Seul l'État peut s’occuper de l'intérêt général d'une société


Édition du 10 Mars 2021

Seul l'État peut s’occuper de l'intérêt général d'une société


Édition du 10 Mars 2021

Texas

(Photo: Matthew LeJune pour Unsplash)

CHRONIQUE. La catastrophe énergétique que vient de vivre le Texas a montré une fois de plus que le secteur privé est incapable de voir à l’intérêt général.

À cause du froid qui y a sévi, 4,5 millions de ses citoyens ont été privés d’électricité et d’eau pendant plusieurs jours. En plus des 20 à 25 décès et des milliards de dollars (G $) de dommages, des ménages ont écopé de factures d’électricité de milliers de dollars (16 000 $US dans un cas). Trois raisons principales expliquent ce désastre.

1.

On a négligé le facteur froid. À la suite d’un événement similaire, mais moins grave, survenu en 2011, des rapports ont proposé en vain de renforcer les installations de production et de transport d’énergie et de les protéger des grands froids. On néglige leur entretien pour éviter les hausses de prix. On n’investit pas dans les infrastructures publiques pour ne pas accroître les taxes.

2.

Le réseau électrique du Texas n’est pas relié aux autres réseaux américains. L’ex-gouverneur républicain Rick Perry a même dit que les Texans préféraient manquer d’électri-cité pendant plusieurs jours plutôt que de voir le fédéral intervenir dans leur système.

3.

On a déréglementé la production et la vente en gros d’électricité à la demande des producteurs, dont Enron. Après avoir spéculé sur des contrats à terme de fourniture d’électricité en Californie et camouflé d’énormes pertes, Enron a fait faillite, entraînant la liquidation de la firme comptable Andersen. Le système texan repose sur la détermination quotidienne par le marché du prix de gros de l’électricité consommée le lendemain. Ce prix est négocié par les producteurs et les distributeurs, donc les clients consommateurs prennent le risque de payer un prix variable. Comme il y a plusieurs producteurs, on présume que la forte concurrence à laquelle ils se livrent assure les meilleurs prix. Mais ce serait faux. Selon une étude du Wall Street Journal , les particuliers texans ont payé 28 G$US de plus pour leur électricité depuis 2004 que ce qu’ils auraient payé pour un système conventionnel.

Ce système a prouvé sa faiblesse structurelle. Alors que la demande d’électricité s’accroissait avec la baisse de la température, les pannes de 356 génératrices ont fait chuter brutalement l’offre d’électricité. D’où une explosion brutale des prix de gros, qui sont passés de 35 $US à 9 000 $US le mégawatt (MW). À un moment donné, le système a perdu 5 200 MW de puissance. S’ensuivirent de très nombreux gels et bris de conduites d’eau et de systèmes de réfrigération, causant de nombreux dommages aux habitations et aux entreprises.

Une nouvelle enquête aura lieu. On fera les mêmes recommandations. Mais, à moins que les dirigeants républicains ne soient remplacés aux prochaines élections, il se pourrait que rien ne change.

Sur le plan moral, il faudrait dédommager les consommateurs qui ont reçu des factures faramineuses. Ça ne regarde pas bien. «Il fallait lire les petits caractères», a commenté un dirigeant républicain.

 

Intérêt public, intérêt privé

Il est incontestable que l’entreprise privée est une formidable créatrice et productrice de biens et de services, mais, laissée à elle-même, elle ne peut privilégier l’«intérêt général», qui désigne les besoins, les valeurs, le bien-être et les objectifs partagés d’une société.

Il est certes indéniable qu’elle doive tenir compte de toutes ses parties prenantes (actionnaires, employés, clients, fournisseurs, la communauté) pour assurer son succès à long terme. Mais comme elle appartient à des «intérêts privés», il est manifeste qu’elle doit servir ceux-ci en premier. C’est ainsi que la sécurité des citoyens, la satisfaction de leurs besoins primaires, leur santé, l’éducation des enfants, la protection de l’environnement, l’alimentation en eau et en énergie sont des responsabilités dont l’État ne peut se soustraire. Sans produire lui-même ces biens et services, il doit s’assurer que ses partenaires s’acquittent de ces tâches.

La déréglementation, qui a été à la mode il y a quelques décennies, a atteint ses limites, comme l’ont démontré la débâcle électrique du Texas et la crise financière de 2008, laquelle fut provoquée par le rappel de la loi Glass-Steagall qui interdisait aux banques de spéculer sur les produits dérivés, ainsi que l’aveuglement des États quant à la montée des inégalités et au danger qui pèse sur la démocratie.

Aux États-Unis, le président Biden établit les bases d’un gouvernement plus interventionniste. Chez nous, les gouvernements Trudeau et Legault montrent un leadership plus affirmé. Cela dit, il faudra garder l’oeil bien ouvert sur l’effet de leurs décisions sur les finances publiques.

 

***

 

J’aime

Des amendements apportés par le gouvernement Legault à un projet de loi sur l’aménagement des zones inondables encourageront les municipalités et les sociétés de transport à tenir compte de critères écologiques dans l’attribution de leurs contrats. En plus de contribuer au développement durable, cette politique favorisera les entreprises québécoises qui développent des technologies vertes et qui offrent des produits et des services écoresponsables. Autre avantage, nos entreprises deviendront ainsi plus concurrentielles sur la scène internationale, alors que le gouvernement Biden entend investir des milliards de dollars pour stimuler le développement de technologies vertes par les sociétés américaines.

Je n’aime pas

Les 15 frégates militaires que veut faire construire le ministère de la Défense nationale coûteraient 77 G$, selon le directeur parlementaire du budget, au lieu des 26 G$annoncés, alors que les retards s’accumulent. Utilisant de nouvelles technologies de Lockheed Martin et de BAE Systems, ce type de bâtiment aurait été rejeté par la Marine américaine à cause de son coût excessif. Le contrat n’étant pas encore signé et comme il existe d’autres options, ne devrait-on pas revoir ce programme lancé en 2010 par le gouvernement de Stephen Harper et qui visait à recevoir un premier navire en 2017 ?

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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