Une menace potentielle pour les détaillants québécois

Publié le 20/07/2013 à 00:00

Une menace potentielle pour les détaillants québécois

Publié le 20/07/2013 à 00:00

L'annonce de l'acquisition de Shoppers Drug Mart par Loblaw a eu un effet initial positif pour les titres d'Alimentation Couche-Tard, du Groupe Jean Coutu et de Metro. La plus importante transaction de l'histoire du secteur du détail du pays, évaluée à 12,4 milliards de dollars, brouille toutefois les cartes pour les chaînes québécoises à moyen terme. Notre analyse pour y voir plus clair.

La fusion de Loblaw et de Shoppers doit-elle faire trembler Jean Coutu, Metro et Couche-Tard ?

La concurrence s'accentue dans le secteur de l'alimentation depuis quelques années. Costco et Walmart s'agitent et Target s'amène.

L'offre augmente, mais le nombre de consommateurs, lui, demeure relativement stable. Une recette parfaite pour faire casser les prix. Cette menace a rarement été aussi sérieuse au pays.

Comment maintenir sa rentabilité lorsque les prix tombent ? En demandant à ses fournisseurs de consentir de meilleurs prix en échange de plus grands volumes. Leurs marges diminueront, mais ils vendront davantage de produits.

En avalant Shoppers, qui exploite 176 Pharmaprix au Québec, Loblaw accroît son pouvoir d'achat pour nombre de produits offerts devant le comptoir d'ordonnances du pharmacien. Elle peut aussi espérer introduire davantage de ses produits alimentaires dans les établissements acquis. La transaction a aussi pour effet d'augmenter le pouvoir d'achat de Pharmaprix. S'ajoutent évidemment des possibilités d'économies dans les systèmes de distribution, en mettant par exemple en commun les entrepôts.

Un bonne transaction, mais...

La direction des deux sociétés estiment qu'elles pourraient réaliser environ 300 M$ de synergies sur trois ans. Il s'agit pour l'essentiel d'économies de coûts. Un éventuel accroissement d'achalandage attribuable à de meilleurs prix n'est pas dans le compte. Pour donner un peu de perspective, c'est environ 20 à 25 % du bénéfice net consolidé en 2012 des deux entités ou près de 10 % du bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement.

Pas vraiment une forte croissance du bénéfice, puisque le tout est sur trois ans, qu'il y a 4,6 G$ de dette additionnelle (des charges d'intérêts s'ajouteront), de même qu'une dilution du capital-actions. C'est quand même un coussin pour à tout le moins préserver la rentabilité si la concurrence s'accélère grandement au cours des prochaines années.

Sur le plan stratégique, c'est un bon coup. Sur le plan financier, l'avenir nous le dira. Pour l'instant, il est difficile de voir un catalyseur boursier clair. Particulièrement au moment où les gouvernements réduisent les remboursements de médicaments génériques.

Qu'est-ce à dire pour les autres acteurs du secteur ?

Coup dur pour Metro

Ça doit devenir de plus en plus frustrant pour la direction de Metro. Il y a quelques semaines, c'est une autre rivale, Empire (Sobeys et IGA), qui améliorait son pouvoir d'achat en achetant Canada Safeway dans l'Ouest.

Non seulement Sobeys améliorait-elle son pouvoir d'achat, mais elle diminuait du coup celui de Metro. Safeway est en effet membre de United Grocers, un important regroupement d'achats auquel participe Metro. Il est désormais assuré que Safeway sortira bientôt du regroupement et que celui-ci perdra un pouvoir de négociation.

Réaction possible

Jean Coutu serait à l'évidence une cible intéressante. Elle permettrait d'obtenir au Québec une force de frappe apparentée à ce que vient d'obtenir Loblaw. Malheureusement, Jean Coutu ne semble pas intéressée à vendre.

Reste Overwaitea, le dernier gros épicier indépendant du Canada, avec 130 établissements. C'est un prix de consolation, en ce qu'Overwaitea fait aussi partie du groupement d'achat United Grocers et qu'une acquisition ne générerait probablement pas tant d'économies. La transaction permettrait cependant à Metro de prendre racine dans l'Ouest, de devenir un acteur pancanadien et d'implanter ses techniques de mise en marché. Des techniques qui ont donné de forts bons résultats ces dernières années et qui pourraient améliorer la rentabilité des établissements de l'Ouest.

Le titre de Metro se négocie actuellement à un multiple légèrement sous la moyenne historique des Bourses (13,3 fois le bénéfice prévu en septembre 2014). Ça semble une évaluation adéquate dans le contexte. Même si les concurrents ont dernièrement pris certains avantages, la partie n'est pas terminée pour l'épicier.

Jean Coutu : probablement pas si mal

En théorie, c'est aussi un coup dur pour Jean Coutu. Pharmaprix aura accès à de nouveaux produits (de nombreuses marques privées) et à d'autres articles courants qu'elle paiera moins cher.

