Long tweet à Donald Trump: vous avez affaibli l'Amérique

Publié le 04/11/2017 à 10:11

Long tweet à Donald Trump: vous avez affaibli l'Amérique

Publié le 04/11/2017 à 10:11

Le président américain Donald Trump (source photo: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Déjà un an Monsieur Trump. Le 8 novembre, cela fera un an que vous avez été élu président des États-Unis. Vous aviez un programme ambitieux, «Make America great again». Or, selon la plupart des spécialistes, vous avez plutôt affaibli votre pays et sa stature dans le monde.

Mais avant d’aller plus loin, rendons à César ce qui appartient à César. Depuis votre élection, plusieurs indicateurs économiques se sont améliorés.

Commençons par la Bourse. Depuis un an, l’indice Dow Jones a bondi de 32%, tandis que le S&P 500 a progressé de 24%. Les investisseurs sont aux anges.

Le taux de chômage est aussi à la baisse.

En octobre, il s’est établi à 4,1%, soit son taux le plus bas depuis décembre 2000, selon le ministère américain du Travail. En janvier, lorsque vous avez pris officiellement le pouvoir, le taux de chômage s’établissait à 4,8%.

La croissance économique s’est aussi améliorée.

En 2016, le PIB américain a progressé de 1,5%. Cette année, il devrait augmenter de 2,2%, pour s’établir à 2,3% en 2018, selon les plus récentes prévisions du Fonds monétaire international (FMI).

Il se créent des emplois, mais rien d’exceptionnel

La création d’emplois est aussi au rendez-vous, même si elle est légèrement inférieure que ne l’escomptaient les économistes. En octobre, 261 000 postes ont été créés aux États-Unis -on tablait plutôt sur 300 000.

Depuis votre élection, vous aimez d’ailleurs beaucoup parler de création d’emplois.

Durant les six premiers mois de votre mandat, les entreprises américaines ont créé 1 074 000 postes.

C’est bien.

Par contre, c’est sensiblement le même niveau que durant les six derniers mois de l’administration Obama, souligne CNNMoney.

Bien entendu, votre performance est bien meilleure que celle de Barack Obama durant ses six premiers mois à la Maison-Blanche en 2009. À l’époque 3,4 millions d'emplois avaient disparu, alors que l’économie américaine affrontait la pire récession depuis la Dépression des années 1930.

Par contre, les entreprises américaines ont créé 1,2 million d’emplois durant les six premiers mois de 2016, alors que Barack Obama était toujours président.

Difficile de dire que vous êtes un champion de la création d’emplois.

Vous nuisez au commerce international

Au chapitre du commerce international, il est pratiquement impossible de trouver des indicateurs positifs un an après votre élection. Le libéralisme économique, dont les États-Unis s’étaient fait les champions, est en déclin.

Vous l’avez remplacé par le protectionnisme.

Or, cette politique nuit à vos principaux partenaires commerciaux comme le Canada, mais aussi à une partie importante votre base électorale, les ouvriers et la classe moyenne.

Quand les États-Unis imposent des droits compensateurs et antidumping sur le bois d’œuvre canadien, cela fait augmenter le prix des maisons aux États-Unis et restreint l’accès à la propriété.

Vous semblez oublier à quel point l’économie canadienne et américaine sont intégrées. Les chaînes d’approvisionnement des entreprises sont essentiellement continentales.

Ériger des barrières commerciales entre le Canada et les États-Unis est aussi illogique que d’en ériger entre l’État de New York et la Pennsylvanie.

Vous n’avez pas inventé le protectionnisme, Monsieur le président.

C’est l’administration Obama qui a renforcé le Buy America qui s’applique au transport public. Son gouvernement a fait passer le seuil minimal de contenu américain de 60% en 2016 à 70% en 2020 –il est de 65% depuis le 1er octobre.

Par contre, vous avez amené le protectionnisme à un autre niveau. L'imposition de droits faramineux de 300% (compensateurs et antidumpings) sur le CSeries de Bombardier s’inscrit dans cette logique.

