SNC-Lavalin : le tsunami ravageur de dirigeants sans morale


Édition du 23 Février 2019

SNC-Lavalin : le tsunami ravageur de dirigeants sans morale


Édition du 23 Février 2019

CHRONIQUE — C'est incroyable les dégâts que peut causer une culture d'entreprise qui permet la corruption. Il est certain que cette culture n'était pas généralisée dans l'entreprise.

Néanmoins, il ne fait aucun doute qu'elle a existé aux plus hauts échelons par le manque d'éthique, l'appât du gain, les imprudences et l'aveuglement volontaire. La plus grande preuve de cette bêtise était la mise à disposition à des intermédiaires et même à des employés de sommes d'argent gigantesques pour négocier l'obtention de contrats auprès de personnes corruptibles et sans morale.

On l'a fait d'abord et surtout dans des pays dirigés par des dictateurs (comme dans la Libye des Khadafi), mais aussi chez nous, pour obtenir des contrats, comme ceux de 1,3 milliard de dollars pour construire le Centre universitaire de santé McGill (CUSM) et de 127 millions de dollars pour la réfection du pont Jacques-Cartier de Montréal.

Le dossier criminel est fermé dans l'affaire du CUSM, qui a fait l'objet de certaines condamnations (les contribuables n'ont toutefois pas encore été indemnisés), mais celui du pont Jacques-Cartier ne l'est pas. Le corrompu a été condamné à la prison, mais la GRC continue de monter son dossier en espérant pouvoir porter des accusations contre quatre corrupteurs. Ils sont sans doute de SNC-Lavalin, dans les bureaux de laquelle 3 200 documents ont été saisis en mars 2018.

Dommages directs et collatéraux

Les dommages de cette corruption sont énormes. Il importe de s'y attarder pour bien saisir les graves conséquences de ce dérèglement éthique.

1.
Tout d'abord, il y a la perte de réputation de l'entreprise elle-même, qui semble avoir perdu de l'expertise. À preuve, une perte importante réalisée sur un projet minier en Amérique latine, la dévaluation de 1,24 G$ du secteur du pétrole et du gaz, la réorganisation du secteur des mines et de la métallurgie et le retrait possible de l'Arabie saoudite, une monarchie corrompue qui bafoue les droits de la personne les plus élémentaires.

2.
La perte de confiance envers l'entreprise se traduit notamment par la chute en Bourse de son action, qui est passée de 61,50 $ en juin 2018 à 34 $ récemment. Au sujet de cette perte de confiance, Standard & Poor's vient de faire passer de BBB à BBB- sa notation de crédit, ce qui veut dire que sa dette lui coûtera plus cher.

3.
Cette chute du prix de l'action de SNC se traduit aussi par des pertes en capital pour des millions d'investisseurs et de rentiers actuels et futurs, dont les caisses de retraite possèdent des actions de SNC. Notre chère Caisse de dépôt et placement, qui gère le régime de rentes du Québec et une bonne quinzaine d'autres caisses et fonds, détient 20 % du capital-actions de SNC.

4.
Et que dire des employés, qui sont au nombre de 50 000, dont 9 000 au Québec, et qui doivent continuer de donner le meilleur d'eux-mêmes malgré la tonne de boue que des corrompus de la haute direction leur ont versé sur la tête?

5.
Montréal, le Québec et le Canada sont aussi des victimes, car SNC était l'une des firmes les plus prestigieuses à avoir son siège social au Québec. La baisse de sa valeur boursière la rend vulnérable à une offre d'acquisition par un concurrent étranger. Le gouvernement Legault voudra protéger son siège social, mais à quel prix ce sauvetage pourrait-il se faire ?

6.
La plus grande victime collatérale des déboires de SNC pourrait être le gouvernement Trudeau, qui traverse la plus grande crise politique de son histoire... à cause des malveillances de certains de ses dirigeants.

C'est pour éviter à SNC-Lavalin un procès qui pourrait lui valoir une condamnation et qui la priverait de la possibilité de soumissionner sur des appels d'offres de l'État et de la Banque mondiale pour dix ans que le gouvernement Trudeau a introduit dans le Code criminel la notion d'Accord de poursuite suspendue (APS). En vertu de ce processus, une société peut bénéficier d'une telle suspension en reconnaissance de sa responsabilité, du versement d'une pénalité et de la renonciation au bénéfice de l'activité reprochée.

Ce mécanisme, qui est en vigueur aux États-Unis, au Royaume-Uni et dans d'autres pays, a permis à des centaines de sociétés d'échapper à des procès en contrepartie d'amendes se chiffrant parfois dans les milliards de dollars. Ce fut le cas pour des dizaines de grandes sociétés américaines, britanniques et suisses too big to fail ou too big to jail qui ont pu ainsi éviter des procès qui auraient révélé les dessous de leurs crimes.

L'affaire SNC est devenue un scandale politique parce que des politiciens l'utilisent pour embêter le gouvernement dans l'espoir de gagner des votes. Le bureau du premier ministre avait le droit de demander à la ministre de la Justice de suivre ce dossier. Une enquête dira s'il a fait des pressions indues et tenté d'interférer dans le processus judiciaire. Par ailleurs, il se pourrait que la directrice des poursuites pénales, Kathleen Roussel, ait refusé d'obtempérer parce que de nouvelles preuves auraient peut-être été trouvées dans les documents saisis au siège social de SNC en mars dernier.

Il n'y a rien de mal pour le gouvernement Trudeau, bien au contraire, à vouloir sauver une entreprise de la taille et de l'importance économique de SNC pour Montréal, le Québec et le Canada.

Ce n'est pas la personne morale qui a mal agi. Ce sont certains de ses hauts dirigeants. Ce sont eux les coupables et ce sont eux qu'il faut punir, pas l'entreprise ni ses salariés.

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Il est vrai que le congédiement d’un agronome du ministère de l’Agriculture, des ­Pêcheries et de l’Alimentation du ­Québec (MAPAQ) qui a rendu publics des résultats de recherches scientifiques sur des pesticides est odieux s’il s’agit bien de la raison de son renvoi. Ce geste s’explique aussi par le fait que le ­Centre de recherche sur les grains (CEROM), qui est financé par l’État à 68 %, est géré par un ­CA qui manque d’indépendance. Son président est ­Christian ­Overbeek, qui est aussi président des ­Producteurs de grains du Québec, un syndicat regroupant 11 000 membres.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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