Canada Goose : le coup de froid

Offert par Les Affaires


Édition du 26 Janvier 2019

Canada Goose : le coup de froid

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Édition du 26 Janvier 2019

CHRONIQUE. Le Canada a bon nom à l'étranger. Utilisons-le pour tenter de donner du levier à nos produits. Bonne stratégie que celle du fabricant de vêtements extérieurs Canada Goose (GOOS, 64,80 $) ?

Probablement. Mais qui n'est pas exempte de contrecoups. Comme en fait montre l'importante glissade de près de 30 % enregistrée par le titre depuis le début du mois de décembre.

Certes, il y a une baisse de la marée en général dans cette correction (les sous-indices du secteur du détail sont en baisse de 5 % au Canada et aux États-Unis). Il faut aussi reconnaître qu'on partait d'un sommet (le marché a tendance à rajuster plus fortement à la baisse un titre à un sommet lorsque l'humeur générale change, parce qu'il redoute d'avoir péché par excès d'enthousiasme).

Mais il y a surtout ceci : Huawei.

L'arrestation de la directrice financière du géant asiatique au début du mois de décembre a fortement refroidi les relations entre le Canada et la Chine.

Il n'a fallu que quelques jours pour que les médias fassent échos d'un mouvement de ressentiment et d'un boycott potentiel des produits canadiens en Chine.

Canada Goose, qui tente justement une expansion dans l'empire du milieu, a bien ressenti le coup de froid.

Le boycott chinois est-il si dur ?

Sur la rentabilité à court terme de Canada Goose, pas vraiment. La société n'a en fait qu'une trentaine de points de distribution (et seulement deux magasins en propre) en Chine. À titre de comparaison, elle en compte 250 en Amérique du Nord et 865 en Europe. Un boycott sur 2,5 % d'un réseau risque peu de mettre en péril les bénéfices d'une entreprise. Particulièrement lorsque les autres points de distribution continuent d'offrir de la croissance.

Un boycott sur 2,5 % d'un réseau où sont construits d'importants espoirs de croissance est cependant susceptible de porter un coup senti aux multiples auxquels se négocie un titre. Le doute s'installant dans le marché sur les perspectives d'avenir, les multiples dégonflent. Particulièrement lorsque l'action se négocie à 60 fois le bénéfice attendu pour l'exercice en cours.

D'où la glissade observée.

Le titre peut-il se redresser ?

Certains le croient, comme Meaghen Annett, de Valeurs mobilières TD, qui, au moment où le cours touchait les 60 $, haussait sa recommandation à «achat».

L'analyste s'attend à ce que les récents événements s'arrangent avec le temps et que le potentiel du marché chinois revienne alors dans les esprits et l'évaluation.

Elle note en outre que pendant que les diplomaties canadienne, américaine et chinoise sont à l'oeuvre, les résultats devraient continuer de progresser.

Une progression générée par l'expansion du réseau de distribution physique, mais surtout par la popularité de la marque et les efforts en ligne. La force du magasinage des manteaux en ligne a de quoi faire lever les sourcils. En 2015, les ventes directes en ligne représentaient environ 4 % des ventes totales de Canada Goose. Elles sont aujourd'hui à 43 %. Et Susquehanna Financial Group s'attend à ce qu'elles atteignent 70 % en 2021. Leur progression est d'autant plus intéressante qu'elles offrent des marges bénéficiaires supérieures, aucune commission n'ayant à être versée aux détaillants physiques.

Mme Annett appuie notamment son optimisme sur le fait que le marché international est encore faiblement pénétré par Canada Goose. Au Canada, pour chaque 1 000 individus ayant un revenu de ménage de plus de 100 000 $, l'entreprise vend actuellement 52,2 manteaux. Ailleurs, au-dessus du 37e parallèle, la pénétration est à 10,2 manteaux par 1 000 individus au Japon et en Corée du Sud, 6 pour 1 000 aux États-Unis et 5 pour 1 000 en Europe.

La plupart des analystes sont aussi optimistes, alors que le consensus prévoit que le bénéfice par action devrait avancer de 31 % sur l'année 2020 (mars) et de 26,9 % l'année suivante (2021).

«Oui mais, même en adhérant au raisonnement, le titre demeure à plus de 51 fois le bénéfice attendu en mars 2019, un très fort multiple», dira-t-on.

Tout dépend de l'angle sous lequel on choisit de regarder.

Des sociétés de vêtements comme Under Armour et Brunello Cucinelli se sont en moyenne négociées à un multiple de 42 fois le bénéfice des 12 mois à venir à des époques où leur bénéfice croissait à un rythme de 20 % à 30 % par année. Or, sur l'exercice suivant (2020), le multiple de Canada Goose est à 39,4 fois, et il n'est qu'à 31 fois l'anticipation 2021.

Si on croit que les relations se seront réchauffées entre la Chine et le Canada en 2020-2021 et que les taux de pénétration ont le potentiel de grimper significativement, le titre est probablement effectivement une occasion intéressante.

On reste cependant personnellement méfiant quant aux sociétés de vêtements et accessoires griffés à haut multiple. Avec à l'esprit les chutes de marché rapides connues dans le passé par des noms iconiques tels que Crocs, Tommy Hilfiger et Under Armour. Trop populaire rend souvent moins populaire, et les revirements de croissance peuvent être rapides.

Pour ceux qui auraient tout de même envie de s'aventurer sur le marché de la mode, le titre du détaillant Aritzia (ATZ, 16,22 $) semble plus attrayant. Ses conceptions vestimentaires gagnent en popularité alors que son bénéfice a avancé de 23 % dans les 12 derniers mois; sous l'impulsion de ventes comparables en forte progression. Le consensus des analystes est pour une progression de 15 % l'an prochain et de 22 % l'année suivante. Les avancées du bénéfice sont un peu plus modestes que pour Canada Goose, mais, à 17,6 fois l'anticipation de l'an prochain, le titre est porteur de beaucoup moins d'attentes que le 39 fois de cette dernière.

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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