Confieriez-vous votre portefeuille à Mark Zuckerberg?


Édition du 20 Juillet 2019

Confieriez-vous votre portefeuille à Mark Zuckerberg?


Édition du 20 Juillet 2019

CHRONIQUE. Facebook, l'entreprise phare des médias sociaux, veut maintenant se faire confier la gestion de votre portefeuille. Un portefeuille virtuel, Calibra, accessible de votre téléphone mobile. Et avec une cryptomonnaie universelle, la Libra, utilisable pour transférer des fonds, payer des factures et des achats, recevoir des rabais, des récompenses, etc.

Sa valeur serait basée sur un portefeuille de devises, dont le dollar américain, l'euro, le yen, etc. Elle serait gérée par la Libra Association, basée à Genève et formée de Facebook, Visa, Mastercard, PayPal, eBay, Uber et d'autres sociétés.

C'est la dernière invention de Mark Zuckerberg, le prodigieux créateur de Facebook.

M. Zuckerberg a lancé Facebook en 2004 à l'âge de 20 ans, dans un dortoir de l'Université Harvard. Quinze ans plus tard, Facebook compte 2,3 milliards d'utilisateurs mensuels qui utilisent 140 langues. Facebook a réalisé l'an passé des revenus de 56 milliards de dollars américains et compte 31 000 employés. Avec ses filiales Instagram, WhatsApp et Oculus, elle rejoint 3 milliards d'utilisateurs, soit 40 % de la population mondiale. La fortune de Zuckerberg : 74 G$ US.

C'est peut-être le plus grand succès commercial de tous les temps par la portée de son réseau de clients et la croissance de ses revenus.

L'envers de la médaille

Derrière ces chiffres mirobolants, on trouve toutefois une entreprise aux pratiques douteuses, amorales et dangereuses. Facebook forme avec Google, Amazon et d'autres, un oligopole de multinationales qui menacent la concurrence, les finances publiques, les États, la liberté de pensée, bref la démocratie. À part l'Europe, les États s'écrasent devant elles.

La plus intrusive dans le cerveau et le quotidien des gens est Facebook. En développant des algorithmes qui attirent l'attention de ses ulilisateurs, elle crée une dépendance qui lui permet de tirer toujours plus de revenus des publicités qu'elle vend. Pour étendre son réseau, elle a facilité la création de groupes d'affinités, sans se poser de question sur les intentions de leurs promoteurs. C'est ainsi que des groupes haineux ont créé des plateformes qui ont contribué au génocide des Rohingyas au Myanmar, que des musulmans sont ostracisés et tués au Sri Lanka, que des suprémacistes américains se multiplient et calomnient des personnes de couleur, que des néonazis répandent leur fiel contre les Juifs, que des fascistes de plusieurs pays européens pourchassent des immigrants, et que des illuminés se trouvent justifiés de décharger leur arme contre des fidèles, des écoliers, des membres de la communauté LGBT, etc.

Sur le plan politique, des gouvernements utilisent Facebook pour contrôler leur population, des politiciens ambitieux font mousser le populisme et des puissances autoritaires attaquent des démocraties. Cambridge Analytica, une société créée par des Républicains influents, a obtenu les données de 50 millions de clients de Facebook et a permis que des sociétés russes leur envoient des fausses nouvelles pour promouvoir l'élection de Trump à la présidence et convaincre des gens de couleur de ne pas aller voter. Le fait que Trump a été élu grâce à une majorité de seulement 77 744 votes obtenus dans trois États clés indique que son élection a été volée... avec la complaisance de Facebook. Cambridge Analytica a joué le même rôle pour favoriser le Brexit et affaiblir la démocratie britannique, une stratégie chère à Vladimir Poutine. Facebook a plaidé l'ignorance, mais il se peut que c'était de l'aveuglement volontaire.

