Hong Kong : vers un pays, un système

Publié le 16/08/2019 à 21:04

Hong Kong : vers un pays, un système

Publié le 16/08/2019 à 21:04

Des manifestants pro-démocratie manifestant dans les rues de Hong Kong (source: Getty)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE – Peu importe la conclusion de la crise politique qui ébranle Hong Kong depuis deux mois, la particularité de la cité-État au sein de la Chine s’érode tranquillement mais sûrement, et le communisme ou un capitalisme autoritaire y supplantera un jour le libéralisme.

Au moment où vous lisez ces lignes, le risque d’une intervention chinoise à Hong Kong est d’ailleurs de plus en plus probable étant donné la violence des affrontements entre la police et les manifestants pro-démocratie, estiment plusieurs analystes.

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Dans une tribune publiée dans Le Monde, Marc Julienne, spécialiste des politiques de sécurité et de défense en Chine, explique que le parti communiste chinois (PCC) a deux options pour rétablir l’ordre dans l’archipel.

Soit Pékin envoie l’Armée populaire de libération (APL), soit le gouvernement central utilise la Police armée du peuple (PAP), des troupes paramilitaires plus adaptées au maintien de l’ordre.

Il va sans dire que l’intervention de l’armée régulière provoquerait probablement des morts.

«Ce serait une catastrophe pour la Chine et bien sûr pour Hong Kong», a déclaré à la BBC Chris Patten, dernier gouverneur britannique de Hong Kong, de 1992 à 1997, année de la rétrocession de la colonie à la Chine communiste.

Une intervention militaire rappellerait aussi le douloureux souvenir du massacre de la place Tiananmen à Pékin, en juin 1989, qui a fait des centaines de morts, selon diverses estimations.

Le gouvernement avait alors maté dans le sang le mouvement d’étudiants, d’intellectuels et d’ouvriers qui demandaient des réformes démocratiques, alors que le communisme commençait à s’effondrer en Europe.

Une intervention des forces chinoises aurait aussi un impact économique et politique pour Hong Kong et la Chine, souligne la chaîne financière Bloomberg.

Même une intervention musclée à petite échelle pourrait provoquer un exode d’entreprises et de sociétés financières de cette plaque tournante de la finance internationale, appréciée pour sa grande liberté économique, incluant la libre circulation des capitaux. 

Sur le plan politique, une intervention pourrait entraîner des sanctions économiques de la part des pays occidentaux contre la Chine, qui pâtit déjà de la guerre commerciale avec les États-Unis.

Une intervention pourrait aussi renforcer le mouvement en faveur de l’indépendance de Taïwan, une île où se sont réfugiés les partisans de la Chine capitaliste et nationaliste quand les communistes ont pris le pouvoir à Pékin, en 1949.

À l’instar de Macao (une ancienne colonie portugaise) et Hong Kong, le gouvernement chinois veut réintégrer un jour Taïwan (une province rebelle, aux yeux de Pékin) dans le giron de la Chine communiste.

Pékin interviendra à Hong Kong si...

Actuellement, les dirigeants chinois pèsent les pour et les contre d’une intervention pour rétablir l’ordre à Hong Kong.

Le Bureau des affaires de Hong Kong et Macao (HKMAO) a déjà fixé trois lignes rouges, relativement floues, qui pousseraient Pékin à recourir à la force :

  • La mise en péril de la sécurité nationale de la Chine.
  • La défiance de l’autorité de Pékin et de la loi constitutionnelle de Hong Kong.
  • L’utilisation de Hong Kong par des forces étrangères pour nuire à la Chine.

Or, aux yeux du gouvernement chinois, deux de ces lignes semblent franchies (la première et la deuxième), précise Marc Julienne.

Quant à l’implication de forces étrangères, la Chine a déjà accusé les États-Unis d’ingérence, notamment parce que le conseiller à la Maison-Blanche, John Bolton, a évoqué le massacre de la place Tiananmen de 1989.

C’est dire à quel point la patience des Chinois a atteint ses limites.

Il va sans dire qu’une désescalade de la crise et un retour à la normale, comme lors du «mouvement des parapluies» pro-démocratique à Hong Kong en 2014, serait préférable à une intervention de Pékin

Or, ce scénario est improbable pour l'instant, soulignent des spécialistes.

Non seulement le gouvernement de Hong Kong dirigé par la cheffe de l’exécutif Carrie Lam est-il à l’origine des manifestations populaires, mais il n’offre pas non plus de solution politique pour sortir de cette crise.

Tout a débuté quand le gouvernement a présenté un projet de loi autorisant l’extradition de suspects de certains crimes en Chine continentale, où l’État de droit n’existe pas comme à Hong Kong.

Or, ce projet de loi contrevient au principe «d’un pays, deux systèmes», prévu dans l’entente de rétrocession, qui garantit à Hong Kong de pouvoir préserver sa particularité jusqu’en 2047.

Face à la levée de boucliers d’une partie de la société civile hongkongaise, Carrie Lam a suspendu le projet de loi, mais elle a refusé de le retirer, ce qui a suscité la grogne des manifestants et accentué la crise.

Une ville libre, dans un pays autoritaire

Il faut aussi tenir compte de la situation politique en Chine pour bien comprendre la crise qui secoue Hong Kong.

Depuis l’arrivée au pouvoir du président Xi Jinping en 2013, la Chine est devenue un pays encore plus autoritaire, où les nouvelles technologies permettent de surveiller les citoyens en tout temps.

De plus, l’an dernier, Xi Jinping s’est arrogé les pouvoirs de président à vie, mettant fin au système d'alternance qui forçait un renouvellement du leadership communiste chinois tous les 10 ans.

Certes, Hong Kong représente un «actif» pour la Chine communiste, notamment en raison de son statut de place financière internationale, qui permet encore de faire le pont entre les marchés financiers chinois et internationaux.

Cela dit, les marchés chinois se libéralisent graduellement, comme en témoigne le récent lancement de Star Market, le nouveau Nasdaq chinois situé à Shanghai, ouvert aux investisseurs étrangers.

Une situation qui marginalise graduellement l’importance de Hong Kong comme centre financier en Chine.

C’est pourquoi Pékin souhaite faire de Hong Kong une ville chinoise comme les autres plus rapidement, sans attendre l’année 2047 prévue à l’entente de la rétrocession. Cette dernière a été signée en 1984, alors que la Chine était un pays sous-développé et que personne n'avait imaginé qu'elle deviendrait une puissance économique aussi rapidement.

C’est dans ce contexte d’une transition plus rapide vers le communisme souhaité par le gouvernement chinois que s’inscrit l’élaboration du projet de loi sur l’extradition du gouvernement pro-Pékin de Hong Kong.

Selon le quotidien japonais anglophone Japan Times, le bras de fer entre le gouvernement hongkongais et les manifestants illustre bien la division fondamentale à propos de l’avenir de Hong Kong.

D’un côté, un establishment pro-Pékin qui met l’emphase sur la stabilité politique et la croissance économique (comme en Chine continentale); de l’autre, une jeunesse libérale qui se sent exclue et qui réclame la démocratie.

Or, étant donné l’énorme déséquilibre des forces en présence, les partisans d’une Hong Kong démocratique ne peuvent tout simplement pas gagner ce combat pour la liberté.

Ainsi, qu’on le veuille ou non, le sort de la cité-État est déjà scellé, soit sa fusion à terme avec la Chine communiste et la fin du principe d'un pays, deux systèmes.

Avec la collaboration à la recherche de Marie Li Lauzer et de Coralie Lefebvre.

 

 

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand