Et si Marine Le Pen était élue dimanche?

Publié le 23/04/2022 à 09:00

Et si Marine Le Pen était élue dimanche?

Publié le 23/04/2022 à 09:00

Le président sortant Emmanuel Macron et la candidate du Rassemblement national Marine Le Pen en une de «Les Échos» (Photo: 123RF)

ANALYSE GÉOPOLITIQUE. Même si le scénario le plus probable est une victoire d’Emmanuel Macron au second tour de la présidentielle en France ce dimanche, il ne faut pas exclure pour autant l'élection de Marine Le Pen. La victoire du Brexit au Royaume-Uni et l’élection de Donald Trump aux États-Unis, en 2016, nous rappellent que l’improbable est parfois possible.

C’est aussi la base de la gestion des risques d’affaires: prévoir tous les scénarios, même les plus improbables afin d’éviter les mauvaises surprises et limiter les impacts financiers sur les entreprises.

Que montrent les plus récents sondages?

Que l’écart se creuse à nouveau entre Marine Le Pen, la cheffe du Rassemblement national (RN), un parti d’extrême droite qui prône le nationalisme économique, et Emmanuel Macron, le leader de la République en marche (LREM), une formation centriste et promondialisation.

Le 22 avril, Marine Le Pen récolterait 44% des voix comparativement à 56% pour le président sortant élu en 2017, selon l’agrégation des plus récents sondages effectués par NSPPolls, dont fait état le quotidien français Le Figaro (FIG DATA).

Le 7 avril, l’agrégation de différents sondages donnait 47% à la leader du RN et 53% à Emmanuel Macron. Bref, si la tendance se maintient, le président sortant devrait décrocher un second mandat.

Mais si l’improbable arrivait malgré tout?

Par exemple, une portion plus importante des électeurs de Jean-Luc Mélenchon, le leader de la formation de la gauche radicale et antimondialisation La France Insoumise, qui est arrivé troisième au premier tour le 10 avril, pourrait décider de voter pour Marine Le Pen.

Le 22 avril, 21% d’entre eux prévoyaient déjà voter pour la leader du Rassemblement national (34% d’entre eux voteraient pour Emmanuel Macron et 45% n’iraient pas voter), selon l’analyse de NSPPolls.

 

Vers une France autoritaire ou illibérale?

Une victoire de Marine Le Pen aurait un certainement un impact politique et économique, notamment pour les entreprises canadiennes établies en France ou qui exportent dans la deuxième économie de l’Union européenne.

Sur le plan politique, il serait surprenant que la France devienne du jour au lendemain un régime autoritaire ou une démocratie «illibérale», comme la Hongrie ou la Pologne, malgré un accent qui serait mis sur la sécurité et un contrôle accru aux frontières.

La France est un État de droit qui a une longue tradition démocratique. Les institutions françaises peuvent résister à une présidence Le Pen — comme les institutions américaines ont pu du reste le faire durant la présidence Trump — mais non sans difficultés.

Tous ne sont pas de cet avis.

Si elle est élue, le quotidien Le Monde estime que le programme que Marine Le Pen mettrait en oeuvre «heurte de plein fouet les principes démocratiques et républicains, en visant la mise en place d’un État autoritaire».

La conclusion de cette analyse est-elle alarmiste? Difficile à dire, tant que la principale intéressée ne sera pas au pouvoir…

Le résultat des élections législatives, en juin, pourrait aussi changer la dynamique politique et atténuer ce risque, si jamais un parti, en l'occurence La France insoumise de Jean-Luc Mélenchon, faisait contrepoids au RN de Marine Le Pen à l'Assemblée nationale.

On pourrait alors avoir une quatrième cohabitation sous la Ve République, comme à l'époque du président de centre droit Jacques Chirac et du premier ministre socialiste Lionel Jospin (de juin 1997 à mai 2002). 

Cela dit, faisons preuve de prudence face aux scénarios catastrophes, comme en 1981, lors de l’élection du président socialiste François Mitterrand, qui s’était allié au Parti communiste français pour l’emporter.

À l’époque, certains avaient évoqué l’arrivée imminente des chars soviétiques à Paris… Or, François Mitterrand avait respecté les institutions françaises, malgré une vague de nationalisations dans les secteurs industriel et bancaire.

 

Le quartier de la Défense, à Paris (Photo: Ruben Christen pour Unsplash)

Pas de risque tarifaire, mais de faible croissance

Sur le plan économique, les entreprises canadiennes risquent peu de perdre leur accès privilégié au marché français en vertu de l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne (UE), expliquait à Les Affaires en mars Thierry Warin, professeur au Département d’affaires internationales à HEC Montréal.

Car, même si Marine Le Pen prône un nationalisme économique, le gouvernement pourrait difficilement faire adopter des mesures protectionnistes, puisque la France ne peut pas modifier les termes de l’AECG sans l’accord des autres pays de l’UE — les traités de libre-échange relèvent de l’UE et non pas des États membres.

S’il y a un risque pour les entreprises canadiennes en France advenant une victoire de Marine Le Pen, c’est avant tout au niveau du dynamisme de l’économie française.

D’ailleurs, son projet économique inquiète la majeure partie du patronat du pays, qui appuie plutôt le programme libéral d’Emmanuel Macron, rapporte le quotidien financier français Les Échos.

Dans un communiqué publié le 11 avril, le Mouvement des entreprises de France (MEDEF) — l’équivalent du Conseil du patronat du Québec — affirme que le programme du Rassemblement national conduirait le pays «à décrocher» par rapport à ses voisins et à le mettre «en marge» de l’Union européenne.

«Il dégraderait la confiance des acteurs économiques, réduisant ainsi les investissements et les créations d’emplois. La hausse très forte et non financée des dépenses publiques risquerait de placer le pays dans une impasse», peut-on lire noir sur blanc.

L’enjeu est de taille, car la France est le cinquième marché d’exportation du Québec, et ce, après les États-Unis, la Chine, le Japon et le Mexique, selon Statistique Canada.

 

Les marchés confiants d'une victoire de Macron

Enfin, même si Marine Le Pen a renoncé à un «Frexit» et à sortir la France de la zone euro, comme lors de la campagne présidentielle de 2017, des incertitudes persistent sur sa capacité à collaborer vraiment avec Bruxelles si elle était élue.

Cela dit, les marchés financiers ne semblent pas trop s'en inquiéter, car ils misent sur une victoire d’Emmanuel Macron ce dimanche.

Après avoir augmenté rapidement depuis le début de l’année, le rendement exigé sur les obligations 10 ans de la France s'est relativement stabilisé à un peu plus de 1,40% depuis 5 jours.

Si les marchés anticipaient que Marine Le Pen pouvait réellement l'emporter, le rendement exigé afficherait une hausse marquée.

Emmanuel Macron devrait donc être réélu ce dimanche en France.

À moins que nous ayions une surprise comme en 2016...

 

 


À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand

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