BCE-Astral: le coup de poker de Québecor

Publié le 08/08/2012 à 09:10, mis à jour le 08/08/2012 à 09:10

BCE-Astral: le coup de poker de Québecor

Publié le 08/08/2012 à 09:10, mis à jour le 08/08/2012 à 09:10

BLOGUE. C'est un intéressant coup de poker que joue Québecor en sortant conjointement avec Cogeco Câble et Eastlink pour demander aux Canadiens et au CRTC de bloquer l'acquisition d'Astral par BCE. Gagnant? Probablement, parce que la conclusion espérée n'est pas celle qui est demandée.

Les trois joueurs de la câblodistribution estiment que si la transaction est approuvée, Bell aura un tel poids dans le marché canadien que les prix demandés aux annonceurs et aux consommateurs augmenteront. La capacité de choix sera aussi limitée.

Ça n'a pas été clairement énoncé, mais, plus encore que les parts de marché, c'est le bilan de BCE qui semble redouté. C'est-à-dire sa capacité à davantage investir dans la programmation que ce qu'investissait Astral.

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Si une guerre de prix se déclenche pour quelques téléséries, les coûts des stations de télé augmenteront, et celles-ci chercheront à refiler la facture aux câblodistributeurs et à leurs clients publicitaires. Les câblodistributeurs tenteront ensuite à leur tour de refiler la facture au consommateur. Pour que le moins possible de l'augmentation des coûts ne vienne faire fondre son bénéfice à soi.

Avec sa multiplicité de chaînes, ajoute l'alliance, Bell pourrait au surplus ultimement tenter de forcer des abonnements en forfaits, ou encore forcer des achats d'autres services (Bell réplique que c'est faux et que les règles du CRTC l'interdisent).

Voilà que commence à se profiler avec plus de détails ce qui risque d'arriver lorsque l'on donne les clefs de la culture à trop peu de joueurs. L'enjeu est particulièrement préoccupant au Québec, où ça sent déjà l'enchère entre Québecor et Bell pour quelques séries ou événements culturels. Il restera au final moins d'argent pour assurer la diversité.

Ne nous égarons pas et restons sur le coup de poker de Québecor.

En conférence téléphonique, le président de Cogeco, Louis Audet, a, à quelques reprises, reproché à Bell ses pratiques anticoncurrentielles (tentatives de forcer des forfaits, demandes de prix exagérées, etc). Elle déroge au code de conduite mis en place par le CRTC, a-t-il expliqué. Monsieur Audet n'a pas précisé exactement à quel code il renvoyait, mais on comprend qu'il s'agit sans doute du code sur l'intégration verticale, qui contient des principes, mais qui, à ses dire, ne sont pas absolus.

Danger, a-t-il dit, il y a un éléphant qui grossira encore (une formule empruntée à monsieur Péladeau) et qui ne se comportera pas mieux qu'il se comportait et fera encore plus de dégâts.

Question: faudrait-il dans ce cas renforcer la réglementation?

Il serait étonnant que le CRTC fasse droit aux demandes de Québecor, Cogeco et Eastlink de bloquer la transaction. Dans le pire des cas, on assistera peut-être à une vente de quelques stations au Canada anglais. Il serait étonnant, parce que pour espérer faire un gain, il aurait à tout le moins fallu obtenir l'adhésion de Rogers, Shaw, Telus et d'autres joueurs de la distribution. En l'absence d'un front totalement uni, la frappe a peu de chances de succès. D'autant que les auditoires combinés apparaissent rentrer dans les paramètres actuels d'approbation.

Cela ne veut cependant pas dire que les audiences à venir ne soulèveront pas la question sur une règlementation plus forte du système.

À ce jour, TVA n'a jamais eu un pouvoir de négociation extraordinaire avec les distributeurs. Elle a quelques chaînes spécialisées, mais leur popularité n'est pas assez forte. La Cour Suprême doit cependant bientôt se pencher sur les redevances aux généralistes. Si elle donne son feu vert, les choses changeront très assurément. Québecor obtiendra du coup un énorme pouvoir de négociation. Aucun distributeur ne peut se passer d'offrir TVA, ce serait des pertes d'abonnement automatiques.

Vous voyez le risque pour Québecor. S'il fallait que le CRTC autorise la vente d'Astral à BCE, mais, devant les revendications n'en vienne finalement à conclure qu'il serait souhaitable de réglementer les redevances (à un taux fixe pour tous?), c'est une somme sans doute assez appréciable que pourrait perdre TVA. Aucun signal n'a plus de valeur au Canada que celui de sa grande antenne.

Québecor apparaît avoir beaucoup à gagner en tentant de bloquer un nouveau concurrent aux poches profondes, mais la hauteur de la perte peut aussi être appréciable si elle déclenche une réflexion réglementaire.

Dangereux le coup de poker?

À propos de ce blogue

Diplômé en droit de l'Université Laval, François Pouliot est avocat et commente depuis plusieurs années l'actualité économique et financière. Il a été chroniqueur au Journal Le Soleil, a collaboré au Globe and Mail et dirigé les sections économiques des différentes unités de Quebecor Media, notamment la chaîne Argent. Au cours de sa carrière, il a aussi fait du journalisme d'enquête ce qui lui a valu quelques distinctions, dont le prix Judith Jasmin. La Bourse Southam lui a notamment permis de parfaire son savoir économique à l'Université de Toronto. François a de même été administrateur de quelques organismes et fondation. Il est un mordu des marchés financiers et nous livre son analyse et son point de vue sur diverses sociétés cotées en bourse. Québec inc. sera particulièrement dans sa mire.

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