En pratique, c'est moins clair. Jean Coutu et les autres pharmacies misent surtout sur leur comptoir d'ordonnances pour attirer la clientèle dans leurs établissements. Les prix et les spéciaux sont une chose, mais une bonne partie du volume d'affaires vient du fait que le consommateur achète accessoirement des produits en allant renouveler ses ordonnances.

Or, la transaction ne changera pas la donne. Avant comme après, Jean Coutu conserve une part de marché d'environ 50 % des médicaments prescrits au Québec.

La transaction n'attaque pas non plus le plan de match de la famille Coutu. Celle-ci veut protéger ses activités traditionnelles, comme en fait foi l'introduction prochaine de 150 produits de marques privées. Mais elle semble voir sa croissance ailleurs.

Ces dernières années, elle a surtout utilisé son réseau pour donner du levier à des initiatives manufacturières. ProDoc, fabricant de médicaments génériques, a lancé le bal. Medicus, un fabricant d'appareils orthopédiques, dans lequel elle a acquis une participation de 50 %, a suivi. Il pourrait bien y avoir d'autres leviers du genre sous examen.

Le titre a cependant bondi de plus de 10 % ces dernières semaines. Les investisseurs semblent croire que le groupe pourrait se mettre en vente. Il est loin d'être sûr que la totalité du bond tienne.

Alimentation Couche-Tard : le point d'interrogation

La chaîne de dépanneurs a moins fait parler, mais on peut se demander si elle sera touchée par la transaction.

Avec un pouvoir d'achat accru, Shoppers a désormais plus de moyens d'agir sur les prix. Bien qu'il soit en croissance, le nombre d'établissements Pharmaprix, et leur emplacement, ne représentent pas une très grande menace au Québec. Mais dans le reste du pays, Shoppers a un redoutable parc immobilier.

Si l'offre de produits évolue de manière à dupliquer en partie celle des dépanneurs, notamment dans le prêt-à-manger, il pourrait y avoir quelques dommages collatéraux.

Cela dit, les conséquences seraient somme toute restreintes. La majorité des revenus d'Alimentation Couche-Tard provient maintenant des États-Unis, et la société lavalloise prend de l'expansion en Europe.

À 16 fois le bénéfice prévu, le titre apparaît raisonnablement évalué, compte tenu d'un potentiel d'acquisition encore important et du talent d'intégrateur de Couche-Tard.

Morale de toute l'histoire ?

Bien que Loblaw réalise un bon coup stratégique sur papier, financièrement et sur le terrain, tout reste à faire. Les autres acteurs ne sont pas non plus sans munitions. Ils ne devraient donc pas trop trembler.

12,4 G$

Montant de la transaction

33,18 $ + 0,569

Chaque actionnaire de Shoppers recevra 33,18 $ au comptant par action plus 0,569 action de Loblaw.

42 G$

Revenus annuels prévus

3 G$

Bénéfice annuel prévu1

4,6 G$

Montant que Loblaw emprunte pour financer la transaction.

+ 29,4 %

Prime que représente l'offre de Loblaw par rapport au prix moyen des actions de Shoppers lors des 20 séances précédant l'annonce.

13,8 G$

Valeur boursière de Loblaw2

6,8 G$

Valeur boursière de Metro2

1 Bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement. 2 À la fermeture des Bourses le 16 juillet. Sources : Documents officiels de Loblaw et Shoppers Drug Mart/Pharmaprix, LesAffaires.com

CE QU'EN PENSENT LES EXPERTS

ALIMENTATION COUCHE-TARD : DU POUR ET DU CONTRE

«Au cours des dernières années, Shoppers s'est accaparé une partie des dépenses d'accommodement en bonifiant son offre de produits et d'aliments. Son acquisition par Loblaw pourrait améliorer son positionnement dans ce créneau, un facteur négatif pour Couche-Tard. Il faut toutefois souligner que Couche-Tard tire moins de 20 % de ses bénéfices de ses activités canadiennes. La chaîne de dépanneurs pourrait aussi attirer les investisseurs qui veulent réallouer les sommes placées dans le bassin limité de titres de consommation au Canada, dont Couche-Tard fait partie.»

- Martin Landry, analyste, GMP Valeurs mobilières

METRO : UNE ACQUISITION EST ESSENTIELLE

«Il est essentiel que Metro réalise une acquisition. Si Loblaw a acheté Shoppers, cela signifie que la chaîne Overwaitea (dans l'Ouest canadien) n'est pas à vendre, ou qu'elle est trop chère. Cela place le Groupe Jean Coutu dans la ligne de mire de Metro. Walmart doit aussi évaluer ses options. Et il y en a de moins en moins.»

- Perry Caicco, analyste, Marchés mondiaux CIBC

JEAN COUTU : DES NOCES AVEC METRO ?

«Jean Coutu est un bon acteur dans son marché et il a les moyens de faire des acquisitions. Pour sa part, Metro a déjà commencé à se diversifier dans l'épicerie ethnique avec l'achat d'Adonis.»

- JoAnne Labrecque, professeure à HEC Montréal, pour qui l'achat de la chaîne de pharmacies Jean Coutu par Metro n'est pas incontournable.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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