Les entreprises peuvent réduire le risque pandémique


Édition du 10 Mars 2021

Les entreprises peuvent réduire le risque pandémique


Édition du 10 Mars 2021

Si vous travaillez dans l’agroalimentaire, il faut diminuer votre consommation d’huile de palme (dont la production contribue à la déforestation). (Photo: Nazarizal Mohammad pour Unsplash)

ZOOM SUR LE MONDE. La campagne de vaccination de masse annonce des jours meilleurs ainsi que la fin éventuelle de la pandémie de COVID-19. Pour autant, si les entreprises ne changent pas certains comportements, elles contribueront encore à favoriser la mise en place des conditions pour déclencher une autre pandémie à l’avenir.

Les pandémies ne tombent pas du ciel, comme l’expliquent la journaliste scientifique Sonia Shah et la cinéaste et auteure Marie-Monique Robin dans leurs essais respectifs Pandémie et La fabrique des pandémies. Elles sont en fait le fruit de l’activité humaine, qui détruit la biodiversité et les écosystèmes, sans parler de la déforestation.

En 2018, le magazine Science a publié une étude (Classifying drivers of global forest loss) qui montre que la perte du couvert forestier entre 2001 et 2015 provenait à 27 % de la production de commodités (huile de palme, minerais, boeuf, etc.), à 26% des activités forestières et à 24 % de l’agriculture de subsistance.

Les feux de forêt et l’urbanisation comptaient pour 23 %. L’enjeu est de taille, car la déforestation met en contact des espèces exotiques porteuses de virus avec des humains ou avec le bétail destiné à la consommation humaine, surtout en Asie en Afrique. Quant à la diminution de la biodiversité, la disparition de prédateurs qui se nourrissent d’espèces porteuses d’agents pathogènes permet à ces dernières de proliférer, augmentant ainsi le risque de transmission de maladies infectieuses à l’humain.

Une statistique rapportée par Sonia Shah doit interpeller tous les décideurs. Entre 1940 et 2004, on a recensé l’éclosion de plus de 300 maladies infectieuses dans le monde, dont le VIH, l’Ebola, le virus du Nil occidental, le virus Nipah, le H1N1 et le SRAS. Et cela ne tient même pas compte du SARS-CoV-2, qui a causé la pandémie de COVID-19. C’est dire à quel point nous vivons dans un monde de plus en plus dangereux.

Pour les entreprises, cette situation accroît le risque de devoir à nouveau un jour affronter une autre pandémie. Aucun entrepreneur n’a envie de jouer à nouveau dans ce mauvais film.

Pour autant, les entreprises ne sont pas impuissantes quant à ce risque sanitaire.

Elles peuvent le réduire en s’attaquant de front à l’origine des intrants dans leur chaîne d’approvision-nement, et ce, pour éviter qu’ils contribuent à favoriser le déclenchement d’une nouvelle pandémie.

C’est l’avis de deux entrepreneurs qui travaillent notamment à réduire ce risque, soit Louis Roy, président et chef de la direction d’Optel, spécialisée dans les systèmes de traçabilité pour les chaînes d’approvisionnement, et Martin Beaudoin Nadeau, PDG de Viridis Terra International, spécialisée dans la restauration des terres dégradées.

La solution est simple: votre entreprise doit réduire ou cesser de consommer des produits qui contribuent à la déforestation et à la destruction de la biodiversité.

Par exemple, si vous travaillez dans l’agroalimentaire, il faut diminuer votre consommation d’huile de palme (dont la production contribue à la déforestation), ou l’acheter de producteurs qui essaient d’épargner les forêts. En Indonésie, Optel aide justement une multinationale de l’agroalimentaire — qui utilise de l’huile de palme dans ses produits — à augmenter la productivité des plantations d’où provient cette huile afin que les producteurs locaux n’aient pas besoin de détruire d’autres forêts.

 

Recycler davantage

Les entreprises manufacturières doivent aussi se doter de chaînes d’approvisionnement responsables. Au lieu d’importer des minéraux critiques et stratégiques (MCS) dont l’extraction détruit des écosystèmes en République démocratique du Congo, elles peuvent recycler davantage leurs MCS et adhérer à des concepts d’économie circulaire.

Dans le commerce de détail, réduire les importations pour favoriser l’achat de produits locaux peut aussi contribuer à diminuer la déforestation.

Au Brésil, on brûle des forêts pour y élever du bétail dont le cuir permet ensuite de fabriquer des chaussures. En 2019, Timberland, North Face et Vans ont même arrêté d’utiliser du cuir brésilien afin de protester contre la déforestation de l’Amazonie, selon le Wall Street Journal.

Dans le secteur minier, si les entreprises ont des projets qui détruisent des forêts, elles doivent au moins restaurer intégralement les sites après la durée de vie de leur mine. C’est ce que fera Viridis Terra International avec le projet aurifère de la mine Essakane, d’Iamgold, au Burkina Faso. Bien entendu, rendre sa chaîne d’approvisionnement responsable afin qu’elle ne contribue plus à la déforestation représente un investissement en temps et en argent.

Par contre, votre entreprise en tirera à terme des bénéfices. D’une part, auprès du marché qui valorise de plus en plus la responsabilité sociétale des entreprises. D’autre part, en évoluant dans un environnement d’affaires dans lequel le risque pandémique est moindre (le risque zéro n’existe pas) si de nombreuses entreprises adoptent la même approche que vous aux quatre coins de la planète.

Le jeu en vaut donc largement la chandelle.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand