Demeurer ou ne pas demeurer au Royaume-Uni?


Édition du 10 Février 2021

Demeurer ou ne pas demeurer au Royaume-Uni?


Édition du 10 Février 2021

(Photo: Paul Fiedler pour Unsplash)

ZOOM SUR LE MONDE. Et le Brexit fut. Londres et Bruxelles ont conclu, en décembre, un accord de libre-échange minimaliste qui permet aux entreprises britanniques de sauver les meubles. Pour les sociétés canadiennes, l’heure des choix est venue: est-il toujours pertinent de s’implanter au Royaume-Uni pour vendre en Europe ou ne faut-il pas plutôt s’installer directement dans l’Union européenne (UE) ?

«La stratégie de s’implanter au Royaume-Uni pour faire de ce pays un tremplin afin d’exporter ensuite dans le reste de l’Europe est moins pertinente», estime Christian Sivière, président de Solimpex, une firme montréalaise de consultants et de formation en commerce international, spécialisée dans les marchés européen et américain.

Dans le passé, il rappelle que plusieurs entreprises canadiennes se sont établies au Royaume-Uni pour desservir ce pays et l’ensemble du marché européen.

Cette stratégie d’affaires tenait alors à plusieurs facteurs:le dynamisme économique du pays (à commencer par Londres), la proximité culturelle (surtout pour les entreprises du Canada anglais) et la possibilité de vendre sans contrainte des produits et des services aux quatre coins du marché européen.

Cette stratégie a toutefois du plomb dans l’aile — du moins, en ce qui a trait au dernier point — depuis le vote en faveur du Brexit, en juin 2016, suivi par des négociations très ardues pour conclure un divorce à l’amiable entre Londres et Bruxelles.

On s’est aimé comme on se quitte Résultat:certaines sociétés canadiennes (et d’autres nationalités, du reste) ont commencé à quitter le Royaume-Uni pour déménager leurs pénates dans un ou plusieurs pays de l’UE, affirme Christian Sivière.

À ses yeux, l’accord de libre-échange minimaliste (comparé à l’ancienne intégration économique du pays avec le marché européen) conclu en décembre risque d’accélérer cette tendance, car il représente un recul majeur pour les entreprises qui commercent avec l’Europe continentale à partir du Royaume-Uni. Certes, l’entente abolit les tarifs douaniers sur le commerce des marchandises.

Par contre, elle ne s’applique pas aux secteurs des services. Or, les services représentent près de 80% du produit intérieur brut du Royaume-Uni. De plus, la restauration des frontières et des contrôles douaniers entraîne des coûts logistiques supplémentaires — difficiles à évaluer avec précision — pour les entreprises exportatrices et importatrices situées au Royaume-Uni.

Pour autant, la décision de quitter le Royaume-Uni pour déménager dans le territoire de l’UE doit être bien planifiée, insiste Christian Sivière.

La localisation est le nerf de la guerre, et cette décision dépend des marchés visés en Europe. Par exemple, si une entreprise canadienne vend ses biens dans l’ensemble de l’UE, il serait plus approprié de s’installer dans le Nord de la France, en Belgique, aux Pays-Bas ou dans le sud de l’Allemagne.

Cette société pourrait aussi, du reste, commercer avec le Royaume-Uni à partir de cet emplacement.

Par contre, si une entreprise vise plutôt le sud de l’Europe, une installation en Espagne ou en Italie serait plus avisée, tandis qu’un bureau en Slovaquie serait idéal pour une société voulant percer l’Europe de l’Est.

L’accord de libre-échange de décembre fait particulièrement mal au secteur financier du Royaume-Uni. Il exclut largement les activités européennes du secteur qui sont au coeur du dynamisme de Londres, l’un des principaux centres financiers de la planète.

Sentant la soupe chaude, des banques du Royaume-Uni avaient d’ailleurs déjà transféré, en octobre, pour 1 600 milliards de dollars américains d’actifs dans des pays de l’Union européenne, et muté quelque 7 000 employés, selon le cabinet EY.

Encore plusieurs atouts Malgré le Brexit et la signature de l’accord de libre-échange minimaliste, le Royaume-Uni demeure un marché stratégique pour les entreprises canadiennes, assure à Les Affaires la haute-commissaire britannique au Canada, Susan le Jeune d’Allegeershecque.

Le Royaume-Uni est «un pays dont l’intérêt reste fort»pour le Canada en Europe, dit la diplomate, en précisant que les exportations canadiennes à destination du marché britannique représentent 40 % de celles du Canada dans l’Union européenne.

Elle fait aussi valoir que le taux d’imposition des sociétés au Royaume-Uni (19 %) est inférieur à bien des pays européens. Par exemple, en France, le taux standard s’établit à 31 %, tandis qu’il s’élève à 25 % aux Pays-Bas.

Quant aux services financiers, Susan le jeune d’Allegeershecque admet que l’accès au marché européen n’est plus ce qu’il est par rapport à la période précédant la sortie du Royaume-Uni de l’UE. Par contre, elle souligne que Londres et Bruxelles «coopèrent au chapitre de la réglementation».

La haute-commissaire fait également remarquer que Londres demeure un centre financier important malgré le Brexit. «La plupart des institutions financières ont d’ailleurs gardé leur siège social à Londres», souligne-t-elle.

Londres demeure effectivement la deuxième place financière dans le monde après New York, et la première d’Europe. Par contre, son importance sur le Vieux Continent pourrait s’éroder à terme au profit de centres financiers comme Paris et Francfort, estiment des analystes.

Chose certaine, les sociétés canadiennes présentes au Royaume-Uni font face à un dilemme important:rester ou quitter.

Par exemple, malgré le Brexit, certaines entreprises manufacturières pourraient conclure qu’il est préférable de demeurer dans ce pays si les avantages économiques surpassent les inconvénients.

En revanche, d’autres sociétés pourraient décider, notamment des banques, qu’il est sage de s’installer dans un pays de l’UE, et ce, afin de se rapprocher de leurs clients et de limiter les conséquences négatives de la perte de l’accès privilégié au marché européen.

À propos de ce blogue

Dans son analyse Zoom sur le monde, François Normand traite des enjeux géopolitiques qui sont trop souvent sous-estimés par les investisseurs et les exportateurs. Journaliste au journal Les Affaires depuis 2000 (il était au Devoir auparavant), François est spécialisé en commerce international, en entrepreneuriat, en énergie & ressources naturelles, de même qu'en analyse géopolitique. François est historien de formation, en plus de détenir un certificat en journalisme de l’Université Laval. Il a réussi le Cours sur le commerce des valeurs mobilières au Canada (CCVM) de l’Institut canadien des valeurs mobilières et il a fait des études de 2e cycle en gestion des risques financiers à l’Université de Sherbrooke durant 15 mois. Il détient aussi un MBA de l'Université de Sherbrooke. François a réalisé plusieurs stages de formation à l’étranger: à l’École supérieure de journalisme de Lille, en France (1996); auprès des institutions de l'Union européenne, à Bruxelles (2002); auprès des institutions de Hong Kong (2008); participation à l'International Visitor Leadership Program du State Department, aux États-Unis (2009). En 2007, il a remporté le 2e prix d'excellence Caisse de dépôt et placement du Québec - Merrill Lynch en journalisme économique et financier pour sa série « Exporter aux États-Unis ». En 2020, il a été finaliste au prix Judith-Jasmin (catégorie opinion) pour son analyse « Voulons-nous vraiment vivre dans ce monde? ».

François Normand