Négliger les services d’eau, c’est dispendieux


Édition du 10 Novembre 2021

Négliger les services d’eau, c’est dispendieux


Édition du 10 Novembre 2021

(Photo: Imani pour Unsplash)

Dans une entrevue récente, Régis Labeaume a déclaré que la vulnérabilité des sources d’eau est une de ses grandes inquiétudes. « Les villes font du développement, mais elles oublient d’investir à long terme. La vulnérabilité des sources d’eau, ça va devenir sérieux très bientôt », a dit le maire sortant de Québec.
La qualité de l’eau du lac Saint-Charles, qui fournit 55 % de la consommation d’eau potable de Québec, est menacée par les fosses septiques des résidents. Le maire estime que sa ville devra investir 216 millions de dollars en 10 ans pour protéger l’eau qui alimente 300 000 citoyens. Il faudra raccorder au réseau de la ville 900 fosses septiques et deux usines de traitement de municipalités avoisinantes, remplacer 600 fosses autonomes, acheter des terrains et aménager des infrastructures vertes pour protéger la végétation. Comme c’est le cas dans d’autres domaines, ne pas corriger les lacunes d’aujourd’hui se répercutera en des coûts éventuels plus élevés.
Autre catastrophe annoncée, la ville de Saint-Lin-Laurentides, au nord de Montréal, manque tellement d’eau qu’elle a recours à des camions-citernes pour en fournir à ses citoyens. C’est ce que font aussi les pompiers à cause du manque de pression. Le boom immobilier de la ville n’a pas été précédé des infrastructures d’eau nécessaires pour satisfaire ses besoins en eau. La douche cesse subitement de couler. Il faut planifier l’heure du bain pour les enfants. Seulement deux des sept étages d’un immeuble récent peuvent être habités. La Ville prie le ministère de l’Environnement d’autoriser le creusage de deux autres puits artésiens, mais celui-ci veut d’abord s’assurer que la nappe phréatique peut supporter cette demande additionnelle. Des familles qui ont leur propre puits craignent les répercussions de la surexploitation des réserves souterraines. Pour en savoir plus, il faut regarder l’émission «Enquête» de Radio-Canada du 21 octobre dernier. 
Gaspillage éhonté
Nous la gaspillons allègrement, notre eau. En 2017, la quantité moyenne d’eau distribuée était de 530 litres par Québécois par jour, soit 24 % de plus que la moyenne canadienne et 49 % de plus que celle de l’Ontario. C’est toutefois 13,5 % de moins qu’en 2011, mais 72 litres de plus que l’objectif de 2025. 
Selon Environnement Canada, seulement 16 % des résidences du Québec étaient équipées de compteurs d’eau en 2004, en regard de 90 % dans un grand nombre de provinces. La situation n’a pas dû changer beaucoup. Seulement 35 % de nos entreprises avaient des compteurs d’eau, comparativement à 82 % et plus dans les autres provinces, sauf Terre-Neuve-et-Labrador. Il est prouvé que les villes qui ont des compteurs d’eau et une tarification incitative consomment beaucoup moins d’eau.
Ce gaspillage s’explique aussi par les fuites des réseaux. Montréal perd plus de 20 % de l’eau traitée par ses usines.
La gestion des eaux usées n’est pas en reste dans ce portrait déprimant. Selon la Fondation Rivières, près de 700 municipalités québécoises ont connu 52 794 cas de déversements d’eaux usées en 2020. L’augmentation des capacités des réseaux et des usines d’épuration ne suit pas le rythme de construction des développements immobiliers. Curieusement, l’objectif du ministère de l’Environnement n’est pas de réduire les déversements, mais de ne pas les augmenter au-delà du niveau de 2014. On pourra donc continuer à déverser pendant plusieurs années. Le site de la Fondation Rivières présente une carte interactive des déversements des municipalités inventoriées. 
Des infrastructures à risque
Selon le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines, les installations des services d’eau de 620 municipalités du Québec présentaient en 2019 un risque de défaillance élevé et très élevé, évalué à 14,2 milliards de dollars (G$) et à 20,4 G$ respectivement, soit 18 % de leur valeur de remplacement. Il s’agit des usines et des réseaux de distribution de l’eau potable, des usines d’épuration, des réseaux de collecte et de diffusion des eaux pluviales ainsi que ses ouvrages connexes nécessaires.
Une étude récente, réalisée par le groupe Agéco pour le Réseau Environnement, estime à 25 G$ les investissements qu’il faudra faire en 25 ans pour mettre à niveau les infrastructures actuelles et à 27 G$ les immobilisations nécessaires pour les besoins futurs.
Il faut voir les 25 G$ requis pour la mise à niveau des infrastructures actuelles comme des investissements, car ceux-ci permettront de réaliser des bénéfices et d’éviter des coûts représentant 1,72 fois ces investissements.
Ces gains sont nombreux : réduction des bris de canalisations et d’usines, des fuites et des frais d’exploitation des services d’eau potable, baisse du nombre et des coûts des réparations, des dégâts d’eau et des déversements d’eaux usées et pluviales, réduction des ruptures d’approvisionnement en eau et baisse des risques de maladies pour la santé humaine. 
D’autres bénéfices n’ont pas été évalués, tels que les effets sur l’activité des entreprises, la perte de valeur des propriétés, les coûts sociaux, la probabilité d’un bris catastrophique et les répercussions des substances, produits chimiques, médicaments, etc. sur les écosystèmes.
Une agence de l’eau ?
La stratégie québécoise de l’eau 2018-2030 du gouvernement Couillard n’a pas donné de grands résultats. Le Conseil québécois de l’eau, qui y était proposé, n’a pas siégé. Le ministre Benoit Charette l’a remplacé par un organisme consultatif qu’il préside.
À l’instar de l’Ontario, le Québec a besoin d’une agence de l’eau, qui assisterait les municipalités pour la planification des besoins et la surveillance des travaux, l’évaluation des coûts des services d’eau, la consolidation des petits systèmes, la négociation des contrats et des subventions et l’implantation de structures tarifaires basées sur le principe de l’utilisateur-payeur, comme c’est généralement le cas ailleurs au Canada. 
Outre une vision, beaucoup reste à faire pour protéger, sécuriser et gérer nos services d’eau dans une perspective de développement durable. Dommage que le récent discours inaugural de François Legault ait passé cette question sous silence.

CHRONIQUE. Dans une entrevue récente, Régis Labeaume a déclaré que la vulnérabilité des sources d’eau est une de ses grandes inquiétudes. « Les villes font du développement, mais elles oublient d’investir à long terme. La vulnérabilité des sources d’eau, ça va devenir sérieux très bientôt », a dit le maire sortant de Québec.

La qualité de l’eau du lac Saint-Charles, qui fournit 55 % de la consommation d’eau potable de Québec, est menacée par les fosses septiques des résidents. Le maire estime que sa ville devra investir 216 millions de dollars en 10 ans pour protéger l’eau qui alimente 300 000 citoyens. Il faudra raccorder au réseau de la ville 900 fosses septiques et deux usines de traitement de municipalités avoisinantes, remplacer 600 fosses autonomes, acheter des terrains et aménager des infrastructures vertes pour protéger la végétation. Comme c’est le cas dans d’autres domaines, ne pas corriger les lacunes d’aujourd’hui se répercutera en des coûts éventuels plus élevés.

Autre catastrophe annoncée, la ville de Saint-Lin-Laurentides, au nord de Montréal, manque tellement d’eau qu’elle a recours à des camions-citernes pour en fournir à ses citoyens. C’est ce que font aussi les pompiers à cause du manque de pression. Le boom immobilier de la ville n’a pas été précédé des infrastructures d’eau nécessaires pour satisfaire ses besoins en eau. La douche cesse subitement de couler. Il faut planifier l’heure du bain pour les enfants. Seulement deux des sept étages d’un immeuble récent peuvent être habités. La Ville prie le ministère de l’Environnement d’autoriser le creusage de deux autres puits artésiens, mais celui-ci veut d’abord s’assurer que la nappe phréatique peut supporter cette demande additionnelle. Des familles qui ont leur propre puits craignent les répercussions de la surexploitation des réserves souterraines. Pour en savoir plus, il faut regarder l’émission «Enquête» de Radio-Canada du 21 octobre dernier. 

 

Gaspillage éhonté

Nous la gaspillons allègrement, notre eau. En 2017, la quantité moyenne d’eau distribuée était de 530 litres par Québécois par jour, soit 24 % de plus que la moyenne canadienne et 49 % de plus que celle de l’Ontario. C’est toutefois 13,5 % de moins qu’en 2011, mais 72 litres de plus que l’objectif de 2025. 

Selon Environnement Canada, seulement 16 % des résidences du Québec étaient équipées de compteurs d’eau en 2004, en regard de 90 % dans un grand nombre de provinces. La situation n’a pas dû changer beaucoup. Seulement 35 % de nos entreprises avaient des compteurs d’eau, comparativement à 82 % et plus dans les autres provinces, sauf Terre-Neuve-et-Labrador. Il est prouvé que les villes qui ont des compteurs d’eau et une tarification incitative consomment beaucoup moins d’eau.

Ce gaspillage s’explique aussi par les fuites des réseaux. Montréal perd plus de 20 % de l’eau traitée par ses usines.

