«Make America Lead Again»


Édition du 25 Novembre 2020

«Make America Lead Again»


Édition du 25 Novembre 2020

(Photo: 123RF)

CHRONIQUE. Depuis 1945, on tient la fluidité du commerce international pour acquise, mais elle n’est pas le fruit du hasard. Les échanges du ­Québec à l’étranger se déroulent bien, car les grandes routes commerciales sont sécuritaires et policées par la marine américaine. C’est pourquoi après quatre ans d’un gouvernement ­Trump isolationniste et imprévisible, les entreprises de partout sur la planète ont intérêt à ce que les ­États-Unis reprennent le rôle de leader dans le monde.

Contrairement à la situation qui prévaut dans les pays, il n’y a pas de police qui assure la sécurité et la stabilité dans le monde, malgré la présence de l’Organisation des ­Nations unies (ONU) et ses missions de maintien de la paix. Aussi, le système international demeure avant tout anarchique (dans le sens où il y a absence d’autorité ou de gouvernement mondial), selon les travaux de ­Kenneth W. Walt (1924‑2013), une figure de proue de la théorie des relations internationales.

Ce sont donc les grandes puissances qui assurent la stabilité du système politique international et, de facto, celle du commerce international. Or, depuis la fin de la ­Seconde ­Guerre mondiale, ce sont les ­États-Unis (et leurs alliés) qui ont assuré une relative stabilité mondiale, malgré la présence d’une autre superpuissance, l’Union soviétique, qui n’a jamais toutefois contrôlé les mers du globe.

Après la fin de la guerre froide (1945‑1991), le monde a connu brièvement un moment unipolaire, où les ­États-Unis ont dominé le système international, leur permettant par exemple d’attaquer l’Irak en 2003, malgré l’opposition de l’ONU et de leurs fidèles alliés, comme le ­Canada, la ­France ou l’Allemagne.

Cette courte fenêtre historique d’à peine deux décennies a toutefois commencé à se refermer lors de la récession mondiale de 2008‑2009. La montée en puissance de la ­Chine communiste (et, dans une moindre mesure, la renaissance de la ­Russie sur la scène mondiale) a aussi contribué à ce phénomène.

L’ordre ébranlé

Puis, en 2016, l’élection de ­Donald ­Trump a accentué cette tendance, avec un électrochoc qui a bouleversé l’ordre international que les ­Américains ont mis en place après 1945.

Désintérêt pour le multilatéralisme, tensions avec les alliés historiques des ­États-Unis, rejet de l’accord sur le nucléaire iranien qui permettait pourtant de stabiliser le ­Moyen-Orient… ­Washington a pris des décisions qui ont affaibli le système international et inquiété plusieurs de ses partenaires, alors que la ­Chine et la ­Russie en profitaient pour avancer leurs pions dans leur zone d’influence.

C’est pourquoi la victoire du démocrate ­Joe ­Biden lors de l’élection présidentielle américaine du 3 novembre a été bien si accueillie dans le monde –  et avec un manque d’enthousiasme poli, à ­Pékin et à ­Moscou. En effet, un gouvernement ­Biden a bien l’intention de renouer avec le rôle historique des ­États-Unis de « leader du monde libre » depuis 1945.

Dans l’édition de ­mars-avril de Foreign ­Affairs, l’ancien ­vice-président de ­Barack ­Obama a d’ailleurs signé une tribune, Why ­America ­Must ­Lead ­Again (Rescuing U.S. Foreign ­Policy ­After ­Trump), dans laquelle il expliquait sa vision et ses intentions s’il gagnait l’investiture démocrate, puis la course à la ­Maison-Blanche.

Tout y est ou presque : renforcement des alliances historiques, retour au multilatéralisme (incluant l’Accord de ­Paris sur le climat), promotion de la démocratie globale, alors que « la démocratie et le pluralisme sont menacés » dans le monde, selon l’ONG ­Freedom ­House.

Malgré toute leur bonne volonté, les ­Américains ont toutefois moins de marge de manœuvre qu’auparavant. Le monde a changé ces dernières années, à commencer par « la progression d’une ­Chine qui procède avec méthode et à long terme », souligne avec justesse Le ­Monde diplomatique .

Pour autant, si les ­États-Unis ne peuvent plus dominer le monde comme durant leur brève phase unipolaire (­était-ce du reste souhaitable ?), ils peuvent en revanche à nouveau l’influencer positivement en raison de leur réseau d’alliances qui n’a aucune commune mesure avec celui de la ­Chine ou de la ­Russie.

Malgré des divergences sur certaines questions, le ­Canada, les puissances européennes (­Royaume-Uni, ­France, ­Allemagne, ­Italie), le ­Japon, la ­Corée du ­Sud sont de fidèles alliés des ­États-Unis, sans parler du rapprochement en cours avec l’Inde (rivale de la ­Chine) et l’Indonésie. Les ­Américains sont également influents au sein des principales organisations internationales que sont l’ONU, l’alliance militaire atlantique (l’Organisation du traité de l’Atlantique ­Nord), la ­Banque mondiale et le ­Fonds monétaire international.

Les ­États-Unis sont loin d’être une démocratie parfaite, en plus d’être très une société divisée. C’est sans parler d’une présidence ­Trump qui a mis à mal les institutions du pays, mais ces dernières ont néanmoins résisté —on l’oublie souvent, ce sont les ­États-Unis qui ont inventé la vraie séparation des pouvoirs, au 18e siècle.

Malgré tout, nos entreprises actives sur les marchés étrangers ne peuvent que bénéficier d’une économie mondiale où les ­Américains exercent un leadership plus fort que durant ces quatre dernières années afin de stabiliser le système et le commerce international.

Si un nouveau leadership américain vous inquiète ou vous répugne, ­posez-vous cette question toute simple : à terme et dans l’absolu, qui ­préférez-vous qui police les principales routes commerciales dans le monde ? Les ­États-Unis ou la ­Chine ? La marine d’une démocratie ou la marine d’une dictature ?

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand