Pas de renégociation des ententes sur la rivière Churchill sans les Innus


Édition du 15 Février 2023

Pas de renégociation des ententes sur la rivière Churchill sans les Innus


Édition du 15 Février 2023

Vue de St. John’s, la capitale de Terre-Neuve. Le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador envisage d’investir 600 millions de dollars (M$) pour prolonger jusqu’en 2030 l’exploitation de la vieille centrale thermique Holyrood. (Photo: Erik McLean Unsplash)

CHRONIQUE. Il est troublant de constater qu’on a oublié les Premières Nations dans plusieurs discussions et chroniques sur la renégociation du contrat d’électricité de Churchill Falls et sur le projet de Gull Island.

Pour comprendre la complexité de ce dossier, rappelons d’abord quelques faits.

La centrale de Churchill Falls a une capacité de 5428 mégawatts (MW) de puissance. Elle est située dans le haut de la rivière Churchill, au Labrador, et est détenue à 65,8% par Nalcor, une société d’État terre-neuvienne, et à 34,2 % par Hydro-Québec (HQ), qui achète environ 90% de sa production au prix ridicule de 0,2 cent le kWh. Ce contrat expirera en 2041, après quoi HQ devra payer un prix reflétant le coût de remplacement de cette électricité. Cela se traduira par une très forte hausse de coût pour HQ et, par le fait même, une augmentation de ses tarifs.

La centrale de Muskrat Falls a une puissance de 824 MW. Située dans le bas de la rivière Churchill, elle a coûté près de 13,4 milliards de dollars (G$), soit le double du coût prévu en 2012. Ce projet a été très mal géré, selon une commission d’enquête. Outre son coût injustifiable, il a été parachevé grâce à une aide de 5,2 G$du fédéral. La centrale ne livre actuellement qu’environ 50 % de sa capacité. La ligne de transmission de 1100 km qui la relie à un site proche de la capitale, St. John’s, ne transporte pas la quantité d’énergie attendue à cause des défectuosités d’un logiciel et des problèmes de gel. Trois tronçons de ligne sont tombés depuis décembre.

À cause de ces défaillances, le gouvernement de Terre-Neuve-et-Labrador envisage d’investir 600 millions de dollars (M$) pour prolonger jusqu’en 2030 l’exploitation de la vieille centrale thermique Holyrood, dont la capacité est de 500 MW et qui peut brûler jusqu’à 18 000 barils par jour de bunker C, un combustible très polluant. Cet investissement ajouterait 1 cent par kWh à la facture d’électricité des Terre-Neuviens. Le projet de Muskrat Falls a été autorisé sans étude de rentabilité et par dépit envers le Québec. Frustrée de n’avoir pu renégocier le contrat de Churchill Falls, Nalcor a lancé ce projet avec l’idée de transporter l’électricité produite jusqu’aux États-Unis en passant sous le détroit de Belle-Isle (35 km), l’île de Terre-Neuve, sous le détroit de Cabot (180 km), la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et finalement le Maine, qui est loin des marchés visés de New York et de Boston. Il aurait été plus logique de chercher à transporter l’électricité de Muskrat Falls par le Québec, mais Nalcor n’a pas considéré cette option.

Évidemment, le Québec n’aurait pas été réceptif à considérer cette possibilité. Québec devra toutefois envisager cette éventualité s’il réussit à signer de nouvelles ententes sur les sites de la rivière Churchill. Il devra aussi obtenir l’acceptabilité de la population.

Gull Island est un projet prometteur d’une capacité de 2 250 MW. Compte tenu du fiasco de Muskrat Falls, Terre-Neuve ne sera jamais capable de le réaliser elle-même.

 

Négociations stratégiques

Puisque la renégociation du contrat de Churchill Falls est très stratégique à la fois pour le Québec et pour Terre-Neuve-et-Labrador et que les besoins de HQ doubleront d’ici 2050, Québec doit absolument s’intéresser à Gull Island et peut-être aussi à Muskrat Falls.

Ces négociations seront toutefois très difficiles. Les enjeux économiques sont énormes et les Terre-Neuviens devront oublier leurs frustrations. Le transport de cette électricité nécessitera de nouvelles lignes. Muskrat Falls présente des problèmes d’efficience et certaines lignes de transmission sont défectueuses.

 

N’oublions pas les Innus

Même si on a déjà oublié les Premières Nations, il est clair que, cette fois, les négociations sur le redéploiement du complexe hydroélectrique labradorien ne pourront pas se faire en leur absence.

Le grand chef des Innus du Labrador, Peter Penashue, a été clair: «Gull Island ne verra jamais le jour sans que [la question de Muskrat Falls] ne soit réglée.»

Cette question, c’est le partage de ses revenus. La nation avait donné son accord aux projets de Muskrat Falls et de Gull Island en 2012. Or, quand Ottawa et St. John’s ont négocié le sauvetage de Muskrat Falls, les Innus ont été privés de 1 G$ de revenus sur 50 ans, estime Peter Penashue. Le 23 janvier dernier, les Innus de la Côte-Nord ont intenté une poursuite de 2,4 G$contre HQ pour avoir «détruit» leur territoire et demandé 15% des profits tirés de l’électricité achetée de Churchill Falls.

Cette requête s’ajoute à celle de 4 G$, déposée en 2020 par les Innus du Labrador, toujours contre HQ, pour les dommages subis par le développement de Churchill Falls. Mais tout n’est pas négatif. Québec dispose déjà de traités avec trois nations. Les Cris et les Inuits ont obtenu la Convention de la Baie-James, qui a été amendée 29 fois depuis, et Bernard Landry a signé la paix des braves avec neuf communautés cries. Des négociations sont en cours avec des communautés innues du Lac-Saint-Jean, des Escoumins et de Natashquan.

Il faut maintenant se préparer à une renégociation majeure sur les trois sites de la rivière Churchill. Les Innus ont des revendications légitimes. Il serait hautement irrespectueux et injuste de les négliger.

 

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J’aime

Le ministre Pierre Fitzgibbon injectera 7,2 M$en cinq ans dans cinq incubateurs et accélérateurs d’entreprises dans les sciences de la vie. Cette mesure est issue de la Stratégie québécoise des sciences de la vie 2022-2025, qui prévoit injecter 211 M$dans des entreprises de ce secteur et générer des investissements de près de 2 G$. L’État investit beaucoup en R-D dans les sciences de la vie, mais le développement d’entreprises et l’investissement privé ne suivent pas.

 

Je n’aime pas

Selon Strider Technologies, une société américaine de renseignement stratégique et de protection de la propriété intellectuelle, des chercheurs de 50 universités canadiennes partagent des projets de recherche avec des organisations militaires chinoises, dont la China National University of Defence Technology. Sachant que la Chine est une championne de l’espionnage, le député conservateur Michael Chong a demandé au gouvernement canadien de bannir ces projets conjoints. Le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, n’a pas acquiescé à cette demande, précisant que le gouvernement avait déjà émis des directives encadrant ce type de recherches. Manifestement, cela n’est pas suffisant !

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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