Trois années cruciales pour la démocratie américaine


Édition du 19 Janvier 2022

Trois années cruciales pour la démocratie américaine


Édition du 19 Janvier 2022

Les Américains ont clairement et majoritairement signifié qu’ils sont encore attachés à leur démocratie, aussi imparfaite soit-elle. (Photo: Luke Michael pour Unsplash)

ANALYSE. Un an après l’insurrection au Capitole et l’arrivée au pouvoir de Joe Biden, la stabilité politique des États-Unis demeure une source d’inquiétude, autant pour les élections de mi-mandat de novembre 2022 que pour la présidentielle en 2024. Pour autant, il ne faut pas céder aux peurs exagérées, voire irrationnelles.

La santé démocratique de notre puissant voisin est vitale pour le Canada. Sur le plan économique, car les Américains sont nos principaux partenaires commerciaux, et sur le plan politique, parce qu’une montée de l’illibéralisme et de l’autoritarisme au sud de la frontière finirait par avoir un effet sur la politique canadienne.

Actuellement, au Congrès, les démocrates contrôlent la Chambre des représentants et le Sénat — les deux partis sont en fait à égalité (avec deux indépendants qui votent avec les troupes de Joe Biden) dans cette chambre, mais la vice-présidente Kamala Harris fait pencher la balance du côté des démocrates.

Le 8 novembre prochain, les 435 sièges à la Chambre des représentants et le tiers des 100 sièges au Sénat seront en jeu. Il y aura aussi des élections pour des postes de gouverneurs dans 36 États.

Les démocrates pourraient alors perdre le contrôle du Sénat, mais aussi de la Chambre des représentants. Dans la première moitié du mandat de Donald Trump (de janvier 2017 à janvier 2019), les républicains contrôlaient le Congrès.

 

Répercussions potentielles sur les entreprises canadiennes

La reprise du Congrès par les républicains pourrait avoir des répercussions sur les entreprises canadiennes actives aux États-Unis.

Les républicains pourraient alors revoir à la baisse le plan de relance Build Back Better (BBB) du président Biden pour relancer l’économie américaine, réduire la pauvreté et accélérer la transition énergétique.

Adopté en novembre par la Chambre des représentants, ce plan de relance a peine à se faire adopter au Sénat en raison de l’opposition du sénateur démocrate, Joe Manchin, de la Virginie occidentale, qui le trouve trop coûteux.

La valeur du plan a déjà fondu depuis un an. À l’origine, le BBB s’élevait à 3500 milliards de dollars américains (4400 G$ CA). Aujourd’hui, il avoisine un peu moins de 2000 G$ US.

Le climat de division dans lequel aura lieu l’élection de mi-mandat inquiète plusieurs analystes. Tout comme la tenue de la présidentielle en 2024, car Donald Trump pourrait se représenter.

 

Sources d’inquiétude

Un an après l’attaque du Capitole le 6 janvier 2021, 71 % des républicains pensent qu’on a volé l’élection présidentielle à Donald Trump, selon un sondage ABC News-Ipsos réalisé fin décembre.

Avant l’élection, Donald Trump a affirmé que les démocrates truqueraient les résultats. L’élection a été intègre, et aucun élément ne permet de conclure qu’il y a eu une fraude. Or, Trump répète ce mensonge depuis un an.

Que se passera-t-il en novembre si les démocrates gardent le contrôle du Congrès ? Des républicains contesteront-ils les résultats ? Verra-t-on encore des scènes violentes au Capitole ou dans des États ?

Ce climat de méfiance est très malsain, d’autant plus qu’un récent sondage («Washington Post»-University of Maryland) montre que 34 % des Américains croient que la violence contre le gouvernement est parfois justifiée.

Le rôle de l’armée américaine lors de la prochaine présidentielle est une autre source d’inquiétude.

En décembre, trois généraux à la retraite ont indiqué qu’une autre insurrection pourrait avoir lieu en 2024 et que des militaires en service pourraient cette fois y prendre part activement, ce qui serait alors un coup d’État en bonne et due forme.

Ils s’inquiètent du fait que 124 généraux et amiraux à la retraite ont publié une lettre contestant les résultats de l’élection de 2020. C’est pourquoi les trois hommes exhortent le Pentagone à prendre ce risque de sédition au sérieux et à prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter ce scénario.

Tous ces éléments indiquent qu’il y a une crise de la démocratie aux États-Unis.

 

Raisons d’espérer

Malgré tout, il y a raison d’espérer que la démocratie américaine puisse rebondir, comme elle l’a fait après la guerre de Sécession (de 1861 à 1865) ou après les années 1960, durant lesquelles ont été assassinés John F. Kennedy et Martin Luther King.

Depuis 1787, les États-Unis ont un système politique caractérisé par la séparation des pouvoirs afin de procurer un « check and balance ». Cette séparation — qui n’existe pas au Canada, où le gouvernement est le législatif et l’exécutif — est un garde-fou contre les tentations autoritaires.

Le tiers des républicains ont accepté le résultat de la présidentielle de 2020, et des leaders influents, comme Mitch McConnell (leader de la minorité républicaine au Sénat) et Brad Raffensperger (le secrétaire d’État de la Géorgie), sont toujours en poste. Ce tiers de républicains est attaché à la démocratie américaine.

Dans ce contexte, trois scénarios sont possibles aux États-Unis d’ici 2024.

 

Le scénario le plus probable 

Débutons par le plus improbable, un coup d’État en 2024, avec l’appui de l’armée. La fin de la démocratie américaine. Vraiment ? La démocratie est dans l’ADN du pays, et l’armée a toujours été au service de la République, sauf durant la guerre de Sécession.

Certes, il y a des extrémistes dans l’armée. Mais un depuis an, le Pentagone et le FBI mènent des enquêtes et l’armée sélectionne mieux les nouvelles recrues, même si cette tâche est complexe, rapporte le magazine américain « Foreign Policy ».

Un autre scénario, lui possible, est une grave crise constitutionnelle en raison de contestations de résultats lors des élections de mi-mandat cet automne et de l’élection présidentielle en novembre 2024.

Il y aurait des dépouillements judiciaires, mais les résultats seraient encore contestés. Les tribunaux devraient peut-être alors trancher, voire la Cour suprême, comme lors de l’élection du républicain George W. Bush en 2000.

Enfin, le scénario le plus probable à moyen terme, c’est que les élections de mi-mandat et la présidentielle de 2024 se passent relativement bien, malgré des tensions entre démocrates et républicains.

La Commission d’enquête sur l’attaque du Capitole du 6 janvier aura alors fait des recommandations — peut-être même avant novembre 2022. Les institutions auront été renforcées, incluant l’armée.

Plus important encore, les Américains auront clairement et majoritairement signifié qu’ils sont encore attachés à leur démocratie, aussi imparfaite soit-elle.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand