Politique commerciale de Trump : et si le pire était à venir?

Publié le 22/02/2019 à 20:15

Politique commerciale de Trump : et si le pire était à venir?

Publié le 22/02/2019 à 20:15

Le président des États-Unis Donald Trump

Le président américain Donald Trump (Source photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Renégociation de l’ALÉNA, tarifs sur l’aluminium et l’acier, retrait des États-Unis du Partenariat transpacifique… La politique commerciale du président Donald Trump a eu un impact majeur sur l’économie canadienne depuis deux ans. Et l’onde de choc pourrait s’amplifier cette année.

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En fait, il faut surveiller plusieurs choses en 2019, à commencer par la possibilité que Washington impose des tarifs sur les importations d’automobiles et de composants automobiles, selon les prévisions 2019 du cabinet montréalais CMKZ spécialisé en droit du commerce international.

Selon la chaîne CNBC, le président Trump aurait sur son bureau un rapport confidentiel du ministère du Commerce qui pourrait recommander d’imposer des tarifs allant jusqu’à 25%, soit le même niveau que sur les importations d’acier (10% sur l’aluminium).

Le cas échéant, de tels tarifs auraient un impact majeur sur les constructeurs automobiles européens et asiatiques, sans parler de ceux établis au Canada, dont la plupart ont des chaînes logistiques intégrées des deux côtés de la frontière.

Des exportations automobiles de 57G$

L’enjeu est de taille pour l’économie canadienne.

En 2017, le groupe des voitures (véhicules automobiles pour transport de personnes, voitures de tourisme, voitures de course) était notre deuxième poste d’exportation aux États-Unis à 57,3 milliards de dollars canadiens (G$), selon l’Institut de la statistique du Québec.

Cela représente 14% des exportations totales du Canada à destination du marché américain.

Seules les exportations de pétrole brut ou de minéraux bitumineux surpassent les expéditions canadiennes d’automobiles avec une valeur de 69 G$.

En principe, Donald Trump devrait bientôt indiquer si les États-Unis imposeront ou non des tarifs, une attente qui crée de l’incertitude, sans parler de la probabilité élevée que ses partenaires commerciaux contre-attaquent, selon le cabinet CMKZ.

«L’imposition de tels tarifs douaniers sur les importations d’automobiles donnerait lieu à un bras de fer avec le Japon, la Corée et l’Allemagne, grands exportateurs d’automobiles vers les États-Unis, et à une escalade de contre-mesures comme c’est toujours le cas dans ce genre de situations.»

La guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine est bien entendu un autre enjeu à surveiller sur votre écran radar en 2019, car les risques d’une amplification du conflit sont élevés, affirment les spécialistes.

Depuis la mi-janvier, Washington et Pékin négocient pour tenter d’enterrer la hache de guerre d’ici le 1er mars, date à partir de laquelle les tarifs de 10% sur 200 G$US d’importations chinoises pourraient bondir à 25%, rapporte le Wall Street Journal.

Les Américains reprochent notamment aux Chinois de faire des transferts technologiques illicites et d’accorder des subventions abusives aux grandes sociétés d’État chinoises, les fameuses State-Owned Enterprises (SOE).

La Chine serait prête à revoir le niveau de ses subventions, mais rien de vraiment concret n’aurait été proposé.

En revanche, la Chine serait prête à proposer un meilleur accès au marché chinois aux entreprises américaines, notamment pour des produits agricoles et des sources d’énergie tels que du soya, du pétrole brut et du gaz naturel liquéfié (GNL).

Un compromis entre Washington et Pékin sera difficile

Washington et Pékin peuvent-ils du reste trouver un terrain d’entente? Bien malin qui peut le prédire avec certitude.

Selon le magazine Foreign Policy, les deux pays ont des positions difficilement réconciliables. Cette situation accroît la probabilité de l’imposition de nouveaux tarifs sur un second bloc d’importations chinoises (pour une valeur totalisant 267 G$US), qui pourraient cette fois inclure les produits d’Apple (les iPhones) fabriqués en Chine et importés aux États-Unis.

Les griefs de Washington à l’égard de la Chine sont sérieux : non seulement la Chine fait-elle preuve de protectionnisme, mais ses entreprises voleraient aussi des technologies américaines, ce qui représente une menace stratégique pour les États-Unis.

Pékin semble prêt à faire certains compromis. La bonne volonté des Chinois a toutefois des limites, soulignent les spécialistes.

La Chine n’acceptera jamais quelque chose qui pourrait compromettre son développement économique et miner la stabilité sociale du pays, une condition essentielle au maintien au pouvoir du parti communiste.

La crise de l’OMC menace le Canada

Enfin, vous devez aussi suivre de près les tentatives de réformer l’Organisation mondiale du commerce (OMC), une question vitale pour un pays de taille moyenne comme le Canada qui n’a pas un grand rapport de force face aux États-Unis.

Les Américains bloquent depuis des mois la nomination de juges à l’organe d’appel de l’OMC. Et selon CMKZ, ils continueront à le faire cette année, car ils estiment que ses décisions vont à l’encontre de leurs intérêts.

Or, si cette situation n’est pas résolue en 2019, cela empêchera le tribunal administratif d’entendre de nouveaux différends à partir du mois de décembre, moment à partir duquel prendra fin le mandat de deux des trois juges.

Les trois jugent peuvent par contre achever les dossiers en cours d’ici cette échéance.

Cette situation est problématique pour le Canada, car Ottawa a notamment porté plainte contre Washington après l’imposition de tarifs de 25% sur les importations d’acier et de 10% sur celles d’aluminium.

Question fondamentale s’il en est une : l’organe d’appel de l’OMC pourrait-il poursuivre son travail sur ce cas spécifique après le mois de décembre si jamais les Américains bloquaient toujours la nomination des juges?

Il n’y pas de certitude à ce sujet.

Chose certaine, le Canada ne pourrait pas porter plainte contre les États-Unis en 2020 si Washington imposait de nouveaux tarifs sur les importations d’automobiles.

Il y a d’ailleurs une course contre la montre dans ce dossier.

Depuis octobre, le Canada joue un rôle de leader pour tenter de dénouer cette crise qui ébranle l’OMC, et ce, en discutant avec un groupe d’une vingtaine de pays membres de l’institution (sur un total de 164) qui partagent les mêmes vues sur son avenir.

Reste à voir toutefois si ce groupe pourra trouver un terrain d’entente pour accommoder les Américains, qui demandent essentiellement deux choses :

  • que les règles de l’OMC s’appliquent aux subventions versées aux sociétés d’État et au transfert technologique forcé, une mesure qui vise principalement la Chine.
  • que l’OMC trouve une nouvelle façon de tenir compte des différents niveaux de développement des économies afin que des pays comme la Chine et l’Inde ne puissent plus utiliser des règles appliquées généralement aux pays moins développés.

Le commerce international est entré dans une zone de turbulence depuis l’élection de Donald Trump. La politique commerciale des États-Unis est devenue plus protectionniste, un mouvement amorcé sous l’administration Obama après la récession mondiale de 2008-2009.

Depuis deux ans, l’administration Trump n’a pas non plus hésité à imposer des tarifs élevés, à commencer par l’aluminium et l’acier, au nom de la sécurité nationale, en visant des pays alliés comme le Canada.

Les États-Unis ont aussi fait volé en éclat le statu quo dans leur relation économique avec la Chine, en déclenchant une guerre commerciale avec le géant asiatique avec qui ils avaient un déficit commercial de 382G$US en 2018, selon le U.S. Census Bureau.

Une stratégie qui n’a d’ailleurs pas que des détracteurs, car elle pourrait forcer à long terme la Chine à respecter davantage les règles de l’OMC, mais au prix d'une perturbation du commerce international à court terme qui affecterait notamment le Canada.

Bref, ces turbulences sont loin de vouloir s’estomper.

Bien au contraire.

 

 

 

 

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand