Ottawa néglige à tort notre industrie aérospatiale


Édition du 19 Août 2020

Ottawa néglige à tort notre industrie aérospatiale


Édition du 19 Août 2020

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Alors qu'il peine à se dépatouiller de la désastreuse affaire UNIS (WE Charity), le gouvernement Trudeau fait de l'aveuglement volontaire quant au péril qui menace notre industrie aérospatiale. Les appels viennent de partout, mais ses oreilles semblent bouchées.

Récemment, le PDG d'Air Canada, Calin Rovinescu, a averti Ottawa que, sans aide à son industrie, sa société pourrait devoir annuler des commandes de A220, qui sont produits à Mirabel. Exploitant déjà 8 appareils d'une commande de 45, elle possède des options pour 30 autres avions.

Pour sa part, Jean Charest vient de reprendre le bâton du pèlerin pour expliquer l'urgence de relancer notre industrie, dont les acteurs se sentent ignorés par Ottawa. Jean Charest a présidé des consultations sur la Vision 2025 de l'Association des industries aérospatiales du Canada (AIAC), qui ont mené à un rapport sur les enjeux de ce secteur par rapport à la concurrence étrangère.

Alors que l'industrie américaine profite chaque année de milliards de dollars (G$) de contrats en recherche et développement (R-D) et de commandes, notamment pour la défense, et que l'Europe soutient massivement sa grappe aéronautique (la France consacrera 23 G$ CA en soutien à son industrie, dont 11 G$ à Air France, et l'Allemagne investit 14 G$ pour acheter 20 % de Lufthansa), Ottawa semble se désintéresser de notre industrie qui, selon l'AIAC, fournit 215 000 emplois et contribue 25 G$ au PIB canadien. La moitié de ces emplois et de ces entreprises sont au Québec.

Preuve de cette apathie, le gouvernement Trudeau a aboli, en 2017, l'Initiative stratégique pour l'aérospatiale et la défense (ISAD) qui, pendant 10 ans, a financé 33 projets de R-D totalisant 1,6 G$ d'aide remboursable. Cette initiative avait été précédée de deux fonds semblables, soit le Programme de productivité de l'industrie du matériel de défense, qui a existé de 1959 à 1965, avec 2 G$ de prêts remboursables, et le Partenariat technologique Canada, qui a existé de 1996 à 2006, avec 3,2 G$ d'aide remboursable. Ces prêts sont remboursés sur une longue période, généralement sous forme de redevances liées à la commercialisation des produits (avions, moteurs, simulateurs, etc.) développés grâce à cette aide. (Les données sur ces programmes proviennent d'une recherche d'Alain Dubuc pour l'Institut du Québec.)

L'ISAD a été remplacée par le Fonds stratégique pour l'innovation, qui finance aussi bien la recherche sur des maladies que la R-D industrielle. Or, ce programme sert très mal notre industrie aérospatiale, qui ne bénéficie plus, de ce fait, d'un fonds dédié, comme si Ottawa la considère maintenant comme secondaire, alors qu'elle est pourtant hautement stratégique.

Fait révélateur, cette industrie a été ignorée quand Ottawa a créé ses cinq supergrappes d'innovation en 2018. Cinq régions du pays ont hérité de ces grappes, qui portent sur des activités transversales. Le Québec a obtenu la grappe sur les chaînes d'approvisionnement axées sur l'intelligence artificielle. On y a engagé des centaines de millions de dollars, mais on cherche les entreprises qui ont émané de ce programme.

Autre déception, le Conseil sur la stratégie industrielle, qui a été créé par Ottawa pour «permettre à des gens d'affaires d'échanger sur les conséquences de la COVID-19 sur l'économie», ne semble pas s'intéresser vraiment à notre industrie aérospatiale. Aucune des neuf tables de discussions créées pour cette consultation n'est consacrée à cette industrie.

Conserver notre savoir

Outre l'effet de la crise actuelle sur les revenus des entreprises, le plus grand risque que court notre industrie est la perte du savoir qui peut en résulter. Pour garder leurs ingénieurs et leurs techniciens, des sociétés ont développé des projets innovateurs destinés à les propulser vers de nouveaux horizons et à accroître leur compétitivité. Plusieurs de ces projets, qui peuvent être d'envergure (avion vert, drones, propulsion électrique hybride, etc.), nécessitent de l'aide de l'État. Autre aspect à considérer, si les investissements requis ne peuvent se faire chez nous, on peut prévoir que ces projets seront réalisés à l'étranger, au bénéfice de nos concurrents.

Ce serait stupide, car nous avons développé au fil des ans une grappe aérospatiale d'envergure. Le Canada est même le seul pays classé parmi les cinq premiers dans toutes les catégories de l'industrie. La région de Montréal serait la seule au monde qui possède toutes les technologies permettant de fabriquer un avion.

Heureusement, le gouvernement du Québec est plus inspiré qu'Ottawa. Il planifie un projet de zone d'innovation aérospatiale, qui couvrira les régions de Montréal, de Longueuil et de Mirabel. Ce projet d'envergure, qui donnera un nouvel élan à notre écosystème de R-D en aérospatiale, s'appuiera sur les meilleures ressources des entreprises, des centres de recherche et des établissements d'enseignement supérieur de ce secteur. Bravo !

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J’aime

Pour pallier les effets de la ­COVID-19, la ­Caisse d’économie solidaire ­Desjardins consacrera cette année plus de 1 M$ à dix mesures de soutien aux entreprises d’économie sociale et aux organismes communautaires qui en sont membres. Une de ces mesures est un financement sans obligation de remboursement pouvant atteindre 15 000 $. En 2019, cette caisse exceptionnelle sur le plan de l’engagement communautaire a donné 1 011 338 $ à 295 projets provenant d’organismes communautaires, de coopératives et de syndicats. Cette caisse, qui a un actif de 1,1 G$, compte plus de 3 200 entreprises membres à but non lucratif.

Je n’aime pas

La nouvelle version de la subvention salariale d’urgence du fédéral permettra à de grandes sociétés qui ont subi une baisse de leurs revenus pendant quatre mois d’en bénéficier pour des employés restés au travail tout en réalisant d’excellents profits. Adéquate au début de la pandémie pour l’ensemble des entreprises, et surtout pour les ­PME, qui sont plus fragiles, cette subvention ne ­devrait-elle pas maintenant exclure les salaires des employés des grandes sociétés qui sont toujours en poste ?

 

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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