Gare aux fonds alternatifs liquides


Édition de Novembre 2018

Gare aux fonds alternatifs liquides


Édition de Novembre 2018

Il se multiplient, et vous pourriez vous y noyer. Prudence !

Depuis de nombreuses années, les fonds alternatifs font les manchettes. Ils permettent théoriquement une meilleure diversification de portefeuille et une gestion du risque plus efficace, mais leurs frais sont généralement plus élevés. Ces fonds étaient autrefois réservés aux investisseurs institutionnels et à des investisseurs qualifiés possédant des moyens financiers nettement au-dessus de l'investisseur moyen.

Or, voilà que les autorités réglementaires canadiennes vont probablement permettre aux sociétés de gestion de portefeuille canadiennes de lancer des fonds alternatifs liquides destinés au grand public. Ce type de fonds permettra notamment aux gestionnaires de détenir des titres à découvert (miser sur la perte d'un titre), d'investir jusqu'à trois fois la valeur liquidative du fonds en utilisant du levier, d'utiliser des produits dérivés et de spéculer sur les marchandises. Ces fonds offriront aussi la possibilité d'utiliser une rémunération au rendement, ouvrant la porte à des frais de gestion plus élevés si les rendements sont au rendez-vous.

Certains de ces fonds sont en fait déjà accessibles. Placements Mackenzie a récemment obtenu une dispense réglementaire pour lancer le Fonds multistratégie à rendement absolu Mackenzie. La société EdgeHill Partners a aussi lancé une gamme de fonds alternatifs liquides au mois d'août 2018 en profitant d'une dispense similaire. Tout indique qu'une nouvelle réglementation entrera en vigueur au début de l'année 2019 permettant la création d'une multitude de nouveaux fonds alternatifs liquides. Est-ce une bonne nouvelle pour les épargnants ? J'en doute. Voici pourquoi.

Simon Lack, qui a publié un livre-choc sur les fonds alternatifs, calcule que de 1998 à 2013, 95 % des profits générés par ce type de fonds sont allés dans les coffres des gestionnaires ou d'autres intermédiaires, les investisseurs se contentant d'un maigre 5 % des profits bruts générés. Toutefois, étant donné la forte croissance des actifs après 2004, ces chiffres accentuent l'effet des pertes pendant la crise financière. Même en excluant l'effet de l'augmentation des actifs, c'est en moyenne plus de 47 % des profits annuels qui ont été absorbés par l'industrie plutôt que par les investisseurs sur une période de 16 ans, ce qui est énorme !

Si l'on regarde le secteur des fonds alternatifs dans son ensemble, il est évident que l'investisseur moyen (même institutionnel) n'en sort pas gagnant à long terme. Les marchés financiers étant somme toute assez efficaces, les frais plus élevés exigés par les fonds alternatifs ne se traduisent pas par de meilleurs rendements à long terme.

Alors pourquoi un tel changement ?

Le changement réglementaire à venir n'est pas très surprenant, car devant une pression importante sur la marge bénéficiaire provenant des solutions de placements à faible coût, notamment des fonds négociés en bourse (FNB), l'industrie se devait de réagir. Quoi de mieux que de pouvoir lancer des solutions de placements encore plus chers et plus compliqués !

À mon avis, cette nouvelle offre de produit ne sera pas dans l'intérêt des investisseurs à long terme. L'exemple des États-Unis devrait d'ailleurs servir d'avertissement. Au sud de la frontière, les fonds alternatifs liquides sont offerts depuis plus de cinq ans et les résultats sont pour le moins décevants.

Selon une étude de Morningstar, la très grande majorité des fonds alternatifs liquides n'ont pas aidé à améliorer la diversification d'un portefeuille équilibré, pourtant la raison première qui pourrait justifier l'ajout de tels fonds dans un portefeuille. Les investisseurs auraient donc mieux fait de ne pas s'en procurer. Ces résultats sont possiblement dus à la période de l'étude qui a été particulièrement difficile pour les fonds alternatifs, mais c'est aussi possiblement le reflet de lacunes propres à cette catégorie d'actifs, notamment en ce qui a trait aux frais de gestion et à l'efficacité globale des marchés financiers.

Au Canada, devant les coûts importants liés au lancement d'un fonds alternatif liquide, il est probable que ceux-ci seront intégrés dans des fonds de fonds, par exemple des fonds équilibrés détenant plusieurs fonds d'actions et d'obligations. Ce sera une façon simple pour les sociétés de fonds de faire croître rapidement les actifs de ces nouveaux fonds et de générer des revenus de gestion supplémentaires. Mais comme le montre l'expérience américaine, rien n'indique que les investisseurs en sortiront gagnants sur une longue période.

La survie des fonds alternatifs liquides est incertaine

Selon une étude de ­Vanguard, pour des raisons de performance relative insuffisante, de manque d’actifs ou une combinaison de ces deux facteurs, environ 19 % des fonds communs de placement canadiens n’existent plus après cinq ans. Du côté des fonds alternatifs liquides offerts aux ­États-Unis depuis plus de cinq ans, ce ratio est d’environ 33 %, soit nettement plus élevé que pour les fonds traditionnels. La possibilité d’un taux de dissolution plus élevé est donc un facteur de plus à prendre en considération avant d’investir dans cette nouvelle catégorie d’actifs.

À propos de ce blogue

Ian Gascon est président de Placements Idema (www.idema.ca), un gestionnaire de portefeuille qui propose des solutions de placements personnalisées, à faible coût et utilisant des fonds négociés en bourse (FNB). «Les FNB démystifiés» est le premier blogue francophone dédié aux fonds négociés en bourse au Canada et Placements Idema est la première société au Canada à avoir lancé un service en ligne de gestion de portefeuille, maintenant mieux connu sous le terme «robot-conseiller».

Ian Gascon

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