Gestionnaires, soyez en contact direct avec ceux que vous dirigez

Publié le 10/12/2019 à 11:30

Gestionnaires, soyez en contact direct avec ceux que vous dirigez

Publié le 10/12/2019 à 11:30

Henry Mintzberg, titulaire de la chaire Cleghorn d’études en gestion à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, et Karl Moore (Photo: courtoisie)

BLOGUE INVITÉ. Henry Mintzberg, titulaire de la chaire Cleghorn d’études en gestion à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, auteur et coauteur de 20 livres et coauteur de trois programmes de développement du leadership, a fait carrière en remettant en question les idées préconçues sur le leadership. Et il n’a pas l’intention ralentir la cadence: son dernier livre Bedtime Stories for Managers est sorti en février 2019, et il travaille déjà sur un nouveau projet.

Dans Bedtime Stories for Managers, M. Mintzberg a rassemblé 42 articles publiés sur son blogue en un seul volume de réflexions courtes et perspicaces qui plaident en faveur de la fin du leadership hautain. Il propose que nous fassions plus de place aux gestionnaires qui sont vraiment en contact avec ceux qu’ils supervisent.

« Gérer, c’est retrousser ses manches et comprendre ce qui se passe, expliquait récemment M. Mintzberg lors d’une présentation à mon cours de stratégie pour les étudiants du premier cycle. Le leadership, c’est comme s’asseoir sur une plate-forme et agiter les bras comme un chef d’orchestre, qui ne dirige pas vraiment l’orchestre. Les musiciens sont beaucoup plus sensibles à l’influence du compositeur. Pendant une représentation, ils ne regardent même pas le chef d’orchestre. »

M. Mintzberg s’est inspiré de la structure simple du livre 100 Things Canadiens Fans Should Know & Do Before They Die, une compilation d’anecdotes éclairantes sur l’équipe de Montréal écrite par Pat Hickey. Le ton et la forme ludiques permettent d’illustrer la vision de Mintzberg d’une gestion solide même aux gestionnaires les plus occupés en leur fournissant un outil d’apprentissage amusant et accessible qu’ils peuvent consulter dans leurs moments libres.

« J’ai trouvé que le livre de Hickey était un format si agréable à lire, dit-il. Vous pouvez lire une poignée de pages par nuit et finir une ou deux histoires. J’ai pensé que ce serait un bon format pour capturer les choses que j’ai sur mon blogue par exemple et les diffuser à un public plus large. »

Une grande partie du travail de M. Mintzberg s’adresse à l’ensemble de la communauté d’affaires visée par son dernier livre, plutôt qu’à d’autres penseurs dans le domaine. Selon lui, notre engouement collectif pour la figure de proue isolée est en fin de compte mauvais pour les affaires. Il affirme que les titulaires de MBA, en particulier les diplômés des écoles Ivy League, reçoivent souvent une rémunération plus élevée, mais sont moins performants dans un rôle de direction que leurs collègues sans MBA—tout cela parce que nous donnons priorité à l’image du leader et non à ses compétences managériales.

«  Nous traitons les PDG comme si rien et personne d’autre n’avait d’importance dans une entreprise, dit M. Mintzberg. Et nous les payons en conséquence, ce qui fait qu’ils se concentrent uniquement sur les gains à court terme, ce qui nuit à l’entreprise. »

M. Mintzberg n’écarte pas complètement la valeur du leadership. Cependant, il estime qu’il ne s’agit que d’un des nombreux instruments qu’un gestionnaire peut mobiliser pour favoriser le succès d’une entreprise.

« Je préfère considérer le leadership comme la partie engageante et motivante de la gestion, explique-t-il. C’est un élément clé de la gestion : il s’agit de gérer les gens de façon humaine, de bâtir des équipes, de bâtir une culture, d’écouter les gens quand ils ont des problèmes. Dans beaucoup de ces actions, il y a du leadership, mais il y a plus à la gestion que le leadership. »

Pour illustrer son argument en faveur de la nécessité d’un gestionnaire engagé, M. Mintzberg aime citer Steve Jobs. Jobs était personnellement impliqué dans le développement des produits chez Apple et passait d’innombrables heures dans le laboratoire pour s’assurer que lui et son équipe produisaient des objets de qualité. M. Mintzberg déplore que certains ouvrages sur la stratégie ne soulignent pas la nécessité d’un pareil engagement du gestionnaire auprès de son entreprise et de son personnel.

Le professeur chevronné soutient que notre idolâtrie à l’égard des dirigeants d’élite, mais désengagés, a des conséquences beaucoup plus importantes que ce que nous imaginons. D’après lui, le déséquilibre du pouvoir qui favorise les dirigeants tout-puissants alimente un certain nombre de crises actuelles, dont le changement climatique.

« Je pense que la crise climatique est beaucoup plus grave que ce que la plupart des gens ne le réalisent ou n’en font l’expérience, dit-il. Il y a une tempête occasionnelle, mais nous la traitons comme si tout cela passerait. Mais ça ne passera pas. La situation va s’aggraver de plus en plus, tout comme les déséquilibres de puissance qui l’alimentent, et les gens seront de plus en plus mécontents. Nous allons être dévastés ou alors réformés. Soit nous regarderons le monde et l’environnement se détériorer au point où cela touchera chacun d’entre nous personnellement, soit nous changerons nos comportements et nos institutions. »

L’approche radicale de M. Mintzberg en matière de gestion fait de lui un rebelle dans ce domaine. Il n’a pas d’objection à assumer ce rôle tant qu’il trouve le soutien d’autres personnes qui veulent se battre à ses côtés pour renverser un statu quo qu’il estime insatisfaisant.

« Ça ne me dérange pas d’avoir à être le gars qui se défend, » dit M. Mintzberg. « Ça me dérange que les puissances établies s’emparent d’un pouvoir qu’elles ne devraient pas avoir. C’est ce que j’ai toujours ressenti. Même quand j’étais enfant, j’étais toujours outré que les gens puissent abuser de leur pouvoir. »

Lien vers le balado (en anglais seulement)

Le présent article est une transcription condensée et modifiée d’une entrevue animée par Karl Moore, professeur agrégé à l’Université McGill, dans le cadre de l’émission The CEO Series, présentée sur les ondes de CJAD et produite par Marie Labrosse, étudiante à la maîtrise en langue et littérature anglaises à l’Université McGill. L’entrevue intégrale fait partie de la plus récente saison de The CEO Series et est disponible en baladodiffusion

À propos de ce blogue

Chaque semaine, Karl Moore, professeur agrégé à la Faculté de gestion Desautels de l’Université McGill, s’entretient avec des dirigeants d’entreprise de calibre mondiale au sujet de leur parcours, les dernières tendances dans le monde des affaires et l’équilibre travail-famille, notamment.

Karl Moore
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