Un compromis raisonnable, qui oublie la promotion de la culture française


Édition du 26 Mai 2021

Un compromis raisonnable, qui oublie la promotion de la culture française


Édition du 26 Mai 2021

(Photo: Cinzia Orsina pour Unsplash)

CHRONIQUE. Le fait que très peu de personnes soient montées aux barricades indique que François Legault a visé juste avec son projet de loi 96 sur la langue française. Un Parlement doit légiférer dans l’intérêt supérieur de la nation, comme pour la protection de la langue française dans le cas du Québec, mais tout en respectant les attentes de la majorité des citoyens. C’est ce que fait ce projet de loi.

De très grande portée par le nombre de ses mesures, il ne fracasse rien, mais peu de secteurs d’intervention lui échappent. Il propose même de modifier la constitution du Québec, par le biais de la Loi constitutionnelle de 1867, grâce à une astuce qu’un seul premier ministre du Québec avait su exploiter jusqu’à maintenant, soit Jean-Jacques Bertrand, qui a fait abolir le Conseil législatif en 1968.

On inscrira dans cette constitution que «les Québécoises et les Québécois forment une nation», que «le français est la seule langue officielle du Québec»et qu’il est aussi «la langue commune de la nation québécoise». Il se peut que ces déclarations surprennent au Canada anglais, mais d’éminents constitutionnalistes estiment que celles-ci respectent l’article 45 de la Loi constitutionnelle de 1982. François Legault a pris l’excellente initiative d’écrire aux autres premiers ministres pour leur expliquer son projet de loi.

Mais était-ce vraiment nécessaire d’utiliser la clause dérogatoire de la Constitution canadienne pour suspendre les articles 1 à 38 de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne ? Le gouvernement Legault l’avait fait l’an dernier pour défendre sa loi 21 sur la laïcité, ce qui lui a valu la critique suivante du juge Marc-André Blanchard:le gouvernement «ratisse trop large». Il aurait dû agir «de façon parcimonieuse et circonspecte».

François Legault répond qu’il défend un équilibre entre les droits collectifs (défense du français pour protéger la nation québécoise) et les droits individuels inscrits dans la Charte des droits et libertés de la personne, tels que la possibilité d’utiliser l’anglais pour travailler et s’instruire. La loi 21 sur la laïcité a montré que l’équilibre est matière à interprétation. Il faut s’attendre à ce que certaines mesures du projet de loi soient testées devant les tribunaux.

 

La force de la portée

La force du projet de loi est sa grande portée. Il propose de renforcer le cadre institutionnel (création d’un ministère de la Langue française, nomination d’un commissaire à la langue française, abolition du bilinguisme institutionnel), de protéger le droit de tout travailleur de gagner sa vie en français, de permettre au consommateur d’être servi en français, de limiter à 17,5 % la proportion des étudiants francophones dans les cégeps anglophones, qui devront privilégier le recrutement d’élèves anglophones, d’exiger que les finissants des cégeps anglophones passent une épreuve uniforme de français, d’étendre la loi aux PME de 25 à 49 employés, d’encadrer l’exigence de la connaissance de l’anglais à l’embauche, d’exiger la prédominance du français dans l’affichage et de mieux intégrer et franciser les immigrants. On veut faire passer de 53 % à 90 % le transfert linguistique des allophones vers le français, une cible qui sera très révélatrice du travail d’Immigration, Francisation et Intégration Québec.

C’est dans l’application de plusieurs de ces mesures que le diable pourrait se cacher. Il faudra éviter de nuire au recrutement de personnel qualifié, d’entraver l’entrepreneuriat, surtout dans les nouvelles technologies, d’empêcher les jeunes de vouloir devenir bilingues et de rendre l’immigration encore plus rébarbative et plus compliquée. Par ailleurs, il faudrait faire plus pour promouvoir, valoriser et faire aimer la culture française.

Il est vrai que le français perd du terrain à Montréal. Mais, en même temps, il n’a jamais été aussi galvaudé par les humoristes, plusieurs artistes de la chanson qui préfèrent se produire en anglais et les animateurs et participants des émissions de divertissements de nos stations de radio et de télévision, qui se plaisent à parler le franglais et le joual.

C’est à un immense défi auquel sont conviés les Québécois. Au-delà des contraintes imposées par la future loi, le succès de cette initiative dépendra aussi de notre amour de la culture française, de notre fierté pour le français et de notre respect envers ce patrimoine.

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À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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