L'amoralité de Facebook

Face à la haine, aux crimes et aux conséquences politiques graves résultant du manque de surveillance des contenus de Facebook, Zuckerberg s'est souvent excusé, promettant chaque fois de « faire mieux », mais sans sincérité apparente. Idem pour Sheryl Sandberg, sa directrice générale, qui est obnubilée par la croissance des revenus de Facebook. Malgré les promesses, peu de véritables correctifs ont été apportés par Facebook pour sécuriser les données personnelles de ses utilisateurs. D'où le récent appel à quitter Facebook fait par Steve Wozniak (cofondateur d'Apple) à ces derniers. D'où aussi la dénonciation de Roger McNamee (ex-collaborateur de Zuckerberg) dans Zucked, Waking Up to the Facebook Catastrophe sur le danger que représente Facebook pour la démocratie.

À Harvard, Zuck aurait volé de la propriété intellectuelle, piraté des sites et utilisé l'adresse courriel d'un tiers dans un but malicieux, ce qui l'a amené à conclure un règlement à l'amiable de 65 M$ US avec les frères Winklevoss, avec lesquels Zuckerberg a collaboré avant de lancer sa propre plateforme, Facebook. Cet épisode rocambolesque est raconté par Ben Mizrich dans Bitcoin Billionnaires.

L'idée de lancer la Libra est brillante pour Facebook, mais elle est très mal reçue par plusieurs pays et banques centrales, qui craignent les transferts de toute nature et le blanchiment de l'argent sale. Cette monnaie échapperait à la réglementation des États, qui perdraient leur souveraineté monétaire. La Libra ne serait pas non plus à l'abri d'une crise de confiance. D'où la demande d'une trentaine de groupes au Congrès américain d'imposer un moratoire sur cette idée « effrayante », comme l'a dit Chris Hughes, cofondateur de Facebook, lui aussi très critique du danger que représente ce géant médiatique.

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J’aime
Le gouvernement du ­Québec a débloqué 22,5 M$ pour permettre aux aéroports régionaux d’améliorer leur offre de services aux transporteurs aériens qui les desservent et d’en attirer d’autres. Une offre accrue ferait baisser les prix des billets, qui coûtent beaucoup plus cher au ­Québec qu’ailleurs au ­Canada.

Je n’aime pas
Le ­lock-out de 18 mois qui a sévi à l’Aluminerie de ­Bécancour (ABI) a coûté aux travailleurs plus de 60 M $, soit entre 43 000 $ et 45 000 $ par employé, selon une évaluation crédible du journaliste ­Jean-Marc ­Beaudoin, du ­Nouvelliste. Pour sa part, la région a perdu une masse salariale d’environ 150 M$. Il faut espérer que ce conflit, qui a perduré à cause de l’entêtement irrationnel de certains acteurs, serve de leçon face à des enjeux dont la solution nécessite de l’intelligence et de la bonne foi. Reste maintenant à savoir si les propriétaires se risqueront à réinvestir dans cette usine inefficace, qui rouvre avec 130 employés en moins.

À propos de ce blogue

Tour à tour rédacteur en chef et éditeur du journal Les Affaires pendant quelque 25 ans, Jean-Paul Gagné en est l’éditeur émérite depuis 2007. En plus de publier un commentaire hebdomadaire dans le journal et de tenir un blogue dans LesAffaires.com, il participe à l’organisation d’événements et représente le journal dans les milieux d’affaires. Il est aussi appelé à commenter l’actualité dans d’autres médias et à prononcer des conférences. Jean-Paul Gagné a consacré sa vie professionnelle au journalisme économique. Avant son entrée aux journal Les Affaires, qu’il a contribué à relancer pour en faire la principale publication économique du Québec, il a passé une douzaine d’années au quotidien Le Soleil, où il était journaliste économique et cadre à la rédaction. Jean-Paul Gagné est diplômé en économie et en administration. Il a reçu de nombreuses marques de reconnaissance, dont les prix Hermès et Gloire de l’Escolle de l’Université Laval, le prix Carrière en journalisme économique de la Caisse de dépôt et placement et Merrill Lynch et le Prix du livre d’affaires remis par Coop HEC Montréal et PricewaterhouseCoopers. Il siège au conseil d’administration d’organismes sans but lucratif.

Jean-Paul Gagné

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