Le rapprochement Iran-Arabie saoudite stabilisera le marché pétrolier

Publié le 18/03/2023 à 09:00

Le rapprochement Iran-Arabie saoudite stabilisera le marché pétrolier

Publié le 18/03/2023 à 09:00

Wang Yi, directeur du Bureau de la Commission des affaires étrangères du Comité central du PCC, assiste à une réunion de clôture des pourparlers entre la délégation saoudienne dirigée par Musaad bin Mohammed Al-Aiban, ministre d'État saoudien, et la délégation iranienne conduite par l'amiral Ali Shamkhani, à Beijing le 10 mars 2023. (Photo: Getty Images)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite orchestré par la Chine peut soulever des inquiétudes géopolitiques, car il renforce les liens entre trois régimes autoritaires. En revanche, sur le plan économique, cette entente stabilisera le marché mondial du pétrole et les prix, et ce, au bénéfice de nos entreprises.

«Ça fait baisser le risque géopolitique. L’Arabie saoudite et l’Iran abritent les 2e et 3e réserves mondiales de pétrole. Ce rapprochement fait en sorte qu’ils ne vont pas se tirer dessus», souligne à Les Affaires Yvan Cliche, fellow et spécialiste en énergie au Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM).

Par conséquent, cette entente réduit grandement le risque d’une guerre directe entre les deux pays.

C’est donc une bonne nouvelle puisque tout risque géopolitique «est directement répercuté dans les prix», souligne celui qui a publié en 2022 l’essai Jusqu’à plus soif (Pétrole-gaz-éolien-solaire: enjeux et conflits énergétiques), chez Fides.

C’est sans parler du fait qu'une guerre pourrait aussi perturber la production dans ces deux pays ainsi que les approvisionnements en pétrole de plusieurs pays, notamment en Europe et en Asie.

 

Un coup de circuit diplomatique pour la Chine

Le 10 mars, l’Iran et l’Arabie saoudite ont créé toute une surprise en annonçant que les deux pays étaient arrivés à une nouvelle entente sous l’égide de la Chine.

Cet accord prévoit entre autres la réouverture de leurs ambassades et représentations respectives d’ici le début du mois de mai.

Ce rapprochement a surpris parce que l’Iran (chiite) et l’Arabie saoudite (sunnite) sont deux puissances rivales au Moyen-Orient. Elles s’affrontaient par exemple indirectement dans les guerres civiles au Yémen et en Syrie.

Pour la Chine, c’est un coup de circuit diplomatique qui confirme son influence grandissante au Moyen-Orient. Beijing apparaît comme une puissance médiatrice en faveur de la paix, mais qui menace, paradoxalement, d’envahir Taïwan.

En revanche, pour les États-Unis, c’est un retrait sur trois prises diplomatique, qui confirme une perte d’influence et de prestige dans cette région du monde — qui a commencé avec l’invasion injustifiée et illégale de l’Irak en 2003.

Selon Yvan Cliche, c’est sur le plan économique et énergétique que la Chine a frappé un grand coup parce qu’elle a sécurisé davantage ses sources d’approvisionnement en pétrole — l’Iran et l’Arabie saoudite exporteront dorénavant plus de pétrole en Chine.

Dans son essai, il explique d’ailleurs que la deuxième économie mondiale est devenue le plus gros importateur de pétrole au monde en 2014. Dans ce contexte, sécuriser ses approvisionnements est devenu une véritable obsession géopolitique pour la Chine.

«À elle maintenant, comme les États-Unis autrefois, de développer un souci d’approvisionnement fiable et constant en énergie pour soutenir sa croissance économique spectaculaire», écrit-il.

 

Sécuriser ses approvisionnements en pétrole est devenu une véritable obsession géopolitique pour la Chine. (Photo: 123RF)

 

La Chine doit sécuriser ses approvisionnements

C’est la raison pour laquelle la politique étrangère de la Chine est avant tout motivée depuis une trentaine d’années par des impératifs énergétiques.

En entrevue, Yvan Cliche a partagé des statistiques qui illustrent pourquoi l’Iran et l’Arabie saoudite — deux membres de l’Organisation des pays producteurs de pétrole (OPEP), mais qui est dominée par les Saoudiens — sont des joueurs clés pour Beijing.

L’Arabie saoudite est le premier producteur de l’OPEP, avec une production de 11 millions barils/jour en 2021.

De plus, elle n’a aucune contrainte de production, qu’elle peut donc augmenter ou diminuer à sa guise. Par le truchement de l’offre et la demande, le royaume saoudien vise un prix de marché «relativement élevé» aux alentours de 80 $US le baril, selon Yvan Cliche.

L’Iran, elle, a une production de 3,5 millions de b/j en 2021, en baisse importante par rapport à 2017 à 4,8 millions b/j.

Contrairement à l’Arabie saoudite, le régime des mollahs n’a pas de cibles de prix. Il souhaite donc vendre à tout prix son pétrole à la Chine afin de regarnir ses coffres mis à mal par des années de sanctions économiques.

Le rapprochement entre l’Iran et l’Arabie saoudite survient alors que l'échiquier géopolitique mondial est en mutation accélérée.

 

Beijing au centre d'une nébuleuse autoritaire

Ainsi, non seulement la Chine sécurise-t-elle davantage ses approvisionnements en provenance du Moyen-Orient et de la Russie depuis l’invasion de l’Ukraine, mais elle se positionne aussi au centre d’une nébuleuse de régimes autoritaires en Eurasie, sans oublier la Corée du Nord.

Bien entendu, les Occidentaux et leurs alliés asiatiques, dont le Japon, la Corée du Sud et l’Inde, n’ont pas dit leur dernier mot.

En revanche, on sent bien que le monde est en train de changer à la vitesse grand V, devenant de plus en plus instable et imprévisible.

C’est tout le contraire toutefois pour le marché énergétique.

Les prix du baril de pétrole devraient demeurer plus stables dans un avenir prévisible.

À moins bien entendu qu’une nouvelle guerre n’éclate dans le monde, par exemple entre la Chine et les États-Unis à propos de Taïwan.

 

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand