Le secret d'une bonne gestion: éviter les oeufs brouillés!

Publié le 23/10/2018 à 14:21

Le secret d'une bonne gestion: éviter les oeufs brouillés!

Publié le 23/10/2018 à 14:21

Henry Mintzberg. (Photo: Courtoisie)

BLOGUE INVITÉ. La tâche d’un haut dirigeant n’est pas d’élaborer les stratégies, mais bien de savoir en reconnaître une bonne au moment opportun.

Henry Mintzberg invite les gestionnaires à ne pas se fier entièrement aux données et, surtout, à ne pas négliger l’information émanant de sources informelles

L’aspect peu ragoûtant des repas servis à bord de vols commerciaux est, il va sans dire, l’un des côtés fort désagréables de la plupart des déplacements en avion. Or, Henry Mintzberg, maître-penseur du domaine de la gestion, attribue la triste apparence des œufs brouillés à un manque de leadership. En effet, puisque les décideurs de la compagnie aérienne n’ont pas goûté aux aliments, ils ne peuvent soupçonner l’impact de cette donnée sur la qualité de l’expérience client. Dans son prochain livre à paraître, intitulé Managing Scrambled Eggs, Henry Mintzberg affirme qu’une bonne pratique de gestion consiste à prendre le temps de déguster les œufs brouillés afin de connaître l’entreprise dans ses menus détails. 

Monsieur Mintzberg, à qui on a souvent reproché d’être anticonformiste, croit qu’il s’agit là d’une description erronée. Un anticonformiste est à contre-courant dans son propre intérêt, alors que le Pr Mintzberg soutient quant à lui qu’il ne fait que relater les absurdités qu’il observe au quotidien.

En raison du manque de continuité entre l’enseignement du leadership et la pratique de la gestion, Henry Mintzberg s’oppose entre autres au programme de MBA traditionnel auquel participent des étudiants qui possèdent cinq années d’expérience sur le marché du travail (tel qu’on l’observe habituellement chez les promotions de l’École de gestion de l’Université Harvard). Selon lui, tout comme il est important de vraiment goûter aux œufs brouillés, un gestionnaire doit avoir réellement géré.

«En fait, je m’appuie ici sur le principe fondamental selon lequel c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Ainsi, ce n’est donc pas à l’école qu’on devient gestionnaire. Il s’agit d’amener des gestionnaires en classe afin qu’ils apprennent de leur propre expérience et qu’ils la partagent et y réfléchissent ensemble.»

Ce type d’apprentissage de la gestion repose sur ce qu’Henry Mintzberg appelle l’impact, qui consiste à passer de la théorie à la création d’un groupe de travail pour produire un changement organisationnel.

Cela dit, en matière de leadership, il convient de distinguer les stratégies délibérée et émergente. Une stratégie délibérée est élaborée avant d’être mise en œuvre, comme dans le cas de firmes de consultants en gestion telles McKinsey et BCG, tandis qu’une stratégie émergente est le fruit de la pratique.

«Si IKEA se spécialise dans les meubles non assemblés, c’est tout simplement parce qu’un jour, un employé de l’entreprise n’arrivait pas à mettre une table dans sa voiture. Il a donc décidé d’en retirer les pieds. Or, quelqu’un a eu la présence d’esprit de dire 'Hé! mais attendez! Si nous devons démonter nos meubles, nos clients y seront également contraints!'» Et c’est donc en observant un employé qui tentait de mettre une table dans sa voiture qu’un individu a trouvé la stratégie la plus intéressante du secteur de l’ameublement.

«Voilà comment une stratégie prend vie. Toutefois, la tâche d’un haut dirigeant n’est pas d’élaborer la stratégie, mais bien d’en reconnaître une bonne au moment opportun.»

Henry Mintzberg met en garde les gestionnaires qui se fient entièrement aux données et négligent l’information émanant de sources informelles.

«Il est important de tenir compte des rumeurs, car elles peuvent révéler de l’information véridique qui n’a pas encore été dévoilée. Souhaiteriez-vous apprendre que vous avez perdu votre principal client en lisant un rapport de ventes ou bien entendre entre les branches qu’il a joué au golf avec votre concurrent?»

Qui plus est, à l’ère où les entreprises sont axées sur les communications par courriel, M. Mintzberg souligne qu’«un gestionnaire doit prendre le temps de saisir une foule de détails, comme les nuances, le ton de la voix et l’expression faciale de son interlocuteur. Certes, le courriel et Internet sont des outils formidables, mais ils sont loin de pouvoir cerner toutes les réalités – et les gestionnaires qui leur accordent trop d’importance en subissent les contrecoups».

Bien que les idées de départ d’Henry Mintzberg en matière de gestion s’avèrent encore aujourd’hui, compte tenu de la croissance technologique et des nouveaux moyens de communiquer (voire de mal communiquer), la vie d’un gestionnaire est de plus en plus «frénétique».

Avec la complexité grandissante des organisations, dont bon nombre deviennent de gigantesques conglomérats, les gestionnaires risquent plus que jamais de manquer de temps pour «goûter à leurs œufs brouillés». Toutefois, afin de découvrir la stratégie émergente, d’instaurer le changement et de comprendre leurs clients, il est primordial que les décideurs s’assoient et savourent leur petit-déjeuner.

Lien vers le podcast (en anglais seulement)

•Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD 800. L’article a été rédigé en collaboration avec Lainie Yallen, récemment diplômée au baccalauréat en commerce de l’Université McGill. L’entrevue intégrale est disponible en baladodiffusion Apple.

 

À propos de ce blogue

Chaque semaine, Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’entretient avec des dirigeants d’entreprise de calibre mondiale au sujet de leur parcours, les dernières tendances dans le monde des affaires et l’équilibre travail-famille, notamment.

Karl Moore
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