Économie: des éclaircies pour le Canada à travers de gros nuages


Édition du 13 Avril 2022

Économie: des éclaircies pour le Canada à travers de gros nuages


Édition du 13 Avril 2022

(Photo: Jusdevoyage pour Unsplash)

CHRONIQUE. Quand Joe Biden a vu s’accroître l’inflation, le printemps dernier, il a voulu dissiper les inquiétudes en disant que celle-ci était due à des ruptures dans les chaînes d’approvisionnement à cause de la pandémie et que la situation allait revenir rapidement à la normale.

Cela n’est pas arrivé. Après une pause, les prix américains se sont mis à remonter pour atteindre 7,9 % en février, un sommet en 40 ans. Le phénomène est le même en Europe, avec un taux de 7,5 % en mars, et au Canada, avec 5,7 % en février. L’inflation dépasse les 10 % en Europe de l’Est. Avec le prix du pétrole qui a bondi depuis la guerre en Ukraine et les hausses de prix qui frappent les fertilisants, les productions agricoles, plusieurs matières premières, l’industrie du transport, l’habitation et l’alimentation, il est évident que l’inflation va continuer de galoper.

La hausse des prix n’est plus due seulement aux ruptures dans les chaînes d’approvisionnement, aux manques de capacité de production dans certaines industries, comme celle des semi-conducteurs, et au manque de conteneurs. L’inflation a aussi été gonflée par l’explosion de la demande à la suite des généreuses mesures de soutien des entreprises, des travailleurs et des consommateurs pendant la pandémie. Les économies américaine et canadienne roulent à plein régime, d’où la pénurie de main-d’œuvre.

Alors que la majorité des économistes répétaient que les gouvernements devaient prendre le risque d’en faire plus plutôt que moins pour protéger les citoyens et éviter une récession, on constate maintenant qu’on a trop stimulé l’économie. Au Canada, le taux d’épargne, qui a atteint 28 % du revenu personnel disponible à l’été 2020, a libéré de l’argent pour consommer, notamment pour acheter des voitures et des maisons. Le taux d’épargne est actuellement de 14 %, comparativement à une moyenne historique de 3 % à 5 %.

Conséquence directe de la hausse des prix et de la pénurie de main-d’œuvre, les salariés ont augmenté leurs attentes, auxquelles répondent positivement plusieurs entreprises. Aux États-Unis, on assiste à une forte hausse des conflits de travail, qui se terminent par de fortes hausses salariales. La syndicalisation semble renaître. Des milliers de salariés d’un entrepôt d’Amazon, à Staten Island, viennent de se syndiquer, une première pour le géant du détail. Idem pour un Starbucks de Manhattan, le plus important de la chaîne et le dixième à se syndiquer. Le syndicat travaille sur 130 autres cafés.

 

Hausse des taux

Alors qu’elles visent un taux d’inflation avoisinant les 2 % et qu’une spirale inflationniste s’installe, la Réserve fédérale américaine et la Banque du Canada ont commencé à monter leur taux directeur. Les hausses de 0,25 point se multiplieront jusqu’en 2023, si bien que l’on pourrait atteindre une croissance totale d’au moins deux points de pourcentage. La pilule fera mal, mais elle est nécessaire pour ramener l’inflation à 3 %, puis à 2 % idéalement. Ce sera tout un défi si l’on veut éviter une récession.

 

Deux grands perdants

Cause majeure de déstabilisation, la guerre de la Russie contre l’Ukraine aura de graves conséquences sur l’économie mondiale.

Importante productrice de céréales (15 %, 10 % et 9 % respectivement de la production mondiale de maïs, d’orge et de blé), l’Ukraine pourrait ne pas pouvoir ensemencer une bonne proportion de ses champs si la guerre se prolonge. Résultat : des hausses de prix faramineuses, des ruptures de livraisons, une incapacité pour des pays pauvres d’acheter des denrées et des risques de famine.

La destruction massive d’infrastructures et d’immeubles, le coût de la guerre, l’endettement de l’État et les pertes de revenus pour les citoyens, les entreprises et l’État provoqueront en Ukraine une sévère récession, qui nécessitera une aide internationale d’envergure.

À cause des sanctions économiques qu’elle subit et de ses pertes militaires, la Russie n’échappera pas non plus à une récession, même si, pour le moment, elle bénéficie des hausses du prix du pétrole et des matières premières, qu’elle exporte à fort volume. Pour protéger le capital des banques, sa banque centrale a porté son taux d’intérêt de base à 20 %. Paria mondial, la Russie subira longtemps des séquelles de son agression armée.

L’effondrement des économies russe et ukrainienne fera mal à l’Europe, qui pourrait frôler une récession. Elle devra revoir sa dépendance au pétrole et au gaz de la Russie. La guerre pourrait aussi provoquer des réalignements commerciaux et politiques.

 

Des éclaircies pour le Canada

Le Canada sera touché par le ralentissement de l’économie mondiale, mais la hausse des prix des matières premières accroîtra la valeur de ses exportations d’hydrocarbures, de minéraux, de métaux, de fertilisants et de céréales, qui compensera la baisse de la demande intérieure.

Notre économie canadienne est protégée par plusieurs accords commerciaux, tels que l’Accord Canada—États-Unis—Mexique (ACEUM), l’Accord économique et commercial global (AECG), qui a éliminé les tarifs douaniers sur 98 % de nos exportations en Europe, et le Partenariat transpacifique, qui réunit 11 pays.

Le Canada a intérêt à protéger ces alliances. Non seulement protègent-elles nos marchés, mais elles solidifient les relations économiques et politiques, qui sont des facteurs de paix et de stabilité. C’est important relativement à la montée des autocraties.

 

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J’aime

Ottawa a annoncé cinq mesures touchant les travailleurs étrangers temporaires (TET) pour résorber les pénuries de main-d’œuvre : dégel du nombre maximum de TET à bas salaire dans les industries saisonnières; la durée d’emploi maximale pour les TET à bas salaire dans ces industries passe de 180 à 270 jours; la durée de l’emploi des TET dans les postes à haut salaire passe de deux à trois ans; dans les sept industries les plus touchées par les pénuries, les employeurs pourront combler 30 % de leur besoin de main-d’œuvre avec des TET à bas salaire; abandon des refus de demandes d’emploi de TET dans certaines professions dans les régions ayant un taux de chômage de 6 % ou plus. Reste à savoir si le Québec appuiera ces mesures pour les emplois qui relèvent de lui.

 

Je n’aime pas 

Pierre Poilièvre, aspirant chef du Parti conservateur du Canada, veut faire d’Ottawa la capitale de la cryptomonnaie. Critique acharné de la Banque du Canada et de sa politique monétaire, l’aspirant premier ministre veut normaliser l’usage des cryptomonnaies et réduire l’influence des banques centrales. Or, ces monnaies virtuelles sont non réglementées et très volatiles. Elles se prêtent à la spéculation et favorisent le blanchiment d’argent. Voici de qu’en dit Warren Buffett : « Le bitcoin n’a aucune valeur. C’est une illusion. C’est du poison à rat pour les investisseurs. » La Chine a banni les cryptomonnaies, qui « pourraient déstabiliser le système financier et qui encouragent la fraude ».

 

 

 


À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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