La gestion des eaux usées n’est pas en reste dans ce portrait déprimant. Selon la Fondation Rivières, près de 700 municipalités québécoises ont connu 52 794 cas de déversements d’eaux usées en 2020. L’augmentation des capacités des réseaux et des usines d’épuration ne suit pas le rythme de construction des développements immobiliers. Curieusement, l’objectif du ministère de l’Environnement n’est pas de réduire les déversements, mais de ne pas les augmenter au-delà du niveau de 2014. On pourra donc continuer à déverser pendant plusieurs années. Le site de la Fondation Rivières présente une carte interactive des déversements des municipalités inventoriées. 

 

Des infrastructures à risque

Selon le Centre d’expertise et de recherche en infrastructures urbaines, les installations des services d’eau de 620 municipalités du Québec présentaient en 2019 un risque de défaillance élevé et très élevé, évalué à 14,2 milliards de dollars (G$) et à 20,4 G$ respectivement, soit 18 % de leur valeur de remplacement. Il s’agit des usines et des réseaux de distribution de l’eau potable, des usines d’épuration, des réseaux de collecte et de diffusion des eaux pluviales ainsi que ses ouvrages connexes nécessaires.

Une étude récente, réalisée par le groupe Agéco pour le Réseau Environnement, estime à 25 G$ les investissements qu’il faudra faire en 25 ans pour mettre à niveau les infrastructures actuelles et à 27 G$ les immobilisations nécessaires pour les besoins futurs.

Il faut voir les 25 G$ requis pour la mise à niveau des infrastructures actuelles comme des investissements, car ceux-ci permettront de réaliser des bénéfices et d’éviter des coûts représentant 1,72 fois ces investissements.

Ces gains sont nombreux : réduction des bris de canalisations et d’usines, des fuites et des frais d’exploitation des services d’eau potable, baisse du nombre et des coûts des réparations, des dégâts d’eau et des déversements d’eaux usées et pluviales, réduction des ruptures d’approvisionnement en eau et baisse des risques de maladies pour la santé humaine. 

D’autres bénéfices n’ont pas été évalués, tels que les effets sur l’activité des entreprises, la perte de valeur des propriétés, les coûts sociaux, la probabilité d’un bris catastrophique et les répercussions des substances, produits chimiques, médicaments, etc. sur les écosystèmes.

 

Une agence de l’eau ?

La stratégie québécoise de l’eau 2018-2030 du gouvernement Couillard n’a pas donné de grands résultats. Le Conseil québécois de l’eau, qui y était proposé, n’a pas siégé. Le ministre Benoit Charette l’a remplacé par un organisme consultatif qu’il préside.

À l’instar de l’Ontario, le Québec a besoin d’une agence de l’eau, qui assisterait les municipalités pour la planification des besoins et la surveillance des travaux, l’évaluation des coûts des services d’eau, la consolidation des petits systèmes, la négociation des contrats et des subventions et l’implantation de structures tarifaires basées sur le principe de l’utilisateur-payeur, comme c’est généralement le cas ailleurs au Canada. 

Outre une vision, beaucoup reste à faire pour protéger, sécuriser et gérer nos services d’eau dans une perspective de développement durable. Dommage que le récent discours inaugural de François Legault ait passé cette question sous silence.

 

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J’aime

Le gouvernement Legault pourrait accueillir entre 67 500 et 70 500 immigrants en 2022, soit 18 000 de plus que les 49 500 à 52 500 prévus dans son plan antérieur. Il s’agit d’un rattrapage pour les ratés des années 2020 et 2021, qui furent marquées par la pandémie et l’incurie des services d’immigration. Alors que Québec sélectionne les immigrants économiques, Ottawa s’occupe de l’admission des réfugiés et des étrangers qui ont de la famille au Canada. Québec ajoutera ainsi 12 700 immigrants économiques, ce qui portera leur nombre à une fourchette de 32 000 à 33 900. Nous recevrons aussi 1 000 immigrants de plus au titre de la réunification familiale, 1 500 de plus de réfugiés et 2 800 immigrants de plus en vertu du programme spécial des demandeurs d’asile non admis à cause de la COVID-19.

 

Je n’aime pas

Alors que le Québec s’engage dans un rattrapage de l’immigration, ce qui aidera à combler nos besoins de main-d’œuvre, un laisser-aller s’est installé dans l’admission des travailleurs agricoles. À cause des ratés du système informatique de Services Canada, le temps d’attente dans le traitement des dossiers est de sept mois. Cette lenteur met à risque la préparation de la saison 2022. Entre 17 000 à 18 000 travailleurs agricoles du Mexique et du Guatemala sont attendus l’an prochain sur les fermes québécoises. 

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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