L'Europe de l'Est sera désormais un marché risqué et instable

Publié le 17/02/2023 à 18:25

L'Europe de l'Est sera désormais un marché risqué et instable

Publié le 17/02/2023 à 18:25

La Pologne est membre de l’OTAN et quelque 10 000 militaires américains se trouvent dans le pays. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Un retour à la situation géopolitique qui prévalait en Europe de l’Est avant l’invasion russe de l’Ukraine est impossible. Malgré ses coûts de production compétitifs, ce marché émergent demeurera une région risquée et instable pour les entreprises, même lorsque la guerre sera terminée.

C’est la conclusion à laquelle arrivent plusieurs analyses et spécialistes sur les conséquences de ce conflit, dont Angelo Katsoras, analyste géopolitique à la Banque Nationale.

«Même si la guerre se termine un jour, il y aura une nouvelle réalité. Les tensions vont demeurer», souligne-t-il à Les Affaires.

Une nouvelle guerre pourrait-elle éclater un jour? Pourrait-elle s’étendre à d’autres pays d’Europe de l’Est, comme les pays baltes?

Même un conflit gelé en Ukraine à la coréenne — où il y aurait un état de non-guerre entre l’Ukraine et la Russie, mais sans la ratification d’un traité de paix — ferait en sorte que «la région soit instable», affirme Angelo Katsoras.

Le marché de l’Europe de l’Est comprend des États comme les trois pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Pologne, la Slovaquie, la République tchèque, la Hongrie, la Roumanie et la Bulgarie.

Or, la plupart de ces pays partagent une frontière avec la Russie (les pays baltes) ou avec l’Ukraine (la Pologne, la Slovaquie, la Hongrie et la Roumanie).

Précisions que la Pologne et la Lituanie partagent aussi une frontière avec la Russie, et ce, en raison de la petite enclave russe de Kaliningrad, sur la mer Baltique.

Dans ce contexte, les entreprises qui ont des fournisseurs, des usines ou des clients dans cette région du monde ont tout intérêt à considérer ces éléments dans leur planification stratégique à long terme.

 

Les opportunités par rapport aux menaces

C’est un arbitrage classique entre les opportunités et les menaces.

Dois-je avoir un fournisseur stratégique à faible coût de production situé en Lituanie si sa seule usine risque un jour d’être détruite par un bombardement?

Dois-je implanter une usine en Pologne pour desservir les pays d’Europe de l’Est, si elle risque de se retrouver dans les prochaines années dans une zone de guerre?

Certes, durant la guerre froide, des entreprises occidentales n’ont pas hésité par exemple à installer des usines en Allemagne de l’Ouest, même si des pays de l’ancien pacte de Varsovie n’étaient pas loin.

Dissoute en 1991, cette alliance militaire de pays communistes (incluant l’ex-Allemagne de l’Est, la Pologne et la Hongrie) dirigée par l’ex-Union soviétique faisait face aux pays membres de l’OTAN au cœur de l’Europe.

En revanche, les entreprises situées en Allemagne de l’Ouest étaient relativement loin de l’ex-Union soviétique, car les pays du pacte de Varsovie servaient de zone tampon, fait remarquer Angelo Katsoras.

Or, aujourd’hui, cette zone tampon n’existe plus.

Car tous les pays d’Europe de l’Est ¬ à l’exception de la Biélorussie, de l’Ukraine et de la Moldavie — sont des pays membres de l’OTAN.

«L’OTAN et la Russie se font désormais pratiquement face sur des milliers kilomètres», souligne l’analyste géopolitique.

Des statistiques économiques et financières commencent à démontrer que les économies émergentes d’Europe de l’Est ont perdu de leur attrait depuis la guerre en Ukraine, en février 2022.

Par exemple, l’indice MSCI EM Europe a chuté de 68,42% depuis un an, tandis que le MSCI Emerging Markets (pour l’ensemble de tous les pays émergents) a reculé de 12,12%.

La croissance économique dans certains pays d’Europe de l’Est semble aussi perdre de la vigueur.

Par exemple, en 2019, avant la pandémie de COVID-19, le PIB de la Pologne a progressé de 4,7%, selon la Banque mondiale.

Or, en 2023 et en 2024, il devrait augmenter respectivement de 1,6% et de 3%.

Certes, cette année, la croissance polonaise sera encore supérieure à celle des États-Unis (1%), de l’Allemagne (-0,3%) ou de la France (0,7%), prévoit le Fonds monétaire international (FMI).

En revanche, on s’attendrait à une croissance supérieure de la part d’une économie émergente.

 

La grande leçon du 20e siècle

L’histoire du 20e siècle nous donne une grande leçon: les guerres changent le cours de l’histoire, aiguillant les sociétés sur de nouvelles voies politiques, économiques et sociales.

Les retours à la case départ ne sont pas possibles.

L’Europe de 1919 n’était plus celle de 1913, avant la Première Guerre mondiale.

L’Europe de 1946 n’était plus celle de 1938, avant la Deuxième Guerre mondiale.

Aussi, l’Europe de l’Est de 2021 ne réapparaîtra pas en 2024, en 2025, voire en 2030.

Les entreprises qui sont actives dans cette région du monde doivent simplement le réaliser.

Il y aura toujours des occasions d’affaires, mais avec une prise de risque beaucoup plus importante qu’auparavant.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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