Commerce: un brassage de cartes utile au Canada


Édition du 08 Mars 2023

Commerce: un brassage de cartes utile au Canada


Édition du 08 Mars 2023

Pour diversifier les risques de leur chaîne logistique, les entreprises échangeront moins de biens entre elles d’un bout à l’autre de la planète. (Photo: 123RF)

ZOOM SUR LE MONDE. Pour la première fois en 25 ans, la croissance du commerce international sera plus faible que la croissance économique mondiale d’ici 2031, affirme le Boston Consulting Group (BCG). Les échanges seront plus ciblés par région, avec l’Asie du Sud-Est qui deviendra LE centre de gravité. Et le Canada est bien positionné pour en profiter.

Au cours des huit prochaines années, le commerce des marchandises sur la planète progressera en moyenne de 2,3 % par année, comparativement à 2,5 % pour le PIB mondial, selon un récent rapport du BCG.

La firme américaine avance trois causes perturbatrices à ce mouvement de plaques tectoniques géoéconomiques:1 – Le divorce Union européenne (UE)-Russie en raison de la guerre en Ukraine; 2 – La réduction de la dépendance de l’Occident à l’égard de la Chine; 3 – La montée en puissance de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est (ANASE, ou plus souvent ASEAN, en anglais). Dans ce contexte, pour diversifier les risques de leur chaîne logistique (approvisionnement, production, commercialisation), les entreprises échangeront moins de biens entre elles d’un bout à l’autre de la planète, comme avant la pandémie.

Elles se tourneront plutôt vers des fournisseurs et des clients situés dans leur région, sur leur continent ou dans des marchés jugés «amis» (le friend shoring).

En entrevue à Les Affaires, Marc Gilbert, l’un des auteurs du rapport, affirme que le Canada est «généralement avantagé» dans cette nouvelle carte du commerce international, où il y aura des gagnants et des perdants.

Le Canada a par exemple des accords de libreéchange avec les ÉtatsUnis, le Mexique et l’Union européenne, souligne ce Québécois qui est directeur général, associé principal et chef de bureau montréalais du BCG. De plus, Ottawa a amorcé en 2021 des pourparlers — les négociations sont toujours en cours — pour conclure un traité de libre-échange avec les dix pays de l’ASEAN, incluant l’Indonésie, le Vietnam et les Philippines. En 2021, les échanges commerciaux du Canada avec ce bloc économique ont totalisé 31,6 milliards de dollars canadiens, soit le quart de la valeur de notre commerce avec l’UE, selon Statistique Canada. Le Canada a bien d’autres avantages, insiste Marc Gilbert. Le pays a une main-d’oeuvre éduquée, une économie diversifiée (services financiers, manufacturier avancé, intelligence artificielle, etc.) ainsi que de vastes ressources naturelles stratégiques pour la transition énergétique.

Les trois causes perturbatrices auront des conséquences majeures d’ici 2031.

 

Divorce entre l’UE et la Russie

Entre 2023 et 2031, le commerce bilatéral UE-Russie diminuera de 262 milliards de dollars américains (355 G$CA) dans la foulée des sanctions occidentales, incluant la décroissance des exportations de pétrole et de gaz russes en Europe. En matière de valeur, cette diminution du commerce russoeuropéen représente environ 12 % du PIB du Canada. Pour compenser cette perte, les entreprises russes exporteront davantage vers d’autres pays, comme la Chine et l’Inde.

 

Réduction de la dépendance à la Chine

Les flux commerciaux des États-Unis et de l’Union européenne avec la Chine changeront aussi de manière importante. Par exemple, d’ici 2031, le commerce sinoaméricain décroîtra de 63G$ US (85 G$CA). En 2022, les échanges de marchandises entre les deux pays se sont élevés à 690,6G$ US, selon le U.S. Census Bureau. Cette diminution de 63G$ US représente donc un recul 9 % par rapport à l’année 2022, ce qui est considérable. En revanche, le commerce entre l’UE et la Chine continuera de progresser, mais à un rythme plus lent que la moyenne annuelle mondiale de 2,3% d’ici 2031. Malgré tout, les échanges bilatéraux augmenteront de 72 G$US. Pour réduire leur dépendance à la Chine, les entreprises occidentales commerceront davantage avec les dix pays de l’ASEAN, l’Inde et le Mexique.

 

La montée en puissance de l’ASEAN

L’ASEAN sera «la principale bénéficiaire»de cette nouvelle configuration du commerce international, affirme le BCG. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Dans les huit prochaines années, les échanges commerciaux de l’ASEAN avec la Chine bondiront de 438 G$US, tandis qu’ils augmenteront respectivement de 236G$ US et de 172G$ US avec les États-Unis et l’UE. Les entreprises seront attirées vers l’Asie du Sud-Est en raison des faibles coûts de production, sans parler de l’étendue et de la profondeur croissantes de ses capacités de fabrication.

À terme, l’Asie du Sud-Est pourrait même détrôner la Chine pour devenir la nouvelle usine du monde, selon le magazine britannique The Economist.

Si le Canada est bien positionné pour profiter de ce nouvel environnement commercial, les retombées positives ne tomberont pas du ciel, fait remarquer Marc Gilbert. Bref, nos entreprises devront fournir des efforts pour en récolter les fruits.

Par exemple, d’ici 2031, l’UE et les États-Unis vont accroître leurs échanges de 338G$ US. Certes, le commerce canado-américain augmentera de 55G$ US dans les huit prochaines années. En revanche, le rythme de croissance des échanges transatlantiques (plus de 2,3 % par année) progressera plus rapidement que ceux entre le Canada et les États-Unis (de 0% à 2,3% par année), prévoit le BCG, et ce, sans accord de libre-échange entre Washington et Bruxelles.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand