Nantel: Lorsque mon cordonnier me rapporte davantage que mon courtier

Publié le 08/11/2012 à 09:36, mis à jour le 08/11/2012 à 11:15

Nantel: Lorsque mon cordonnier me rapporte davantage que mon courtier

Publié le 08/11/2012 à 09:36, mis à jour le 08/11/2012 à 11:15

BLOGUE. Avant d'amorcer cette chronique, je tiens à préciser que lorsque je parle de MON courtier, il ne s'agit pas, vous l'aurez deviné, de "mon" courtier. J'aurais trop peur de le vexer après tout ce qu'il m'a permis de gagner au cours des cinq dernières années.

Cette précision maintenant apportée, de quoi voulais-je vous entretenir déjà? Ah oui, de mon cordonnier. Voilà, je vous raconte. À chaque année, depuis des décennies, j'achète une paire de chaussures noires. Toujours la même marque et, forcément, toujours la même pointure. Rien de sophistiqué ni de griffé, juste des chaussures de ville en cuir qui se vendent environ 200 $. Je les achète toujours au même endroit, un grand magasin en existence depuis plus de 300 ans. Cette semaine, je m'y suis présenté. Sans entrer dans les détails, ce fut un réel parcours du combattant d'y trouver un vendeur qui, après une demi-heure, m'a informé que ma marque préférée n’était plus disponible dans le modèle que je porte depuis trente ans. Le soir même m’est venu l’idée saugrenue de me demander si mes chaussures ne pouvaient tout simplement pas être réparées. Le lendemain matin, je me rendais chez le cordonnier de mon quartier.

Une semaine plus tard, j'avais dans les pieds une paire de chaussures remises à neuf, avec de meilleures coutures que celles d’origines, le tout pour la modique somme de 20,79 $.

Grâce à mon cordonnier, je viens de faire 180 $. Le tout NET D’IMPÔTS. Pour obtenir un tel rendement par les temps qui courent, j’aurais dû confier tout près de 10,000 $ à mon courtier! À l’inverse, je vous dirais que mon cordonnier vient de m’offrir un rendement de près de dix fois mon capital investi.

Je sais, je sais, j’ai tout faux. Bien entendu, ce n’est pas de cette façon que l’on doit mesurer la valeur d’un placement. N’empêche, grâce à mon cordonnier, grâce à mon réparateur d’électroménagers, et grâce aussi à ma couturière, j’aurai probablement fait plus d’argent en 2012 qu’avec mon courtier.

Où je veux en venir avec mon histoire?

Notre économie, tout comme la plupart des économies occidentales, a été, au cours des vingt dernières années, stimulée par trois grands facteurs. Les dépenses des ménages, qui composent maintenant près de 70 % du PIB (alors qu’historiquement elles en composaient 50 %), l’économie financière qui a amené bien des entreprises, dont les géants de l’automobile et plusieurs géants du commerce de détail à faire plus d’argent par leurs placements que par leur cœur de métier, et enfin plus récemment, les investissements accrus des gouvernements. Résultats nets, les ménages sont surendettés, plusieurs entreprises sont passées à un cheveu de disparaître, et les gouvernements sont à bout de souffle.

Tout cela m’inspire la réflexion suivante. Ne sommes-nous pas prêts à revenir à une économie dont la croissance soit basée sur du réel? Tenter de vendre ou se condamner à acheter des produits toujours plus jetables, poussant ainsi l’endettement des ménages à un sommet historique de 163% des leurs revenus n’est peut-être pas le meilleur modèle de développement économique. Et à ceux qui croient encore aux effets multiplicateurs d’une économie de consommation, je tiens à préciser que mes chaussures sont fabriquées depuis plus de 25 ans en Asie. Les vôtres ?

Revenir à une définition de la productivité qui soit simple mais efficace n’est plus une option. Au moment où l’on s’emploie à tant travailler sur la notion de création de valeur, je suggère très fortement que celle-ci se trouve, pour les consommateurs que nous sommes, dans les gestes du quotidien.

C’est en ces temps troubles la leçon que j’ai apprise d’un cordonnier, et n’étant pas avare de nature, je souhaitais, bien humblement, la partager avec vous.

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Jacques Nantel est professeur titulaire de marketing à HEC Montréal. Il y enseigne depuis plus de 30 ans. Il y a également occupé les fonctions de Directeur des programmes et de Secrétaire Général en plus d’y avoir fondé la Chaire de Marketing Électronique RBC Groupe financier et d’y avoir dirigé la Chaire de commerce de détail Omer DeSerres. Il a publié plus centaine d’articles scientifiques en plus d’intervenir fréquemment dans les média au Québec, dans le reste du Canada ainsi qu’en Europe.

Il est membre ou a été membre de plusieurs conseils d'administration d’entreprises et d’organismes dont : Le Groupe Germain, Centraide du grand Montéréal, Totalmédia, Groupe Vidéotron, PLB International, Groupe Renaud-Bray, Pierre Belvédère Inc. ProMusica et l’OACIQ.

À propos de ce blogue

Jacques Nantel enseigne à HEC Montréal depuis 1981. Au sein de HEC Montréal, il fut successivement directeur du service de l'enseignement du marketing, titulaire de la Chaire de commerce de détail Omer DeSerres et directeur des programmes. En 2002, il devient le premier titulaire et fondateur de la Chaire en Commerce Électronique RBC Groupe Financier. De 2007 à 2012 il a occupé les fonctions de Secrétaire général de cette institution. Jacques Nantel est membre ou a été membre de plusieurs conseils d'administration d’entreprises et d’organismes dont : Groupe Vidéotron, PLB international, Groupe Renaud-Bray, Groupe Pierre Belvédère, Hotels Germain, BMO Advisory Board on Retirement, de l’OACIQ ainsi que de Centraide du Grand Montréal.

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