Depuis 1945, le président des États-Unis (démocrate comme républicain) a toujours été le champion de la libéralisation du commerce international.

Aujourd’hui, c’est Xi Jinping, le président de la Chine communiste, affirment plusieurs spécialistes.

Votre politique étrangère inquiète vos alliés

Votre bilan est tout aussi mitigé au chapitre du rôle de «gendarme» que les États-Unis jouent dans le monde, qui assure la pax americana.

Au cours du 20e siècle, votre pays a vaincu les deux grands totalitarismes qui menaçaient la démocratie, le nazisme et le communisme.

C’est pourquoi le président américain a été longtemps considéré comme le «leader du monde libre». Mais aujourd’hui, c’est beaucoup moins vrai. «America First», comme vous dites si bien.

Pendant la guerre froide (1945 à 1989), les alliés européens et asiatiques des États-Unis pouvaient compter sur leur soutien inconditionnel afin de les défendre contre une agression de l’ex-Union soviétique.

Depuis un an, vos alliés ont de sérieux doutes, surtout ceux qui sont membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN).

Durant la campagne présidentielle de 2016, vous avez lié ce soutien à leurs contributions financières au budget de l’OTAN (les dépenses militaires doivent représenter au moins 2% du PIB).

Certes, vous avez corrigé un peu le tir depuis, mais le mal est fait. Le doute s’est installé dans les esprits de vos alliés.

Parlez-en aux trois pays Baltes, membres de l’OTAN, qui abritent d’importantes minorités russophones. Enverriez-vous l’armée américaine si la Russie y intervenait comme en Crimée en 2014?

Et que dire de la menace que fait peser la Corée du Nord (qui possède la bombe atomique) sur le Japon et la Corée du Sud.

Vos menaces de déchaîner «le feu et la fureur» contre le régime nord-coréen ont créé de la confusion et fait craindre aux Japonais et aux Sud-Coréens le déclenchement d’une guerre, comme le rapporte l’Associated Press.

Selon l’hebdomadaire français L’Obs, cette politique crée non seulement de l’incertitude, mais précipite aussi le déclin de la puissance américaine.

Et la Chine en profite, elle qui veut reprendre sa place au sommet de l’échiquier mondial.

Vous avez par exemple renié le Partenariat transpacifique (TPP, en anglais), un accord de libre-échange qui avait été négocié par l’administration Obama afin de contenir la Chine.

Pékin en a profité pour relancer le Regional Comprehensive Economic Partnership (RCEP), un projet pour asseoir l’hégémonie de la Chine en Asie-Pacifique et d’y marginaliser l’influence américaine.

Votre bilan est aussi contestable au chapitre de l’environnement.

La décision de retirer les États-Unis du traité de Paris sur le climat est une erreur historique aux yeux de la plupart des leaders politiques et des dirigeants d'entreprises dans le monde.

Or, le leadership américain est essentiel pour faire avancer la lutte aux changements climatiques. D’autres acteurs prendront le relais, comme la Chine et l’Europe.

Mais sans les États-Unis, la lutte aux changements climatiques sera plus difficile.

Monsieur Trump, stimuler la croissance économique, créer des emplois et afficher une solide performance boursière ne suffisent pas à restaurer la «grandeur de l’Amérique».

Pour faire preuve de grandeur, un pays doit aussi prêcher par l’exemple, la justesse et la cohérence de ses politiques, à la «maison» comme à l’étranger. Bref, ce pays doit avoir du leadership.

Or, un an après votre élection, il y a un manque de leadership à Washington, sans parler du règne de l’imprévisibilité et de l’incertitude.

Les États-Unis sont aujourd’hui un pays affaibli, dont la stature dans le monde est diminuée.

Et vous en êtes le grand responsable, Monsieur le président.

«En moins d’un an, l’Amérique de Donald Trump est devenue la risée du monde entier», a même écrit récemment l’ancien premier ministre de l’Australie, Kevin Rudd, dans une tribune publiée dans le réseau Project Syndicate.

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand