daccord se différencie de ce qu’il a observé sur le terrain. Alors que lui s’inquiète de situer les conflits et situations de violence armée dans l’histoire mondiale, les communautés locales ont tendance à préconiser l’autonomie.

« Aujourd’hui, quand notre équipe arrive dans une ville en Syrie qui a été assiégée depuis des mois, et qu’elle s’assoie avec les gens de la région pour discuter de leurs besoins, la plupart du temps leur première priorité c’est d’avoir de la Wi-Fi, partage-t-il. Les gens aujourd’hui sont remarquablement astucieux quand il s’agit de s’informer et de tisser des liens pour trouver des solutions. »

Le CICR réussit en conjuguant à la fois les perspectives aux échelles macro et micro. Pour M. Daccord, une approche intersectionnelle peut être bénéfique dans n’importe quel secteur, car elle permet aux organisations de dépasser les limitations binaires des démarches strictement ascendantes ou descendantes.

« Je pense que ce qui est intéressant c’est de contrebalancer les choses radicalement nouvelles qui viennent du bas, tels que nos clients ou les personnes avec qui on travaille, avec les intérêts des acteurs majeurs et des parties prenantes, comme les nations et comment elles formulent l’éthique et les autres questions déterminantes, » raisonne-t-il.

La structure du CICR encourage une collaboration constante entre les responsables et les membres de la communauté. Avec des missions à travers le monde, ainsi que 191 Sociétés nationales et une Fédération internationale, toutes regroupées dans l’organisme-cadre du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge, l’institution préfère privilégier une vision globale pour la paix plutôt que le programme d’un dirigeant en particulier.

« D’une certaine manière, nous sommes très différents de toute autre organisation, parce que nous avons choisi de ne pas avoir de leader, pense M. Daccord. Nous n’avons pas d’ambassadeur. Nous avons de très bons dirigeants, mais nous ne mettons pas en avant une seule personne qui incarne tout ce que représente la Croix-Rouge. C’est ce qui permet à notre organisation d’être véritablement universelle. »

Une direction flexible qui prend en compte les voix diverses est essentielle à la culture du CICR. Au fil de sa carrière, M. Daccord a identifié le besoin pour un dirigeant qui peut dépasser les limites d’une éducation classique. La nécessité d’adapter son propre style de gestion est devenue d’autant plus prononcée avec l’intégration de la génération Y qui s’attend à un gérant qui peut évoluer au même rythme effréné que le monde qui les entoure.

« Ce que veulent les gens et ce dont ils ont besoin c’est une reconnaissance que les dirigeants d’aujourd’hui et demain vont offrir quelque chose de nouveau, au lieu de répéter ce que leurs prédécesseurs ont fait avant eux., dit-il. Un MBA souligne comment imiter les grands dirigeants, mais cela ne marche pas plus. Les responsables à échelle mondiale comme moi-même doivent lâcher prise et reconnaître la valeur de pratiques différentes et émergentes. Il faut être flexible et agile et constamment réfléchir à la pertinence de son style de gestion. »

Les enjeux mondiaux que traite le CICR et la conception de M. Daccord d’une gestion qui évolue incessamment se marient particulièrement bien. Du moment que lui et son organisation continuent de refléter les besoins changeants du paysage humanitaire, M. Daccord est convaincu que le CICR a toutes les raisons d’espérer un avenir productif.

« La mission et l’objectif ne changent pas, mais il faut constamment les réexaminer à neuf en fonction du contexte, dit M. Daccord. Cela fait partie de ce qui me rend optimiste en ce qui concerne l’organisation et son futur : quand les êtres humains sont capables de mobiliser la solidarité et l’intelligence, ça peut être très puissant. »

 

Lien vers le balado (en anglais seulement)

Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD et produite par Marie Labrosse, étudiante à la maîtrise en langue et littérature anglaises à l’Université McGill. L’entrevue intégrale fait partie de la plus récente saison de The CEO Series et est disponible en baladodiffusion

 

À propos de ce blogue

Chaque semaine, Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’entretient avec des dirigeants d’entreprise de calibre mondiale au sujet de leur parcours, les dernières tendances dans le monde des affaires et l’équilibre travail-famille, notamment.

Karl Moore
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