Le télétravail freine-t-il l'innovation?

Publié le 24/08/2020 à 11:58

Le télétravail freine-t-il l'innovation?

Publié le 24/08/2020 à 11:58

Une main de télétravailleur et une main robotisée.

(Photo: 123RF)

BLOGUE INVITÉ. Peut-être perd-on moins de temps dans des discussions impromptues de corridor ou à la machine à café? Mais attention! Et si ces moments spontanés n’étaient pas les endroits où naissent les grandes idées? C’est bien être productif, mais innove-t-on dans ces environnements? Quelles sont les conséquences à long terme?

Car si nous avons l’image folklorique du génie créatif qui invente seul, nous savons que la réelle innovation émerge majoritairement des groupes. Adam Grant, professeur universitaire et Trevor Noah, célèbre animateur du Daily Show, évoquent un concept qui me parle beaucoup: le «burstiness». Terme difficile à traduire, on le sait quand on le voit. C’est lorsqu’une conversation part dans plusieurs directions: les idées émergent de partout, il y a une forme d’intensité et d’excitation. À la fin, on ne sait même plus ce qui nous a amenés à nos meilleures idées ni qui les a eus.

Ce type d’ambiance émerge, et ne peut être forcé – on sait d’ailleurs aujourd’hui que les fameuses séances de remue-méninges avec créativité exigée sur commande – sont loin d’être aussi efficaces qu’on aurait voulu le croire.

Est-ce que le travail distance est compatible avec l’émergence de nouvelles idées créatives, ou du «burstiness»? On peut en douter. Tout d’abord, le climat et l’ambiance nécessaires à l’émergence de la créativité – la confiance et un brin de folie – sont plus difficiles à générer devant un écran.

 

L’importance des liens faibles

Également, le réseau de personnes avec qui l’on interagit change énormément en mode virtuel. Si la communication avec les collègues très proches a augmenté, celle avec les collègues distants – que l'on pourrait qualifier de liens faibles – a diminué pendant la pandémie. Or, pour que l’innovation émerge et prenne forme dans une organisation, cela passe énormément par ces liens faibles, par exemple entre collègues de départements différents.

Mais mettons-nous vraiment à l’agenda un rendez-vous virtuel avec un collègue d’une autre équipe uniquement pour avoir son point de vue, alors qu’auparavant, nous l’aurions croisé ou fait quelques pas vers son bureau? De plus, des études montrent que ces connexions faibles brisent nettement plus facilement. Pensez à l’ami de votre ami avec qui vous avez eu un plaisir fou lors de vos vacances à Cuba. «C’est certain qu’on se revoit au Québec» est devenu évidemment lettre morte, même si vous y croyez à chaque fois! On surestime ainsi notre capacité à maintenir ces relations. En mode virtuel, cela ne peut faire autrement que de compliquer les choses.

Si le télétravail comporte certains bénéfices pour la créativité, notamment l’augmentation de la capacité de concentration, il faut tous être collectivement conscients que l’innovation durable provient de réseaux complexes qui vont bien au-delà de notre petite «gang» avec qui nous communiquons fréquemment.

Si vous lisez cet article et que vous êtes un travailleur, que faites-vous pour maintenir des connexions hors de votre réseau de proximité? Si vous êtes un dirigeant d’entreprise, comment vous assurez-vous de maintenir la qualité des réseaux dans votre entreprise, autant en interne qu’à l’externe? Posez-vous des gestes pour maintenir le capital social propice à l’innovation?

Il nous faut agir, sinon c’est l’érosion lente, mais tragique de l’innovation qui nous guette! Alors que l’expression «se réinventer» est sur toutes les tribunes, il serait judicieux d’amener cette discussion dans nos entreprises.

À propos de ce blogue

Ce blogue est une invitation à questionner notre rapport avec la performance à l’ère 4.0. Le monde a changé, mais est-ce que notre façon d’envisager le succès au travail a suffisamment évolué? Consultant en développement organisationnel, spécialiste du monde du travail, enseignant à HEC Montréal, et conférencier, Jean-François Bertholet met tout son cœur à explorer de grands principes, parfois contre-intuitifs, afin d’optimiser votre propre performance et celle de vos collaborateurs.

Jean-François Bertholet