Le désespoir de Jean Coutu, l'espoir du marché


Édition du 11 Février 2017

Le désespoir de Jean Coutu, l'espoir du marché


Édition du 11 Février 2017

123rf

Le Groupe Jean Coutu (PJC.A, 20,13 $) est-il sur le point d'être vendu ? La question court depuis quelque temps déjà, mais a repris de la force il y a deux semaines, à la suite d'un reportage de TVA sur la famille Coutu.

La partie centrale du reportage pour l'investisseur traite des difficultés que font subir à l'entreprise les politiques du ministre de la santé, Gaétan Barrette.

On sent la lassitude. «Avant, nous avions le désir et le goût de développer [au Québec]. Ça nous a enlevé le goût de travailler à long terme. La famille se pose des questions», y dit notamment François Jean Coutu, chef de la direction de l'entreprise.

Odeur de vente, ce qui peut vouloir dire plus-value à venir pour le titre. Odeur aussi de difficultés, ce qui peut également vouloir dire moins-value à venir.

Que faire ?

Gérer son risque et tenter de voir à quel risque de recul l'action est exposée. Et, en parallèle, sonder le potentiel de gain si jamais la famille décidait de mettre en vente.

Les vents contraires

D'abord, un mot sur les principaux vents contraires qui devraient souffler sur l'entreprise. Ils sont en partie contrebalancés par le vieillissement de la population et par les synergies qui seront obtenues dans le nouveau centre de distribution, mais ils sont potentiellement très forts.

1. Le déplafonnement de la ristourne aux pharmaciens

Le ministre Barrette a réduit les honoraires aux pharmaciens. Il a promis de compenser la compression en déplafonnant les ristournes qui leur sont versées par les fabricants de médicaments génériques pour qu'ils adoptent leurs produits.

Depuis avril 2016, le déplafonnement est commencé, et Pro Doc, la filiale de médicaments génériques de Jean Coutu, doit verser aux pharmaciens du réseau non plus 15 % du prix du médicament qu'elle leur vend, mais 30 %. Sinon, ceux-ci iront s'approvisionner ailleurs.

La nouvelle ristourne a probablement retranché autour de 20 millions de dollars au bénéfice de Jean Coutu, selon une évaluation de BMO Marchés des capitaux. C'est environ 6 % du bénéfice total.

Ce 30 % était cependant un plafond intérimaire placé par le gouvernement. Le 28 janvier, il a été totalement levé. Et cette fois, les fabricants peuvent offrir des commissions encore plus généreuses pour que l'on adopte leurs produits. BMO calcule que la commission pourrait grimper à 40 %, et retrancher 20 M$ supplémentaires au bénéfice. C'est encore 6 ou 7 % du bénéfice total qui pourraient partir dans les prochains mois.

2. Les appels d'offres pour un approvisionnement unique

C'est précisément ici se trouve la plus grande menace. Québec a depuis quelques mois la possibilité de lancer des appels d'offres pour la fourniture exclusive de médicaments génériques.

Parce qu'elle s'approvisionne généralement auprès de tiers, la filiale Pro-Doc n'aura vraisemblablement pas la possibilité de participer aux appels d'offres (les fabricants de génériques préférant miser directement et ne pas avoir à laisser un pourcentage à Pro Doc). Chacun de ces appels voudra donc dire une perte assurée en revenus. Le gouvernement risque d'être tenté de cibler les plus importants médicaments, ce qui veut dire qu'une forte proportion des revenus risque d'être effacée. Valeurs mobilières TD estime que près de 15 % du bénéfice 2017 prévu pour Jean Coutu risque de disparaître, si Pro Doc n'existe plus.

Quel est le risque de recul du titre ?

Le risque ultime est que la filiale Pro Doc disparaisse. À l'automne, RBC Marchés des capitaux évaluait que sa disparition ferait passer le bénéfice avant intérêts, impôts et amortissement (BAIIA) de 304 M$ à 241 M$. En appliquant un multiple de marché de 10 à ce bénéfice, la maison concluait que le titre vaudrait alors 14 $.

Le multiple est un peu fort comparativement à des sociétés comme CVS (8,5) et McKesson (8,5), mais conforme à celui de Walgreen. Il est en outre probable que le marché continuerait d'appliquer un bon multiple étant donné la possibilité persistante d'une OPA.

Il est aussi peu probable que la rentabilité de Pro Doc tombe à zéro. Le gouvernement n'ira pas en appel d'offres sur tous les médicaments.

Le risque de recul est probablement davantage autour de 16 ou 17 $.

Quel est le potentiel de gain ?

On parle ici du potentiel en cas de mise en vente de l'entreprise.

Valeurs mobilières TD note que le titre se négocie actuellement à un multiple de 12,5 fois le BAIIA. C'est déjà un multiple d'OPA. Sur une douzaine d'acquisitions recensées dans le secteur, il n'y en a en fait que deux qui se sont réalisées à un multiple supérieur.

Appliquons quand même un multiple de 14, l'action se négocierait alors autour de 23,50 $ et le rendement serait de 16 %. Mais c'est aussi, vraiment, dans le meilleur des scénarios.

Constat ?

Les investisseurs semblent bien plus anticiper une vente de l'entreprise que la détérioration des résultats. Ils parient, que, lassée, la famille mettra le groupe en vente. Dit autrement, le désespoir de la famille Coutu est leur espoir.

C'est un pari que l'on ne tiendrait pas. Le titre semble davantage à risque de recul que de progression pour un certain temps.

Recommandations

3 SOUS-PERFORMANCE

6 CONSERVER

1 VENDRE

1 SUPERPERFORMANCE

Cours actuel : 20,13 $

Cours cible moyen : 19,45 $

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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